jeudi 6 octobre 2022

La matinée de l’archange saint Michel.

 


     Ce matin sur la place Nationale, Montauban célébrait l’archange saint Michel. Nous n’en savions pas plus, alors comme c’est à deux minutes de chez nous, nous sommes allés prendre un café en terrasse, sur le petit bout du carreau de la place Nationale qui était resté disponible pour quelques tables, toute la place étant investie par le 17e régiment du génie parachutiste de Montauban. On comprend que c’est une célébration militaire et je me souviens que saint Michel est le patron protecteur des parachutistes en vérifiant sur Google. 

     Les soldats se mettent en place, les musiciens d’un côté, ceux en armes regroupés sur trois ailes de la place, la quatrième étant réservée aux officiels. C’est ce que l’on comprend en voyant une sorte de tribune installé sous un dais. 

     On traine sur notre terrasse rétrécie en suivant la mise en place des opérations et je sens que Jno réfléchit. Il me dit, on va faire le tour de la place par les couverts (les arcades pour les Parisiens), alors on marche tranquillement pendant que la cérémonie démarre. 

     Je cherche à repérer ma journaliste de La Dépêche, celle que j’ai vue samedi et qui doit me faire un article, je voudrais lui demander où elle en est. Jno continue d’arpenter le bord du carreau et soudain il me dit, Valérie Rabault est là et je pense qu’elle aussi nous a vus ! C’est elle qu’il cherchait. Notre députée a déposé en juin à l’Assemblée Nationale une proposition de résolution visant à demander une enquête sur les adoptions illégales et nous voudrions savoir quel sera le calendrier, si elle a réalisé ce que représentait la communication de l’ONU de la semaine dernière, si elle pense toujours à nous. 

     Alors on se poste chacun sous un angle différent pour ne pas la perdre de vue suivant notre stratégie bien élaborée et qui a fait ses preuves depuis maintenant quatre ans. Jno me dit, on va l’intercepter et lui demander où elle en est avec sa résolution et lui parler de l’ONU.

     La cérémonie se déroule, une maitresse de cérémonie commente les étapes et soudain j’entends : la marraine du régiment, la princesse Caroline de Hanovre va passer les troupes en revue. Je réfléchis et interroge la case de mon cerveau rattachée à Stéphane Bern, je cherche la princesse des yeux et je la reconnais, c’est bien elle, Caroline de Monaco. Pour ceux qui ne sont pas abonnés à Point de Vue, Caroline de Monaco est devenue princesse de Hanovre en 1999. 

     Jno, lui poursuit son idée de profiter de l’occasion pour parler à Valérie Rabault. Je lui glisse que ce n’est peut-être pas le bon moment, qu’à ses côtés, il y a Caroline de Monaco et sans doute tout le service d’ordre qui va avec. Il me regarde et me dit, ça ne change rien. 

     La cérémonie est terminée, j’en demande confirmation au soldat qui est posté à notre niveau et qui n’est pas là pour parader, je sais que son fusil mitrailleur est opérationnel. Je regarde le groupe des officiels qui s’est mis à l’écart dans un angle des couverts de la place, Madame le Maire à qui on n’a rien à demander, notre députée à qui on a tout à demander, Caroline au milieu et des généraux pleins d’étoiles autour. 

     Je sais que je ne vais pas y aller, pour une fois j’ai peur. Ils sont entre eux, j’ai les cheveux gras accrochés dans une pince à la va vite à la sortie de la salle de bain et Jno a un sac de courses à la main. On a l’allure de Raymonde et Robert Bidochon. 

     Je n’ai pas peur d’aller aborder notre députée, j’ai peur de la protection dont doit bénéficier Caroline de Monaco et je me vois déjà plaquée au sol par un officier de sécurité et l’angoisse m’interdit d’y aller. 

     Jno ne doit pas se poser toutes ces questions car il me prend soudain le bras avec sa main qui ne porte pas le sac de courses et me dit, on y va car ils sont en train de démarrer pour aller sans doute boire un pot à la mairie et après ce sera foutu. 

     Alors on y va, je ferme les yeux et fais le vide, mais il ne se passe rien puisque notre députée nous reconnaît et comme le placage au sol n’arrive pas, mon angoisse tombe au sol aussi sec. 

     Nous avons donc échangé, en marchant entre Valérie et Caroline, Caroline de Monaco que j’avais d’ailleurs complètement oubliée. Comme quoi, on se fait bien de l’angoisse pour rien ! Notre députée nous a rassurés, elle a bien en tête la proposition de résolution qu’elle a déposée et elle y travaille pour le début de l’année. On lui a parlé de l’ONU de VAIA. Et puis ils ont continué tout droit et nous, on a tourné à droite pour rentrer chez nous. 

     Pour faire celle qui était totalement décontractée, j’ai dit à Jno, ça fait drôle quand même de se retrouver à marcher à coté de Caroline de Monaco. 

     Il m’a répondu, ce qui me fait le plus bizarre, c’est de me dire que je l’ai connue quand elle était enfant. 

     Je lui ai dit, mais enfin Jno, elle a mon âge ! 

     Il m’a regardé en répliquant, ah oui, c’est vrai !

     

     


samedi 1 octobre 2022

La solitude de l'auteur en dédicace.

 



   La solitude de l’auteur en dédicace. 

   Seule devant une pile de livres que les clients contournent tel un marin abordant le cap Horn pris dans les cinquantièmes hurlants, reprenant leur souffle une fois le péril écarté, une fois la pile de livres dépassée et hors de leur champ de vision. 

   À peine installée, je vois une cliente apparaître dans l’allée centrale entre les deux tables de livres qui précèdent la table dédiée aux miens, à ma dédicace. 

   La soixantaine mal soignée, elle s’avance en tirant son chariot de courses. Le samedi matin à Montauban, c’est le grand marché des producteurs sur l’allée de l’Empereur, elle en vient. Entre les deux tables de livres, elle s’arrête pour changer de côté une rose rose emballée en solitaire dans un cornet de papier cristal. Je me dis qu’elle a peur de l’accrocher. Je me demande si on lui a offert ou si elle l’a achetée. La rose est trop soigneusement emballée pour que ce soit un cadeau publicitaire, d’autant que ce n’est plus la fête des Mères et j’en conclus qu’elle l’a achetée pour l’offrir. Ça fait désuet, ça ne se fait plus d’offrir une seule rose, c’est un truc d’amoureux ou un truc de radin. Elle l’a peut-être achetée pour elle, et je vois la rose passer la semaine en solitaire, posée sur un napperon au crochet. C’est ce que j’imagine pendant que la dame avance avec son chariot en faisant un gros détour devant ma table et se dirige vers le fond de la librairie en montant les quelques marches qui conduisent au rayon de la littérature jeunesse. C’est peut-être une grand-mère. Pourquoi n’a-t-elle pas laissé son chariot de courses à l’entrée et le trimballe-t-elle comme elle trimballe ses kilos en ahanant dans la librairie ? 

