samedi 7 juillet 2018

Pourquoi je peins ?


Autoportrait pour une nuit noire.

Pourquoi je peins ? 

C’est le billet que Pierre Debroucker allias Masmoulin (j’aime bien le citer par son nom qui sent les pavés, les frites et les chansons de Brel) a posté hier sur son blog qui a ouvert les vannes de ce que je rumine depuis longtemps.

Pierre a eu un certain courage en titrant son billet : « Comment l’aquarelle évolue-t-elle ? Vers l’Art ou vers le loisir récréatif ? », car il va en froisser plus d’un avec une question pareille qui à mon avis est plutôt un triste constat qu’une question. J’avoue que je n’aurais pas eu ce courage mais que j’attendais que quelqu’un pose cette question qui me taraude depuis très longtemps. 
Pierre reconnaît aussi que sa question est clivante, moi j’aurais dit qu’elle est sans nuance. 
Il ne s’agit en rien de juger ceux qui peignent par loisir et je suis moi-même étonnée par le degré de technicité que certains ont acquis au fil de la pratique de ce medium qui est difficile. Une amie artiste m’a dit un jour et je m’en souviens pour toujours que l’aquarelle est tellement difficile à pratiquer que l’on y rencontre plus de très bons artisans  que de réels artistes créatifs. 
Il me revient aussi ce qu’un photographe (je ne sais plus lequel …)  disait à propos de la photo, qu’il vaut mieux une image émouvante avec quelques erreurs techniques qu’une image parfaite sans émotion. 
Ces réflexions ne m’autorisent pas à jeter l’opprobre sur les aquarellistes qui sont de parfaits techniciens et ceux qui aspirent à le devenir en travaillant et en retirant le  plaisir qu’on a à pratiquer un loisir récréatif. Je le précise car je sais combien tout est interprété et mon idée dans ce billet n’est pas d’être blessante ou méprisante. 

Ce matin, j’en reparle à Jno en lisant les quelques commentaires qui sont apparus sur les réseaux sociaux, commentaires approbateurs ou embarrassés, commentaires qui apparaissent et s’évanouissent aussi rapidement, je lui en reparle donc car je ne sais comment il faut parler de ce monde particulier de l’aquarelle et je pense que son regard extérieur qui est souvent un regard de témoin candide peut m’aider à comprendre. 
Sa réponse tombe simplement et spontanément,  il me dit : 
- Il suffit de poser la question aux gens : Pourquoi peignez-vous ? Leur réponse parlera d’elle-même. 
Et il ajoute :

- Et toi, pourquoi tu peins ? 

Alors je lui ai répondu. 

Au début dans ce que je vais appeler la première étape,  j’ai peint pour apprendre, pour m’amuser à faire des choses jolies avec des belles couleurs et cela me plaisait et me faisait du bien. J’aimais aussi que les autres me disent que ça leur plaisait. Durant toutes ces premières années la peinture ne m’est jamais apparue comme une nécessité, c’était une période de loisirs artistiques où je m’efforçais de pratiquer et de me procurer le plaisir du travail bien accompli. J’avançais sur un sentier facile. 
Et il y a eu ce moment où mes sensations ont commencé à changer, ce jour où j’ai décidé que je ne peindrais plus que ce que je voulais en me moquant totalement de ce que les autres attendaient de moi. Cette première décision a été la deuxième étape, celle où je n’attendais plus le regard des autres, où je ne faisais pas forcément ce que l’autre aimait et recherchait chez moi et dans ma peinture. 
Cette deuxième étape a été décisive car je n’étais plus que face à moi-même et je n’avais plus qu’un seul objectif : me plaire à moi-même.

À ce moment-là, j’aurais répondu à la question « Et toi, pourquoi tu peins ? » par :- Je peins pour moi et rien que pour moi. 
Grâce à cet égocentrisme dont on peut penser ce qu’on veut et  je m’en fous puisque j’avais décidé de ne peindre que pour moi et de soigner mon ego en toute conscience,   j’ai énormément avancé dans mon parcours. On pouvait bien me dire que l’on regrettait que je ne peigne plus de fleurs (même si j’en peins toujours), que mes Indiennes ne ressemblent pas à de vraies Indiennes, que j’étais obsédée par l’Inde et devrait m’en sortir, que je devais mettre autre chose que de l’aquarelle dans mes aquarelles pour qu’elles soient si denses en couleurs … Tout cela me passait au-dessus de la tignasse, je persistais à peindre pour moi. 
Et puis il y a eu ce jour où j’ai laissé tomber ce «moi», ce jour où j’ai dit à celle qui était dans le prolongement de ma main que son jugement elle pouvait se le carrer où je pense et que mon Moi profond allait continuer à peindre sans écouter ce qu’elle me disait de peindre et de penser, que mon véritable moi allait peindre sans le jugement de celle qui voulait me diriger. C’est là que j’ai eu très peur de ce que ma main faisait sans attendre l’approbation du moi égocentré. Cette main s’est sentie libre et a embarqué le Moi profond vers des noirceurs intimes. 
Cette troisième étape dans mon parcours est celle qui est devenue effrayante car elle me fait franchir des frontières, elle me fait découvrir des audaces indécentes, elle m’affranchit de chagrins que je croyais insurmontables, elle me fait supporter la douleur. 
C’est pour cela que je peins.
Je peins quand je n'ai plus les mots.
C’est ce que je dis à Jno, ce sont mes réponses à sa question.
Il me regarde puis me pose une seconde question : 
- Comment et jusqu’où peut-on peindre sans se mettre gravement en danger ?