lundi 23 mai 2016

Démos, des mots, des maux.



Quand on est peintre aquarelliste il faut faire une démo dans le salon où l’on expose.
Bon, on n’est pas vraiment obligé, mais quand même il y a des lignes sur le règlement qui expliquent bien que si l’on s’engage à faire ces démonstrations, on augmente ses chances d’être sélectionné pour exposer.
Je me suis toujours engagée à faire ces démonstrations, ces démos comme l’on dit parce que cela ne me demande pas un effort surhumain dans la mesure où je n’ai pas le trac. Précision, ne pas avoir le trac ne signifie pas être une personne qui ne connaît pas l’angoisse. Je suis une angoissée mais pas une traqueuse, bon sujet pour les psys, à vous de faire le distinguo et d’expliquer le pourquoi du comment. Moi, je ne sais pas.
Donc, no trac no souci, je fais des démos.

Je crois avoir maintenant un recul suffisant pour dire que j’en ai marre de faire des démos et que je termine à chaque fois accablée par une tristesse sans nom car la nommer reviendrait à me mettre en colère et sûrement à pleurer.
Oui, il y a souvent beaucoup de monde pour venir me regarder peindre et j’en vois qui sont le carnet à la main, le stylo suspendu et qui dès que je commence à parler notent frénétiquement sur la page du carnet ouvert au creux de leur main. Que notent-ils d’ailleurs ??? Ma peinture ne peut se résumer à ce que je dis. Je parle beaucoup quand je peins alors ils notent beaucoup. Il y a aussi ceux qui prennent des photos, je ne sais pas vraiment ce qu’ils pourront en retirer ensuite et si même ils regarderont un jour ces images. Ma petite angoisse à ce moment là, est de me dire : -Pourvu que je ne sois pas trop moche sur leurs photos, pas trop voutée sur mon travail. Je n’aime pas être moche même si je souhaite que l’on aime avant tout mon travail et aussi mes idées, je souhaiterais que ma gueule suive aussi.

Peut-être devrais-je demander que l’on ne prenne pas de photos ? Mais je n’aime pas interdire et en plus moi qui prend tellement de photos, comment pourrais-je demander aux autres de ne pas en prendre ?
Devrais-je demander aux gens de me respecter, de respecter les artistes ?
Devrais-je préciser aux organisateurs que nous ne sommes pas des animateurs ?
Devrais-je expliquer que chaque année je déclare aux impôts un déficit ? Sur la ligne correspondante du formulaire il y a inscrit le mot "insuffisance", et j'aime bien ce mot qui insiste et me fait remarquer que cela ne suffit pas. 
Devrais-je raconter que mon petit fils de 8 ans m’a fait remarquer que je passais plus de temps à préparer mes expos qu’à peindre ?
Devrais-je  être triviale au risque de déplaire et dire qu’une démonstration ne relève en rien d’un calcul économique car dans 99% des cas à la fin de la démo, les spectateurs rangent leur carnet  et repartent discrets à pas de loup comme si le terrain était miné.
J’aimerais qu’ils soient reconnaissants.
J’aimerais qu’ils soient polis.
J’aimerais juste un merci.

Je me souviens de l’un de ces jours de biennale et d’été brulant où je faisais une démo quotidienne. Les spectateurs venaient régulièrement en masse autour de moi me regarder peindre et il y a eu ce jour où une dame s’est avancée pour me dire : -Je suis déjà venue trois fois vous voir peindre depuis le début de la biennale. Le soir dans ma chambre d’hôtel, je m’efforce de refaire ce que vous avez fait mais à chaque fois il me manque quelque chose, alors je reviens voir votre démo encore une fois.
Je n’ai pas su quoi répondre à cette dame assidue.
J’aurais dû lui dire que j’animais des stages. Mais les stages sont payants … Les démos, elles sont gratuites.