   Je n’ai pas le temps d’y réfléchir, une femme arrive très déterminée face à moi, toujours la soixantaine fatiguée et peut-être bien la soixante-dizaine bien sonnée, regarde mes livres et me dit, j’ai adopté, mais ce n’est pas un trafic. Je souris en pensant, ils disent tous ça. Elle ajoute, j’ai adopté ma nièce et elle se met à me raconter les circonstances que j’oublie au fur et à mesure, car elle n’est pas sympathique et d’ailleurs ça ne dure pas trop puisqu’elle termine en me disant, de toute manière, je n’achèterai pas votre livre, je n’ai pas du tout envie de lire ce genre d’histoire. Au revoir, madame. C’est moi qui lui ai dit au revoir, elle, elle est partie aussi sec. 

   L’arrivée de la journaliste de La Dépêche me sort d’une déprime que je tente de réprimer. Elle s’installe souriante et intéressée par mon histoire tout en me précisant qu’on ne lui a remis mon livre qu’hier soir et qu’elle l’a juste commencé, mais l’aura terminé d’ici deux ou trois jours et finalisera son article. Elle a l’expérience de la vie et comprend vite le propos de mon témoignage. Elle repart en me laissant ses coordonnées pour que je lui envoie les liens vers les derniers articles qui ont paru. 

   C’est à ce moment-là que je remarque qu’un homme est resté debout à environ deux mètres en retrait tout le temps de notre entretien. Dès que la journaliste se lève de sa chaise et me quitte, il s’avance vers la table et me dit qu’il a entendu tout notre entretien et a compris le propos de mon livre. Comme il reste debout, je me lève. 

   Il commence par me raconter le début de sa vie en Algérie, puis en Ariège, puis ses études brillantes à Toulouse, mathématique, droit, économie, CNRS, son père dans la Royale Air Force, ça dure, ça tourne en boucle et il doit remarquer mon impatience que je contiens malgré tout très poliment. Il me dit alors en regardant ma pile de livres, ma femme a acheté votre livre. Il ne s’attarde pas, ça doit se voir que je ne le crois pas. Il continue et je ne sais pas comment il a pris le virage, mais maintenant il me parle de météorites, pile le truc qui ne m’intéresse absolument pas. Et comment les météorites l’ont-elles amené sur le terrain du sexe ? C’est une énigme, mais soudain il me parle du point G tout en me disant que ce n’est pas ce que j’imagine, c’est le point Géolocalisé, appuyant son propos d’un clin d’œil. Comme si ça pouvait me rassurer, c’est tout le contraire, je me demande comment ça va se terminer et je ne suis plus confiante du tout. Je suis toujours debout et ça me fatigue, mais je me dis qu’avec un peu de chance vue que ça fait déjà une heure qu’il me débobine son délire, je vais m’évanouir, je souhaite même un bon petit malaise vagal pour échapper au discours gluant de ce mec. Je le regarde et il est vieux. Je n’ai rien contre les vieux, il y en a même qui peuvent vraiment me plaire, mais ce vieux est laid avec ses cheveux colorés en noir jais. Il est soudain carrément hideux quand il me reparle du point G, je vois de la bave entre ses dents et sur le bord de ses lèvres et ça me donne envie de gerber. 

   Je voudrais que les libraires et leurs employés voient que je suis en difficulté, mais personne ne bouge, je cherche leurs regards pour m’y accrocher, mais en vain. 

   Alors je regarde autour de moi et comme une bouée de sauvetage, j’aperçois des couvertures familières, «Cher connard» soudain me rassure, j’ai l’impression d’être dans ma chambre, je m’évade avec cet objet que j’avais dans les mains hier soir. La méthode étant efficace, je poursuis l’exploration de la table qui est devant moi et je reconnais «Disparaître» de Lionel Duroy. Ces deux couvertures m’appartiennent, je sens que ça m’aide à supporter le connard réel qui est face à moi.

   Il poursuit ses histoires de météorites et j’entends qu’il me dit, il faut chatouiller le point G. Je le regarde ahurie. Il est hilare et content de son effet. Je cherche toujours le secours des libraires qui circulent affairés tête baissée. Le connard hideux est passé à un répertoire scientifique, énonçant tous les noms des professeurs qu’il a fréquentés et dont il a été l’ami. Puis soudain il me parle d’une femme, Suzanne. Je redeviens attentive, j’adore ce prénom alors ça me fait chier qu’elle s’appelle Suzanne, surtout quand il me raconte qu’elle voulait qu’il la baise en me mimant l’acte, remuant le bassin d’avant en arrière devant ma pile de livres. Il rigole doucement avec sa bave entre les dents, surtout sur la canine de gauche qui est légèrement proéminente. Et il termine en disant, j’ai pas pu. Je reste impassible même si je ne m’attendais pas à cette chute et cherche une autre couverture rassurante en explorant la table qui est sur ma gauche et comme par miracle, c’est Lionel Duroy en photo pleine page de la version poche de «L’homme qui tremble» qui vient me tendre la main. Je ne dirige plus mes pensées, je me dis, tiens je ne savais pas que Lionel avait une version poche de «L’homme qui tremble», je me dis, la chance qu’il soit en couverture, ça m’emmène loin du connard qui est face à moi pendant quelques secondes. Pendant ce temps, le connard lubrique poursuit et ajoute un détail à son histoire avec Suzanne, il me dit, j’ai un petit sexe. C’est là qu’on est en droit de penser qu’il est vraiment un gros connard, car quel est le mec qui annonce à une femme qu’il a une petite queue ? J’aurais pu éclater de rire, mais en réalité, j’ai peur, car il s’approche de moi et le seul truc qui me rassure, c’est la table et la pile de livres entre nous. Je me suis néanmoins reculée d’un mètre. Il a poursuivi son récit qui ne laissait plus de place au doute, m’a dit que j’étais très belle. Je m’en suis foutu totalement, j’ai eu peur. 

   Il a fini par partir et je ne sais même pas comment. 

   Jno est arrivé. On est allés déjeuner. Je lui ai raconté en pleurant. 

   Je suis retournée pour l’après-midi devant ma pile de livres. 

   C’était toujours aussi triste, mais c’était amusant d’observer les clients. J’adore observer. 

Il y a eu des gens qui se sont précipités sur moi en me disant bonjour avec un immense sourire, ils me prenaient pour une employée de la librairie et me demandaient des titres. 

   Un client que j’ai eu du mal à identifier homme ou femme, mais ça ne m’a pas dérangée, est venu me demander comment j’étais parvenue à me faire éditer. Il était gentil et j’ai eu immédiatement le sentiment qu’il ne me communiquerait pas la taille de sa queue alors on a discuté un moment, même si je savais qu’il n’achèterait pas mon livre. 

   J’ai eu le temps d’observer les gens. Il y a ceux qui entrent avec une l’idée précise du titre qu’ils vont acheter, noté sur le smartphone qu’ils tiennent à la main. D’autres se baladent entre les tables et feuillettent les nouveautés. Je n’ai vu qu’une seule cliente se saisir de «Cher connard», le feuilleter et le reposer. J’aurais aimé aller lui dire que c’était un super livre plein d’humanité. Personne ne s’est saisi de «Disparaître» et là aussi, j’aurais aimé pouvoir dire à ceux qui erraient entre les tables que c’était l’un des meilleurs livres de Duroy. 

