lundi 20 février 2017

La vie est dure, moi aussi. 10




C’est une feuille jaune sur laquelle il y a toute une série de questions sur votre séjour et il faut cocher l’émoticone qui correspond à votre réponse qui va du grand sourire extatique à la moche grimace. Je remplis le questionnaire à toute vitesse, c’est très simple, je ne coche que  les sourires extatiques et les sourires ravis.
Et je vais rendre ma feuille jaune que je glisse dans une boite à la réception.
Je ne suis pas dans un hôtel 4 étoiles, je suis simplement en train de quitter un hôpital, le CHU de Nimes.
Au moment où je rends mon questionnaire je me dis qu’il n’est pas possible de se contenter de cocher des émoticones hilares pour parler de la qualité de mon séjour.
Je voudrais leur dire autrement.
J’ai consacré du temps et de la rage à écrire sur ceux qui m’avaient maltraitée, je suis aussi capable d’écrire sur ceux qui ont exprimé autant d’empathie et de professionnalisme à mon égard.
La chambre particulière m’était-elle réservée ? Je ne le saurai jamais. Même si j’avais exprimé ma préférence pour une chambre que je ne voulais partager avec personne, je savais que cela n’est jamais une certitude à l’arrivée.
Cette chambre 2057 était là et semblait m’attendre et j’en ai pris possession comme d’un cadeau inespéré me préparant à vivre ces quelques jours tant appréhendés.

Et vous êtes entrés dans cette chambre qui était devenue pour quelques jours MA chambre en vous comportant comme des invités qui rentrent en se présentant par leur prénom et leur fonction : - Bonjour, je suis Laura votre infirmière de nuit, Bonjour, je suis Christophe infirmier et nous allons passer la journée ensemble …
Je ne savais pas si il fallait que je vous réponde : - Bonjour, je suis Véronique, la patiente de la chambre 2057 et je vais partager aussi votre journée. Je disais juste bonjour, car je n’aurais pas voulu que vous pensiez que j’ironisais.
Lorsqu’il s’est agi de mon intimité, vous avez été simples et sans infantilisation, me laissant mon libre arbitre, pour décider et en me faisant confiance sur les règles d’hygiène à observer avant l’opération.

Le matin, quand vous m’avez installée sur le brancard pour me conduire au bloc, vous avez pris la couverture de mon lit en la posant sur moi et en me disant : - Ce sera mieux, ce matin il fait un peu frais dans les couloirs. Et puis pendant les très longues minutes où vous m’avez poussée, vous vous êtes un peu laissé aller à des confidences sur ces couvertures : - Vous ne les trouvez pas moches, vous, ces couvertures ? Moi je les trouve horribles, elles me font penser à celles que ma mère mettait sur tous les lits chez nous quand j’étais ado. D’ailleurs elle n’en mettait pas que sur les lits, y’avait des petits bouts carrés de ces couvertures trouées sur les tables, sur la télé. Ça s’appelle comment ces trucs ? Ah oui ! des napperons vous dites.
Je vous ai demandé si vous n’habitiez pas chez « La mère à Titi » et vous avez soudain rigolé en poussant le brancard vers les portes du bloc.

Vous  m’avez endormie, mais avant vous avez eu le temps de me faire un numéro de séduction à deux. Lequel je trouve le mieux ? Je ne sais pas, je vous trouve « le mieux » tous les deux et vous riez et vous êtes beaux.

Vous  m’avez réveillée. Une main chaleureuse s’est posée sur mon bras pour me dire que tout allait bien. Vous m’avez demandé de noter ma douleur et vous avez fait préparer une dose de morphine. J’ai bien entendu la fin de votre phrase à l’adresse d’une consœur infirmière : - … ça suffira, c’est un petit gabarit.
Je suis percluse de douleur mais une onde de bonheur me submerge à l’idée d’être perçue comme « un petit gabarit ». Moi qui me trouve parfois un peu alourdie par les années, je me sens soudain rassurée, je reste à vos yeux, un petit gabarit.

Vous êtes l’interne qui viendra me voir tous les jours et je vous découvre alors que l’on vous a appelé pour intervenir sur la mare de sang dans laquelle mes fesses pataugent soudain.
Vos gestes sont rapides et efficaces et vous me demandez l’autorisation de m’examiner intimement : - Je vais vous faire un toucher vaginal et je vais vous faire mal, mais je dois aller enlever des caillots et voir ce qui se passe.
Vous me demandez l’autorisation de pénétrer mon intimité.
Cette simple question me permet de me détendre et de vous faire une totale confiance.
J’ai le souvenir encore violent et brulant d’une femme médecin de Toulouse qui, il y a quelques mois, m’a examinée brutalement et douloureusement sans aucun mot pour m’en prévenir auparavant et même pendant.  Son geste pénétrant est encore dans ma mémoire car je l’ai vécu comme un viol sur mon intimité.
Là, vous me demandez si vous pouvez !!! … Et je me dis que vous avez dû lire les romans de Martin Winckler ou Mes mille et une nuits de Ruwen Ogien.
Ou tout simplement vous êtes un homme respectueux de la femme qui est allongée devant lui et qui a besoin de lui.

Votre fonction de chef de service n’a pas gonflé votre ego et vous  avez toujours pris le temps de discuter et de m’expliquer avec précision et sans mensonge ma pathologie  lors de nos rencontres qui n’étaient jamais protocolaires mais empruntes de gravité, de bonne humeur et d’empathie.

Vous venez faire mon lit et retaper mon oreiller en me racontant vos enfants et leurs études. Lorsque vous refermez la porte, vous me dîtes : - Merci pour ce moment de discussion.

Vous venez me dire bonsoir en faisant votre tournée de nuit et me montrez la sonnette accrochée à la potence en me disant :- Le bouton rouge, c’est celui sur lequel il faut appuyer si vous avez le moindre besoin, la moindre douleur. Nous sommes là pour ça, il faut appeler.
J’ai soudain l’impression que je n’appelle peut-être pas assez et que vous craigniez que ce ne soit par discrétion. Je vous rassure, je vous promets d’appeler si j’ai besoin de vous.

Quand j’ai rempli ce feuillet jaune en cochant tous les émoticones hilares, j’ai eu le sentiment que c’était bien peu par rapport au réconfort que vous m’aviez apporté pendant ces quelques jours passés au CHU.
Je voulais vous l’écrire avec des vrais mots, des vrais sentiments.
Je voulais que l’on sache qu’au CHU de Nimes les soignants sont humains.

La vie est dure, mais à leur côté elle l'était un peu moins.

2 commentaires:

  1. c'est magnifiquement écrit Véronique, j'ai vécu votre hospitalisation et j'ai pleuré devant des mots si simples si pleins de tendresse...et tant d'humanité...je dis toujours qu'on doit s'occuper des patients en ayant toujours à l'esprit et si c'était ma mère , mon père ou même moi-même et si un jour on n'a plus cet amour pour l'autre je souhaite que la Vie présente un autre horizon "au soignant" ou à quiconque qui ne se sent plus à sa place... Merci Véronique pour ce beau récit...

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    1. Je vous remercie et je suis moi aussi émue de savoir que vous êtes un de ces soignants qui est entré dans ma chambre pendant mon hospitalisation.
      Je ne sais pas qui vous êtes et en quelque sorte c'est par cet anonymat que vous les représentez tous et que je sais que je n'ai pas écrit ces mots pour rien.
      Dites leur encore à tous combien vous m'avez aidée juste par vos sourires, votre empathie, votre disponibilité.
      MERCI

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