Et puis je me pose une autre question qui me semble bien plus lourde de conséquences : - Comment justifier et expliquer le prix d’un tableau alors que je suis en train de faire la démonstration que je les peins en seulement une heure de temps ? Comment les spectateurs peuvent-ils digérer que je peins si vite et sans effort, sans être laborieuse ???
Eux qui ne cessent de me questionner sur le temps que je mets à réaliser une œuvre en lorgnant sur l’étiquette qui affiche le prix de ladite œuvre ???
Je fais quoi ? Je réponds quoi ?
Ai-je à me justifier ?
J’aimerais leur expliquer que j’ai passé du temps à apprendre à peindre vite car je sais que c’est cette vitesse d’exécution qui donne de la force à ma peinture.
J’ai essayé de le dire, ça ne marche pas.
Donc j’en ai conclu qu’il valait mieux faire l’impasse sur ce type de question et répondre dans le vide à la manière d’un politique qui a fait l’ENA.
Mais quand je fais une démo, ça se voit !!!!!
J’essaie toujours de me ralentir un peu, j’arrive ainsi au mieux,  à gagner un quart
d’heure. Un quart d’heure ça ne change rien à mon imposture aux yeux des spectateurs …
J’ai juste le sentiment de me tirer une balle dans le pied !
Pourquoi ne demande t’on jamais aux peintres qui peignent à l’huile ou à l’acrylique de faire des démos ?
Pourquoi est ce que les gens qui peignent, qui regardent les démos, qui suivent des stages ne sont pas nos acheteurs ? Si parfois ils le sont, cela reste dans une proportion infinitésimale.
Chaque fois que je vends une de mes aquarelles, je suis étonnée de constater que l’acquéreur est un profane. S’il est toujours intéressé de connaître l’histoire de l’aquarelle et ce qui a pu susciter en moi son interprétation sur le papier, il se fout totalement de la quantité d’eau que j’ai pu mettre, si j’ai mouillé mon papier partout ou juste par zones, si j’ai un petit ou un gros pinceau et si ses poils sont naturels ou synthétiques. J’aime vraiment qu’il ne s’y intéresse pas et qu’il ne se pose pas toutes ces questions qui finalement ne concernent que moi.

Ne pas tout dire, ne pas tout montrer pour que l’art reste de l’art.

mardi 10 mai 2016

Aux innocents les mains sales


Denis Baupin est innocent.
Il est innocent puisqu’il n’a pas été inculpé et puisqu’aucune plainte n’a été déposée contre lui.
C’est comme ça, c’est la démocratie et je me félicite de vivre dans une démocratie, j’en suis même heureuse. J’ai entrevue la vie dans un pays sans démocratie et j’ai pris la mesure de son absence.
Alors Denis Baupin est innocent pour l’instant et on ne lapide pas un innocent.
Je suis aussi de celles qui pensent qu’il ne doit pas être totalement innocent car j’ai connu le harcèlement sexuel et je sais qu’on le subit sans rien dire, sans rien dénoncer.
Je me souviens du grand studio Givet à Grenoble où je travaillais derrière le comptoir de vente. Le chef vendeur qui s’appelait Suarez (c’est son vrai nom) et qui me poursuivait dans l’arrière magasin pour me parler de ma bouche sensuelle. Un matin, alors que j’étais encore en manteau et que je passais devant lui pour aller au vestiaire, il m’appelle et me dit : - Venez Véronique, j’ai quelque chose à vous montrer. Je m’approche de son bureau, il ouvre un tiroir et en sort un tube de rouge à lèvres et me dit : -C’est pour vous si vous acceptez d’en mettre sur vos lèvres.
Et il y a eu le jour où je servais un client, debout derrière le haut comptoir et je sens des mains qui me caressent les jambes et remontent très haut sur mes cuisses. Je me retourne et me baisse pour découvrir l’immonde Suarez accroupi à mes pieds et qui murmure : -Comme j’aime le printemps quand les femmes enlèvent leurs bas.
Je l’ai attrapé par son pull et l’ai fait se relever pour prendre le client à témoin de ce qu’il me faisait. Je crois que le client n’a rien compris et que le salopard de Suarez n’a même pas eu honte.
J’avais 25 ans et je n’ai évidemment rien dit à personne. Je suis certaine que mes collègues présents ce jour là, ont vu la scène mais n’en ont rien dit.
Je me souviens aussi de mon passage en intérim dans l’entreprise de nettoyage Onet, les négriers modernes, le jour où le directeur adjoint m’a proposé de me sauter sur son bureau. Ce sont ses termes exacts.
Je me souviens de ma visite à mon mari dans son bureau et dans son dos, le directeur de la caisse maladie qui me faisait par gestes des allusions sexuelles sans équivoque. Je n’en ai rien dit à mon mari. Comment lui raconter que le mec dont il était l’adjoint avait des problèmes avec sa bite ? Je le ressentais comme ça crûment avec toute la vulgarité qu’il avait exprimée.
Je me souviens du député maire et sénateur de ma commune que je côtoyais pour avoir fait sa campagne photo et qui m’a proposé quand il a été élu sénateur d’être son attachée parlementaire.  Cette proposition n’a duré que le temps de la proposition qui lui a succédé dans les semaines suivantes : - Nous irons souvent à Paris ensemble et nous dormirons à l’hôtel.
Après lui avoir fait préciser que nous dormirions dans la même chambre, je lui ai dit que je n’étais pas d’accord. Il n’a plus été question de rien et je n’ai jamais été attachée parlementaire.
Tous ces harceleurs sont innocents puisque  je ne me suis jamais plainte et que je me suis tu.

Mais moi, je sais que ce sont des salopards et qu’ils sont coupables.