   En fin d’après-midi, il y a eu la troisième personne. La troisième qui est venue me parler. Une femme handicapée avec un déambulateur qui a eu des difficultés à s’asseoir sur la chaise face à moi. J’ai pu rester assise ce coup-ci. Rapidement je m’adapte à son phrasé handicapé, ce n’est finalement pas bien pire que l’accent de la campagne montalbanaise ou l’anglais des Sri Lankais, je suis adaptable d’autant qu’elle est intelligente. Mais elle aussi, est partie pour me raconter sa vie et attaque d’emblée en me disant, j’ai été adoptée. J’ai envie de m’enfuir. Je l’écoute me raconter qu’elle a 57 ans, est née handicapée et que donc, on s’est débarrassé d’elle à la DDASS. Elle ajoute, quand la mère boit ce sont les enfants qui trinquent. Elle parle à toute vitesse et a des expressions déformées qui me font rire. Un truc avec Albert que j’ai oublié et qu’elle dit deux fois et j’éclate de rire deux fois, mais elle ne s’en froisse pas. Elle me parle de son frère en me disant, enfin un demi-frère comme mes demi-sœurs, je ne lui dis pas qu’avec Jno je suis habituée aux demis, elle poursuit et me décrit son frère, bipolaire, autiste, entêté. C’est l’entêté qui me plaît, je le suis aussi, mais elle le met sur le même plan que bipolaire et autiste et je me demande ce que ça peut donner. Je cherche et elle me reparle encore d’Albert, mais je n’arrive pas à me souvenir dans quelle expression, j’aurais dû noter, car c’était très drôle. 

   Elle parle à toute vitesse et me dit qu’elle est sortie pour porter son plaid au pressing et s’est arrêtée à la librairie pour acheter un livre à offrir à son amie qui a 90 ans et qui lit beaucoup. Elle consulte en lisant à voix feutrée, mais audible (c’est troublant) la quatrième couverture de mon livre et me dit, je vais lui offrir, ça lui plaira. Mon amie lit et ensuite elle me raconte l’histoire. 

   J’ai dédicacé : Pour Madeleine de la part d’Anne-Marie à qui vous lirez mon histoire.

Elle m’a dit, merci, vous êtes une belle personne que j’aime. 

   Je suis partie. 

   Il était 17 h. Jno est venu à ma rencontre et on est allés boire un demi sur la place Nationale. 

   Je lui ai dit, pas un seul «Cher connard» de vendu alors qu’elle est doit être à 100000 ventes, moi j’ai vendu un exemplaire. 

   

    


jeudi 25 août 2022

la séance photo avec mon assistant.

 


Quand un livre est publié, il se met en route une machine qui vous échappe. C’est ce que je découvre au fil des mois depuis que j’ai rencontré City Éditions la maison d’édition qui a choisi de faire le pari sur moi en me soutenant et je les en remercie encore. 

Dans cette machine qui se met en route, il y a comme toujours les moments agréables et ceux qui le sont moins. Je ne vais vous parler que des moments agréables comme celui d’être reçue dans sa librairie telle une personne faisant partie de la famille ou celui d’avoir un gentil attaché de presse qui vous dit, ne vous inquiétez pas, je m’occupe de tout et on va bien travailler ensemble. 

Mais pour travailler ensemble, il faut quand même que je lui fournisse de la matière, lire mon livre ne suffit pas pour organiser sa promo. 

Et hier matin, il m’a annoncé, il me faut des photos. Et là, soudain, je réalise que les photos que je ressors à chaque occasion ont déjà trois ans et que je ne peux pas les recycler éternellement. Grosse angoisse, car je suis arrivée à un âge où les photos, ça fait très peur et d’autant plus peur que j’en ai énormément fait depuis l’âge de quinze ans et pendant des décennies sans me poser aucune question, sans même vérifier ce que le photographe faisait, mais aujourd’hui je veux non seulement vérifier, mais contrôler. 

Et puis on vieillit, et plus je vieillis pour le dire avec un peu plus de courage, et moins j’ai de courage pour me mettre devant un objectif. 

Philippe, mon ami photographe est en vacances, il va falloir compter sans lui, il va falloir compter uniquement sur Jno, c’est à dire surtout sur moi et notre capacité à ne pas nous engueuler. 

Jno ne sait utiliser que son iPhone et prétend que depuis que je suis passée de Canon à Fuji, il est devenu impossible pour lui de prendre une photo avec mon appareil photo. Mais il m’a dit, on va le faire, on va y arriver si tu me prépares tout. 

Nous avons donc tout préparé, le grand fond noir qui dans notre nouvel appartement est très facile à placer sur de grosses tringles de placard qui font face à deux fenêtres qui procurent une jolie lumière en fin d’après-midi. L’installation du studio a été assez facile, c’était à notre portée. 

Dans son rôle d’assistant presse-bouton, Jno est parvenu à monter le trépied tout seul, je n’ai plus eu qu’à y fixer mon boîtier. 

Tout était prêt pour la prise de vues, il ne manquait que le sujet. 

Le sujet déjà un peu fatigué par sa journée et par anticipation de ce qui l’attendait est passé à la salle de bain pour se regarder dans le miroir et évaluer l’amplitude des dégâts et des améliorations envisageables. Mise en œuvre rapide des améliorations, mise en condition psychologique pour se dire qu’on est arrivé au maximum des améliorations et que ce qui n’a pas passé le cap est dû au bonus de la vieillesse, la sagesse, ils disent et le sujet s’en persuade avant de ressortir de la salle de bain et de se présenter face à l’objectif. 

Avant de me présenter à mon assistant presse-bouton, j’avais enfilé une tenue neutre pour éviter de renouveler la bourde de la robe qui boudine. 

J’ai commencé par placer mon assistant sur l’escabeau dos au fond noir afin de régler la focale, la hauteur du cadrage et prendre une photo en exemple pour lui montrer ce que j’attendais de lui. 

À mon tour, je me suis assise sur l’escabeau, il m’a regardée et m’a demandé si je ne crevais pas de chaud avec mon pull en pur cachemire et mes épais collants. J’ai dit si, mais c’est ce que j’ai de mieux en noir. Je voulais être noir sur noir, nous avions déjà réalisé ce type de photo, il y a trois ans et j’aime le rendu. 

Et on a commencé. J’ai dû expliquer à mon assistant qu’on ne pressait pas un déclencheur comme une brute, et que même si le boîtier était monté sur un trépied, on passait délicatement sa main dessous quand on déclenchait. 

Les premiers résultats sont décevants, j’ai plein de reflets mordorés dans mes verres de lunettes. Je décide alors de faire les photos sans lunettes, mais ça ne va pas non plus, ce n’est plus vraiment moi et ça me donne une tête de vieille vraiment vieille. 

Je ne comprends pas pourquoi quand j’ai fait les essais avec Jno, il n’y a pas eu de reflets dans ses verres alors qu’il est exactement placé au même endroit que moi et que j’ai payé mes verres aussi cher que les siens. Jno trouve une explication qui semble plausible, même si nous n’en avons pas la preuve scientifique, en m’expliquant que nous n’avons pas du tout la même correction, lui depuis son opération a une correction de rien du tout alors que moi, j’ai des verres plus épais et sans doute une courbure qui perturbe la lumière. 

Qu’à cela ne tienne, puisque ses verres ne causent pas de reflets perturbants, je vais chausser ses lunettes pour les photos. Nous avons chacun des montures rondes et personne n’y verra que du feu, surtout moi qui n’y vois vraiment plus rien face à l’objectif et fais confiance les yeux fermés à mon assistant appliqué et concentré. 

Je reconnais que le coup de l’échange des lunettes, même un pro ne l’aurait pas osé. 

Au bout de trente minutes de prise de vues, on est satisfaits de ce que l’on voit sur l’écran de l’appareil de photo et j’annonce à mon assistant que je le libère. Je suis surtout pressée d’enlever mon pull en pur cachemire et mes épais collants. 

Verdict final devant l’écran de mon mac, ça va. 

Ça ira encore pour cette fois. 


jeudi 16 juin 2022

Casimir

@caroline.fourest  @publicsenat mai 2022


Se lever tôt.

Lire des commentaires de mécontents alors qu’on avait imaginé leur faire plaisir

Penser à Casimir

Aller à un rendez-vous à l’hôpital de Toulouse

Faire la route dans les embouteillages 

Il fait chaud mais la clim fonctionne bien dans la voiture

Ça compense les commentaires des mécontents

Le médecin est gentil et attentionné et même plus, il se soucie de moi. 

Ça console, il s’appelle Xavier mais aurait pu s’appeler Casimir

Retour dans la chaleur

La clim fonctionne toujours bien

Les commentaires méchants aussi 

Penser à Casimir

Passage au marché de Montauban 

Trop tard

Tout le monde replie 

Marché vide 

Je déprime 

Valérie Rabault surgit telle une apparition

Elle s’appelle Valérie, mais aurait pu s’appeler Casimir

Je me confie et elle rigole

Elle a l’habitude, pas moi

Après-midi de bricolage avec un ami

Ça console, il s’appelle Philippe, mais aurait pu s’appeler Casimir

Pourtant il ne cuisine pas de gloubiboulga

Alors on mange des financiers 

Soirée déprime maximum 

Les commentaires méchants tournent aux insultes

Penser à Casimir

Soirée vide devant le vide d’un téléfilm de France 2

Vider les réseaux des haters 

Tout bloquer 

S’endormir dans les bras de Casimir. 


 

samedi 7 mai 2022

Bobine de fil dans le désordre

 



Toujours dans ma découverte des commerces de Montauban, ce matin je cherchais une mercerie pour acheter du fil. 
Je suis entrée dans ce que j’identifiais comme un magasin susceptible de vendre un peu de mercerie, mais quand je dis que je suis entrée, c’est une formulation d’usage, car je n’ai pas pu entrer. J’ai simplement pu déclencher une sonnette en poussant la porte qui s’est entrebâillée de vingt centimètres en allant buter contre des cartons. Arrivée à ce moment-là, j’ai douté d’avoir poussé la bonne porte, alors je suis ressortie en prenant un peu de recul sur le trottoir, mais c’était bien la bonne entrée et j’ai donc repoussé la porte et essayé de faire passer ma tête. 
Je me suis crue en Inde.
J’ai vu une autre tête surgir dans le fond et par un couloir large de cinquante centimètres un corps se frayait un chemin en marmonnant, faut pas que je grossisse. 
Quand la personne est arrivée, je lui ai demandé mon fil en lui montrant un échantillon pour la couleur, depuis le trottoir en passant la main par les vingt centimètres d’ouverture concédés par la porte. 
Je voulais du fil écru. Elle est revenue assez longtemps plus tard avec une bobine qu’elle m’a tendue par l’entrebâillement, j’ai l’impression que le fil est blanc, pas écru, et je lui dis, mais elle me répond, regardez bien, c’est blanc nacré. J’ai bien regardé et j’ai trouvé que c’était poussiéreux, blanc poussiéreux, mais pas nacré. J’ai osé insisté pour obtenir un ton plus beige et elle est repartie par le même goulot de cinquante centimètres pour revenir avec une bobine plus conforme au niveau couleur, mais qui sortait plus de sa boite à couture que d’un rayon de la boutique. Je me permets de lui faire remarquer que pour la couleur ça pourrait aller, mais que la bobine est bien entamée. Elle ne nie pas, elle ne cherchait d’ailleurs pas à me le faire croire et me dit, c’est pour vous dépanner. 
Je suis OK et je lui paie les trois euros qu’elle me demande pour sa moitié de bobine et me lance à lui demander s’il y a des merceries dans le centre-ville. Sa réponse tombe, implacable : 
— Moi, vous savez j’ai déjà bien assez à faire avec tout ce que j’ai ici, alors je me moque complètement de ce que font les autres. 

dimanche 1 mai 2022

Les rideaux

 


Aujourd’hui, cela fait un mois que nous habitons à Montauban et cela fait un mois que nous nous installons, avec de l’aide et aussi souvent tout seuls ce qui ne serait pas très grave si nous étions de bons bricoleurs, ce qui n’est pas le cas, nous sommes juste bourrés de bonne volonté et de mauvaise humeur quand le mur à franchir est trop haut. 

Quand nous tentons malgré tout de franchir le mur, cela nous amène à des épisodes dignes de Mr Bean et l’épisode du rideau de la chambre fait partie du florilège. 

Il y avait déjà un rideau occultant à la fenêtre de notre chambre, mais pas super beau et bien moins beau que celui que nous avions dans notre maison et que j’avais récupéré. Mon plan était donc de remettre mon beau rideau en le doublant du rideau en place. Jusque là, ce n’est que de la couture et même sur 3 m 50, je gère bien et seule. 

Malheureusement, nous avions détecté un léger défaut, c’est que la barre de rideau avait été placée à ras du plafond et que la tête de rideau frottait et que le rideau circulait très mal. Pas de problème, me dit mon mari bricoleur, je vais baisser légèrement la barre et le rideau coulissera sans entrave. 

Le seul risque encouru, c’est la hauteur sous plafond, un bon 3 m 50. Heureusement, car nous avons toujours une chance incroyable, la copropriété a acheté un immense escabeau qui est à disposition dans le couloir de la cave et nous avons donc pu atteindre les sommets, juchés sur cette double échelle. 

Lorsque tout a été installé, que le grand, lourd et beau rideau coulissait joyeusement sur sa tringle, j’ai voulu rabattre les volets intérieurs et là, déception, les volets butaient sur la barre et ne se rabattaient plus… 

Grâce aux rideaux mis en place – et qui coulissaient comme des neufs – nous avons quand même pu obscurcir la chambre pour la nuit et surtout réfléchir au plan B. 

L’idée première de mon mari bricoleur était de placer des potences de barre plus longue pour ainsi gagner de la place en avant de la fenêtre et pouvoir ainsi rabattre les volets intérieurs. 

J’ai suivi son idée que je trouvais excellente, j’avais même repéré les potences ad hoc sur le site Mr Bricolage et ce ne serait que l’affaire de la matinée du lendemain pour que tout soit remis en place correctement, volets qui s’ouvrent et rideau qui circule. 

Mais dans la nuit, j’y ai repensé, j’ai refait le schéma, volets, fenêtre, rideaux et à 3 h du matin, j’ai compris que ce n’était pas une affaire de longueur de potence, mais tout simplement que nous avions descendu la barre de rideaux devant la fenêtre et que ce n’était pas que les volets qui ne se rabattaient plus, c’était la fenêtre qui ne s’ouvrait plus. 

J’avais constaté pour les volets, mais je n’avais pas essayé d’ouvrir la fenêtre. 

Je n’ai pas réveillé mon mari bricoleur pour lui annoncer ma conclusion que je ressentais comme une révélation, mais ça, c’était parce qu’il était 3 h du matin et qu’à des heures aussi matinales, le moindre truc prend des allures de révélation. 

J’ai attendu le petit déjeuner. 
Je lui ai dit et il m'a répondu : 
- C'est pour ça qu'ils avaient placé la barre à ras du plafond.

Les bonnes nouvelles, c’est qu’on n’a pas eu à aller voir Mr Bricolage, qu’on a fait l’économie de deux potences et qu’il suffisait de remonter la barre et de la refixer dans sa position initiale, même pas de trous à repercer. 

Il a fallu tout de même gravir de nouveau notre sommet à 3 m 50.

J’ai raccourci mon rideau par le haut pour qu’il ne racle plus le plafond. 

C’était si simple et pourtant ça nous a pris deux matinées. 



jeudi 24 mars 2022

Histoire de table

 

Nous déménageons et depuis deux mois nous trions nos affaires. 

Nous nous sommes séparés de beaucoup de choses inutiles ou qui n’allaient plus avoir leur place dans le nouveau logement. On a revendu ce que l’on pouvait revendre, car nous avions besoin d’argent et on a donné ce qui n’avait pas trouvé preneur. 

Il restait une table qui n’intéressait personne, alors on a demandé à Emmaüs de passer la récupérer. 

Le gros manque de chance, c’est qu’il y a des travaux dans une maison voisine et que notre rue est barrée depuis plus d’une semaine, et ce, jusqu’au 1er avril. Cela n’est jamais arrivé depuis plus de quatre ans que nous habitons ici et ça arrive pile quand on déménage. Ça n’est pas trop grave, on a prévenu le déménageur que lundi prochain il devrait faire une marche arrière pour repartir. 

Je reviens à Emmaüs dont le passage était prévu pour ce matin et qu’il a fallu aussi prévenir que notre rue était barrée, mais qu’ils pouvaient quand même venir chercher notre table. On n’a pas osé trop insister sur la marche arrière qu’ils devraient faire. 

Hier, il a fallu prendre notre courage pour descendre la table au rez-de-chaussée, car Emmaüs demande que l’on dépose les meubles dans la rue. 

On a commencé par le plateau en verre que l’on est parvenu à apporter au bas de notre escalier en colimaçon sans le briser. 

Et ensuite, on s’est occupé de toute la structure en métal qui était super lourde et qui tournait à peine dans la cage d’escalier dont on essayait de ne pas labourer les murs en pensant au futur propriétaire qui a quand même payé plusieurs milliers d’euros et auquel on ne veut pas laisser une cage d’escalier complètement ruinée. 

On y est arrivé. 

On s’est jeté sur le canapé pour récupérer. 

Jno en boite encore. 

Mais on y est arrivé. 

Ce matin on s’est levé tôt pour sortir la table dans la rue. Jno ne voulait pas louper Emmaüs et il ne m’a pas laissé m’habiller, j’ai fait la manipulation en pyjama. 

Ce coup-ci, c’était assez simple, une distance très courte sur du plat. 

Et c’était fini, on pouvait de nouveau se jeter sur le canapé. 

Jno est parti à la boulangerie, il boitait toujours. 

Quand il est rentré cinq minutes plus tard, la baguette sous le bras, il m’a dit : 

— La table n’y est plus ! Tu as vu le camion d’Emmaüs ? 

— Non, je n’ai rien vu. 

Et là, on s’est regardés, chacun dans un profond questionnement et Jno m’a dit : 

— Je vais voir. 

Il est parti dans la rue, toujours en boitant. Moi je le suivais, toujours en pyjama. 

Il est rapidement entré dans la cour intérieure de la maison en travaux. Je suis arrivée sur ses talons pour voir notre table qui trônait au milieu de la cour. 

Les trois mecs qui étaient là, à côté de la table, ont eu l’air surpris de notre arrivée imprévue. On leur a demandé ce que faisait notre table dans leur cour et qu’en quelque sorte, ils nous l’avaient volée, qu’elle ne leur était pas destinée, qu’elle était devant chez nous pour Emmaüs. 

Leur réponse a été époustouflante : 

— Vous ne l’aviez pas étiquetée !!!! 

On a essayé de leur dire que ça ne nous était pas venu à l’idée de mettre une étiquette précisant qu’il ne fallait pas voler la table, mais en vain. 

L’un des trois, qui semblait être le chef du chantier, avait décidé que nous avions tort. Le type de raisonnement dont nous avons l’habitude depuis maintenant quatre ans, on est super entraînés à avoir tort.  

J’ai néanmoins senti pendant quelques instants, les limites d’un basculement en leur faveur, je me suis vue en pyjama et pantoufles à pompons et Jno qui boitait toujours, c’était compliqué, comme on dit. 

Mais il devait nous rester un semblant de dignité, car ils ont rapidement capitulé et nous ont dit :

— Elle n’était pas étiquetée, mais on va vous la rendre. 

Et ils ont empoigné notre table et ils ont refait le trajet dans la rue, jno, et moi en tête de procession, l’un qui boite et l’autre en pyjama et pantoufles à pompons. 

Depuis son balcon, la voisine qui ressemble à la Janine de Reiser n’en a pas loupé une miette. 

Une heure plus tard, Emmaüs est passé récupérer notre table.



lundi 14 mars 2022

Naissance et mort en Ukraine



Mercredi dernier, le 9 mars, l’hôpital pédiatrique de Marioupol et sa maternité étaient bombardés. 
Rien que cette phrase et on se dit, ça suffit, on n’en peut plus. Sauf que ça ne fait que vingt jours que la guerre en Ukraine a commencé et que les seuls qui ont le droit de dire qu’ils n’en peuvent déjà plus, ce sont les Ukrainiens. Nous, on ne peut pas en avoir marre. 

Je vais en profiter pour faire une diversion, une déviation pour les anglophones, j’aime le mix de ces deux mots semblables et différents.   
Il y a à ce propos de l’émotion que l’on aurait le droit d’exprimer ou pas, une ambiance particulièrement déplaisante sur les réseaux sociaux et qui consiste à dire que l’on n’a rien dit pour la Syrie et qu’on a donc juste le droit de se taire pour l’Ukraine, cette réflexion laissant sous-entendre que nous serions sélectifs dans nos émotions et par conséquent racistes. 
Le raccourci arrive à toute allure. 
À tous ceux qui se sont permis de venir me le dire et à ceux qui le disent à tout va, je voudrais déjà leur répondre, mais qu’est-ce que vous en savez si je ne me suis pas indignée pour la Syrie ? Et je leur dis aussi qu’il n’y a malheureusement pas que la Syrie, mais que l’on peut ajouter, le Rwanda, le Mali, l’Afghanistan, la Géorgie, la Biélorussie, le Yémen, l’Éthiopie et beaucoup d’autres guerres contemporaines, dont personne, n’a rien à foutre. Je n’ai pas parlé du Sri Lanka, car j’entends déjà dire, elle nous ramène encore le Sri Lanka sur le tapis ! Oui une guerre de trente années qui n’a soucié personne, qui n’a pas soulevé l’indignation, que tout le monde a oubliée – pour ceux qui s’en sont inquiété un jour –, mais je n’ai jamais imaginé reprocher ce désintérêt à qui que ce soit, c’était loin et tout le monde a oublié la violence de cette guerre qui a inauguré les attentats suicides avec ceintures d’explosif qui ont bien fait école depuis. Nous, nous étions concernés et parfois en plein dedans. Je n’ai pas oublié le jour, plutôt la nuit sur la route, où j’ai vu Jno sortir de la voiture et avancer face aux fusils mitrailleurs, les bras écartés et les mains ouvertes. Nous avions oublié l’heure du couvre-feu. Ce jour-là, j’ai eu l’effroi de ma vie, j’ai manqué de courage et j’ai dit à Jno, vas-y tout seul, j’ai trop peur. J’y repense souvent, surtout en ce moment, j’ai honte de l’avoir laissé y aller seul. 

Alors cette solidarité envers l’Ukraine soumise à un contrôle, à une sorte de pass militant, elle m’exaspère. Personne n’a à contrôler notre zone d’émotion ni à la juger. 
Ça m’avait tellement perturbée que vendredi dernier, j’ai passé la moitié de la séance chez ma psy à lui demander de me rassurer quant à l’échelle variable de mon émotion angoissée, je lui ai parlé de la poussette rose et du sac transparent aux vêtements bourrés à l’intérieur et cela m’a ramenée aux images de la maternité bombardée le mercredi précédent. 
J’en profite – je profite beaucoup aujourd’hui – pour dénoncer LCI qui dès l’annonce du bombardement a trouvé malin de jouer les experts en nous disant qu’il ne fallait pas s’emballer et que rien ne prouvait que ces images étaient la réalité d’un bombardement et qu’il fallait se montrer prudent. Ils commentaient sur un ton badin, en prenant des poses et en jouant les spécialistes militaires, des images sur lesquelles on voyait des personnes ensanglantées aux regards perdus, des enfants qui pleuraient et l’énorme cratère d’un missile. Quelques jours plus tard, je pourrais dire que j’ai presque honte pour ce genre de journalistes.

Sur les images de ce jour terrible parmi les jours épouvantables, je n’ai pas oublié deux images. 
La première image est celle d’une femme que l’on transporte sur une civière, elle est jeune, elle a la main posée sur le bas de son gros ventre. 
La deuxième image est celle d’une femme en pyjama qui descend un escalier, un sac en plastique à la main, visage en sang son gros ventre en avant. 
Ces deux images une fois que l’on a réussi à faire abstraction de l’horreur qui s’en dégage ont en commun un côté burlesque qui me hante. Chaque fois que je regarde ces photos je ne vois que les pois du tissu rose vif sur lequel repose la jeune mère à l’agonie et les pois du pyjama de la jeune mère qui descend l’escalier de la maternité en ruines. 
Comme le parfum d’un Dysneyland indécent sur le champ de bataille d’une putain de guerre. 
Immédiatement la désinformation russe a tweeté que les mères étaient des comédiennes maquillées de faux sang, affublées de faux ventres. Juste pour sourire, imaginons un instant le casting que les services secrets ukrainiens auraient organisé, ainsi que la séance de maquillage pour la mise en scène devant les caméras. 
Parfois, j’ai quand même envie de ricaner.  
Aujourd’hui, nous avons appris que la jeune mère agonisante sur le rideau à pois et son bébé sont morts. 
Aujourd’hui nous avons appris que la jeune mère en pyjama à pois a accouché d’une petite fille. 
Elle l’a appelée Veronika. 
C’est encore ma putain d’émotion que je ne sais toujours pas maîtriser, mais ça m’a fait plaisir. 




jeudi 10 mars 2022

©Vadim Ghirda

 PHOTO DE GUERRE

Les photos de guerre ont cette qualité effrayante d’être belles. 

Aussi loin que je remonte dans mes souvenirs, j’ai devant mes yeux les regards hagards de soldats américains sous le feu du Vietnam, le fusillé de Robert Capa, l’exécution d’un rebelle viêt-cong dans une rue de Saïgon, la petite fille fuyant les attaques au napalm, The falling man du 11 septembre, l’homme seul debout devant les chars de la place Tiananmen, le drapeau russe hissé sur le Reichstag à Berlin, Allende sur les marches du palais de la Moneda et tant d’autres photos que dans les agences de presse, on appelle photos icônes. 

Est-ce l’urgence de la photo en temps de guerre qui donne à l’image cette beauté effarante ? Est-ce notre lecture qui se laisse submerger par l’émotion et ne laisse plus place à aucune critique que l’on craindrait alors indécente ?
Et pourtant, elles sont belles et époustouflantes les photos que je regarde ces derniers jours. 

Derrière les vitres embuées des trains en partance, des visages d’enfant apparaissent nimbés d’innocence et d’interrogation. 

Des vêtements drapés sur des épaules affaissées, des corps ramassés sur des sièges semblent sortir du tableau d’un maitre flamand. 

Des mains qui se quittent et se rencontrent pour un dernier adieu plaqué sur la vitre d’un train bleu et jaune. 

Dans la boue d’un champ, une poussette rose portée par des soldats casqués à l’avant-bras ceint d’un brassard jaune.
Cette photo hante mes nuits depuis que je l’ai vue. C’est celle-ci qui est imprimée dans mon cerveau et qui me tourmente.
Je ne vois pas l’enfant dans la poussette et je n’imagine pas qu’il y soit. La mère de l’enfant marche derrière, son bébé dans ses bras, serré contre elle. Elle suit la poussette rose et les soldats qui l’aident à franchir le champ boueux dans lequel la poussette ne peut plus rouler.
Sur cette photo, je n’ai vu qu’une seule chose, c’est le paquet de vêtements qui est coincé dans le panier sous la poussette. C’est un sac transparent avec une fermeture éclair comme nous avons tous, pour ranger nos affaires, celles que l’on met de côté pour la saison suivante, celles que l’on conserve pour l’enfant suivant.
Toutes les affaires du bébé sont dans ce sac, toute sa vie est là, exposée à notre regard dans un sac transparent. 

J’ai imaginé sa maman enfournant la layette dans ce sac transparent et le plaçant dans le panier, là où habituellement elle mettait le sac du goûter avec le biberon et les biscuits quand elle allait promener son bébé. 

Cette image et son cortège d’images induites m’ont projetée dans une putain de douleur, une douleur de mère.  



 


dimanche 27 février 2022

L'Ukraine et nous.

Lundi soir, lorsque nous avons vu Poutine signer l’acte de reconnaissance des deux territoires séparatistes du Donbass en Ukraine, je me suis dit que cette fois, c’en était fini de croire que ça pouvait s’arranger avec le mec au regard qui ne regarde pas, avec le mec qui reçoit ses interlocuteurs au bout d’une table d’un kilomètre de long. 
C’était le 21 février et c’est le 24, trois jours plus tard, le mercredi qu’on a bien compris que c’était acté et que la guerre était déclarée.
 J’ai entendu que le 24 février 2022 était devenu une date historique écrite. Je ne sais pas qui l’a dit, sans doute un historien ou un sociologue invité au micro de l’une des chaînes d’information que je laissais tourner en boucle. C’est le qualificatif « écrite » qui m’a interrogée, je l’ai immédiatement remarqué, presque comme un intrus. Nous avons l’habitude d’entendre que la date est historique, de le dire aussi à propos de n’importe quoi et sûrement de choses qui ne sont pas du tout historiques. L’expression est galvaudée et ne signifie plus grand chose, sauf que là, avec la notion de date historique écrite, ça voulait dire bien autre chose, ça voulait dire que le 24 février 2022 était une vraie date historique dramatique. 
Et même sans toute cette analyse des mots, les faits qui se sont déroulés sous nos yeux étaient là et nous ont plongés dans l’hébétude et l’effroi. 
 Je n’ai plus rien eu envie de poster sur les réseaux sociaux, je n’ai plus eu envie de communiquer, je n’ai plus eu envie de sourire, je n’ai plus eu envie que l’on me fasse rire. 
 J’ai appelé un ami, celui qui sait si bien labourer les sillons de son chagrin. J’ai toujours trouvé toujours plus de réconfort à entendre l’écho de ma propre douleur qu’à me faire consoler par des espoirs chimériques. Je lui ai dit ma frayeur à assister impuissante à l’horreur qui allait se dérouler sous nos yeux. Il m’a répondu que notre douleur était liée à notre impuissance, qu’il voudrait être là-bas même si ça ne changerait rien en réalité, que nous ne pouvions rien faire et que c’est ce qui nous rendait malades. Nous avons labouré ensemble les sillons de notre chagrin. 
 J’ai terminé la journée engluée dans mon impuissance, hantée par le fantôme d’Allende, sa dernière photo, celle d’un président casqué sur les marches du palais de la Moneda. 
 Le jour suivant qui n’a pas été un matin de 11 septembre, mais celui qui a annoncé l’espoir sous la forme de sanctions fortes à l’égard de Poutine, j’ai su que nous pourrions être solidaires de l’Ukraine en acceptant le prix à payer et que c’est ainsi que nous serions à leurs côtés. Il s'agissait de bien autre chose que de refiler de vieux vêtements usagés en se libérant la conscience.
 Si cette coalition fonctionne, si cette prise de conscience produit l’effet que nous espérons, il faudra en payer le prix qui est aussi celui de la liberté et de la démocratie. 
Il faudra s’en souvenir, car le coût sera sans commune mesure avec ce que subit aujourd’hui le peuple ukrainien et que nous pourrions nous aussi avoir à subir. 
C’est en acceptant de payer, la tête haute, le coût des sanctions à l’égard de la dictature de Poutine que nous sommes solidaires de l’Ukraine et que nous décidons de notre avenir.

jeudi 20 janvier 2022

Boomerang

 

Blueberry. Christophe Blain

Boomerang.

Pour exposer ses peintures, il faut en passer par toute une série de formalités que je supporte de moins en moins. Je passerai rapidement sur le fait qu’il faut payer pour être exposé, ce sujet ouvre régulièrement la porte aux débats, on peut dire que c’est récurent, que la colère des artistes s’expriment régulièrement, mais que dans le fond ça n’a jamais rien changé puisqu’à quelques rares exceptions près, il faut toujours payer pour accrocher ses œuvres. 

J’ai maintenant appris à accepter sans rechigner l’étape du chèque à rédiger à l’ordre de l’organisateur de l’événement. 

Depuis le début de l’année, le covid faisant moins peur, les appels à candidatures arrivent de nouveau dans ma boîte mail et ce week-end, j’ai pris mon courage à deux mains pour candidater à l’un de ces salons, expositions, biennales, c’est selon et c’est comme vous voulez, de toute manière cela ne change rien à ce qu’ils me demandent. 

Et c’est là que la machine infernale se met en marche et que je déraille. 

Pour les premières lignes du règlement, en principe, ça va. On me demande d’envoyer une sélection de mes œuvres et j’obtempère sans discuter, même si je me demande à chaque fois à quoi sert la plate-forme internet sur laquelle je mets toutes mes œuvres en ligne et pour laquelle je paie un abonnement. Ensuite, il y a les questions de savoir si je veux faire une démo en public, si je veux proposer des stages et parfois si je peux faire du gardiennage sur le lieu de l’expo. À partir de ces paragraphes, je reste le stylo en suspens au-dessus du formulaire et je me demande comment je vais me loger, de combien va augmenter le poste des dépenses et si je peux prendre le risque de dépenser encore de l’argent. Et comme je ne sais pas ce que je dois faire, je fais ce qu’on appelle dans ma famille «une cote mal taillée», je mets des petites croix un peu au hasard sur le calendrier proposé par l’organisateur en espérant que je ferai des ventes pour financer toutes ces dépenses qui se profilent. 

Et puis arrive le moment qui m’assomme définitivement, le dernier tiret des pièces à fournir qui précise 

– Un texte en français présentant votre œuvre, votre façon de peindre et ce qui vous tient à cœur en 1500 signes maximum 

C’est le coup de grâce, «ma façon de peindre» ou «dire ce qui me tient à cœur» c’est le moment où je ne sais plus si j’ai envie de pleurer ou de hurler. Généralement, je fais les deux ensemble. 

Et c’est ce qui est arrivé dimanche dernier, j’étais arrivée à surmonter psychologiquement toutes les étapes, mais quand l’histoire du texte de présentation avec le truc «qui me tient à cœur» est arrivé ça m’a fait hurler. 

Dans le contexte, il faut imaginer que je hurle en prenant Jno à témoin puisque nos bureaux sont alignés, c’est invariablement lui qui ramasse. 

Dimanche, j’ai juste dit – en hurlant tout de même : 

– Mais je n’ai rien à écrire sur ma peinture, il n’y a pas de littérature à faire, il y a juste à la regarder ma peinture pour savoir ce qui me tient à cœur ! 

Et j’ai jeté le dossier de candidature dans ma corbeille, à mes pieds, sous le bureau.  

J’avais tout oublié jusqu’à ce mardi où en me levant j’allume la radio toujours calée sur France Inter et j’entends Augustin Trapenard (oui, je sais, je me lève tard) qui discute avec le talentueux auteur de bandes dessinées Christophe Blain – qui entre tout ce qu’il a produit a ressuscité Blueberry et est à mes yeux un acte qui suffit à le considérer comme un dieu de la BD – et j’entends ce dialogue qui manque de me faire faire une fausse route avec ma tartine beurrée.

«Augustin Trapenard s’adresse à Christophe Blain : 

— Là, c’est un texte que vous avez écrit ce matin qui est un texte sur l’art de raconter des histoires, vous qui êtes, on le rappelle auteur, donc scénariste également. Ce texte j’aimerais que vous nous le lisiez. 

Christophe Blain lui répond :

— Monsieur vous m’avez demandé d’écrire un texte court concernant éventuellement mon humeur, ma préoccupation du moment. Un genre de chronique que je vais devoir lire à ce micro. En somme vous me demandez de faire quelque chose qui ressemble à votre métier. En conséquence de quoi je vous demanderai à mon tour de vouloir bien me faire un dessin. Alors, tenez, voilà un crayon, un carnet. Allez-y, il vous reste une minute trente.»

J’ai hurlé – de rire cette fois – en retenant ma tartine beurrée sur laquelle je venais d’étaler une bonne couche de confiture de mûres et j’ai vu Jno en face de moi se laisser aller à un fou rire dans lequel il devait libérer toutes les colères que j’avais déversées sur lui pendant ces dernières années. 

Et puis, il m’a regardé avec un sourire ému et m’a dit, 

– Tu vois. Tu n’es pas seule. 

Sources : France Inter.Boomerang. Augustin Trapenard Christophe blain. Mardi 18 janvier 2022


 


lundi 17 janvier 2022

L'éditeur


 J’avais oublié. Je ne savais plus que c’était possible. 

Depuis la fin de l’année, j’ai fini mon roman et je suis repartie à la chasse, la chasse à l’éditeur. C’est le moment épouvantable de l’écriture où je sais que j’en ai fini avec les après-midi de bonheur et d’émotion à taper sur le clavier et avant même  d’avoir terminé, je suis déjà angoissée à l’idée de me rapprocher de la dernière ligne parce que je sais que j’entame la vraie galère, celle que je déteste. 

Je sais qu’il y a des chances que j’aie écrit pour rien, pour personne ou presque. 

C’est comme cela parce que je n’ai pas d’éditeur, je n’ai trouvé personne pour défendre ce que j’écris et je dois le défendre (et souvent aussi me défendre) seule. Cette dernière assertion est en partie fausse puisque l’hiver dernier, une maison d’édition suisse voulait éditer «?Titania?» et que j’ai eu le culot inconscient de refuser. La directrice avait énormément insisté et j’avais énormément résisté, car il fallait que «Titania» soit publié en même temps qu’une actualité qui s’annonçait. Ce jour-là j’ai décliné un contrat d’édition et j’ai raccroché le téléphone en me disant que je venais de faire une connerie. Je ne me suis pas laissé le temps de trop y réfléchir et de trop me faire de mal, je me suis répété à l’envi que la publication de «?Titania?» était un acte militant et que je devais faire passer le militantisme avant mes velléités d’écrivain. 

J’ai fait le choix de l’autoédition en contournant auparavant tous les escrocs et les charlatans des fausses maisons d’édition, ceux qui vous répondent dans les quinze jours qui suivent l’envoi de votre manuscrit en vous faisant croire que vous êtes le prochain prix Nobel et qui vous éditent à condition que vous leur fassiez un gros virement et vous engagiez à remplir votre garage des exemplaires achetés à prix d’ami, il s’entend. 

C’est comme cela que «Titania, histoire d’un baby business», est sorti modestement, mais honnêtement en autoédition chez Atramenta. Je savais qu’Atramenta faisait parfaitement son job et surtout était bien distribué par Hachette et présent sur toutes les bases de données. Je savais aussi que je ne bénéficierais d’aucune promotion, d’aucune mise en avant et même pire puisque j’ai eu droit à un appel au boycott, les réseaux sociaux toujours aussi bienveillants ont fait passer le message de ne pas lire mon livre. Ceux qui faisaient passer ce message n’avaient aucune notion de la com, car d’une certaine manière, ils m’ont fait de la promotion en m’injuriant. Mon acte militant et sacrificiel étant accompli, j’ai continué d’écrire, une fiction cette fois et à l’automne 2021, je me suis retrouvée exactement dans la même situation. Un peu plus armée toutefois, puisque j’avais bien en tête tous les noms des fausses maisons d’édition et que j’avais encore plus conscience que toucher une vraie maison d’édition à compte d’éditeur relevait d’un exploit équivalent à celui de gagner le gros lot du loto. Pensée qui me déprimait d’autant plus que je ne joue pas au loto. 

Je suis repartie dans la chasse à l’éditeur, j’ai enfilé mon armure de courage et j’ai repassé mes après-midi sur mon Mac à envoyer le manuscrit du «Silence immobile d’une rencontre» en respectant scrupuleusement les règles imposées par chaque maison, les interlignes, les synopsis ou pas, les résumés ou pas, le premier chapitre ou la totalité, la présentation de l’auteur et son parcours ou rien que le manuscrit sec. 

J’ai essayé de demander de l’aide autour de moi, mais j’ai compris que lorsque je demandais de l’aide, c’était indécent et ça me rappelait que j’étais seule. J’ai vite oublié. 

Dimanche de la semaine dernière, il y a donc huit jours, alors que je finissais un après-midi de cette corvée, je vois arriver dans le coin droit de l’écran de mon Mac la notification d’un mail provenant d’un éditeur que j’avais contacté en début de journée et je me dis, zut – je n’ai pas dit zut, j’ai dit pire –, mon mail me revient, l’adresse ne devait pas être bonne. Je suis tout de même allée ouvrir ledit mail en râlant encore et là, j’ai découvert qu’il avait bien reçu mon manuscrit et qu’en plus il allait le lire et que surtout il voulait que je lui envoie le manuscrit de «Titania». Alors, évidemment je lui ai envoyé, surtout qu’il me disait qu’il avait envie de le défendre. 

Je suis retournée sur Internet et j’ai vérifié au moins dix fois de suite et par des sources différentes que c’était un vrai éditeur et pas un flatteur qui allait remplir mon garage de livres que je ne vendrais jamais. C’était un vrai éditeur, un gros éditeur. C’est l’éditeur du «Tatoueur d’Auschwitz» de «L’horloger de Dachau», du livre de Romain Grosjean entre autres et de plusieurs best-sellers. 

J’ai passé le début de la semaine à me demander si c’était une blague. 

Jeudi, le directeur de la maison d’édition m’a appelée, il m’a parlé longuement de Titania et de sa conviction de vouloir le faire entrer dans sa maison. Il m’a expliqué ce qu’était un contrat d’édition et un contrat audiovisuel (au cas où, j’ai aussi le droit d’y penser) et il a terminé en me disant cette phrase incroyable : Tout ce que je viens de vous dire n'est qu'un engagement oral, mais a pour moi valeur d’engagement. Si cela ne se fait pas, c’est parce que c’est vous, qui aurez dit non. Pour moi, c’est oui, je m’engage. 

Alors, cette fois j’ai dit oui. 

J’ai raccroché dans un état de bonheur incroyable, je suis descendue voir Jno et je lui ai dit : je viens de parler pendant une demi-heure au téléphone avec un inconnu qui était gentil, qui ne m’a pas agressée, qui n’a pas cherché à me coincer ou à m’accuser, qui ne s’est pas méfié de moi, qui n’a pas été intrusif. Il m’a juste parlé de mes manuscrits, de mon écriture et de l’émotion qu’il avait eue à me lire. Je crois que ça fait plus de trois ans que cela ne m’était pas arrivé?! 

Jno m’a demandé si j’allais signer et je lui ai répondu que oui, je n’allais pas dire non une deuxième fois, j’allais signer, mais que ce n’était pas cela qui pour l’instant me faisait flotter dans un nuage de bien-être. Je retrouvais ce que j’avais oublié parce que cela ne m’arrive plus depuis si longtemps de pouvoir parler sans ressentir de l’agressivité et de la méfiance. J’avais oublié que l’on pouvait me demander si tout me convenait et si j’avais des questions. 

Je ne savais pas qu’on pouvait me proposer de l’argent pour écrire, me faire un «?à valoir?» sur les ventes de mon livre. 

Je ne savais pas qu’on pouvait me conseiller. 

Je ne savais pas qu’on pouvait miser sur moi et sur mon écriture. 

J’ai compris qu’il me redisait ce que Lionel Duroy m’avait déjà dit, que j’étais écrivain.   

Cette semaine, j’ai posé ma signature au bas d’un contrat d’édition. 

J’avais oublié que l’on pouvait ne pas se méfier de moi et me parler gentiment. 

J’avais oublié que l’on pouvait croire en moi.