samedi 30 septembre 2023

L'éponge




Un ami vient de m’expliquer combien je peux être déconcertante si l’on ne me connaît pas bien. J’ai eu le temps d’apprendre que je ne suis jamais comme l’on souhaite que je sois, mais là, je reconnais que j’avais frappé haut. 
Il me rappelle ces quelques semaines qu’ils étaient venus passer chez nous en Inde, il y a dix ans, avec sa femme et leur jeune fils. J’étais amie avec sa femme, lui, je le connaissais à peine et inversement, mais il nous avait semblé suffisamment sympathique pour que nous les invitions en famille chez nous dans le sud de l’Inde où nous passions une partie de l’année. L’appartement que nous y louions était immense et des amis ou de la famille venaient régulièrement y passer quelques semaines. Nous les logions, nous leur faisions visiter toute cette région de l’Inde que nous connaissons sur le bout des doigts et pour ceux qui étaient motards, on le faisait à moto. 
C’est ainsi, dans cette logique amicale, que nous avions donc convié mon amie et sa famille à venir en Inde. Mon amie m’avait toutefois bien prévenu qu’il allait falloir qu’elle déploie un arsenal d’arguments pour décider son conjoint. Elle m’avait expliqué que ce dernier n’avait jamais fait de grands voyages et que lui annoncer qu’il allait devoir partir en Inde lui semblait un pari de dingue. 
Je me souviens qu’elle me disait : « Le convaincre de partir en voyage c’est déjà presque impossible, mais en Inde ! Tu te rends compte ? » Je lui ai répondu que je me rendais compte alors que je ne me rendais absolument pas compte, je ne voyais pas le problème. Je ne voyais tellement pas le problème que dans les semaines qui ont précédé leur départ, au moment où mon amie était parvenue à ses fins et que leurs vols étaient achetés, ils étaient passés chez nous pour finaliser, comme on dit, les derniers détails de leur séjour et que je leur avais promis de répondre à toutes leurs interrogations.
C’est hier, alors que nous déjeunions ensemble, que Paul — appelons le Paul — me dit : « Tu te souviens Véro, de ce que tu m’avais répondu, il y a dix ans quand je t’avais demandé ce qui te semblait l’information la plus importante à me communiquer en vue de notre séjour chez vous en Inde? » Non, je ne m’en souviens pas, je me demande bien ce que j’avais pu lui répondre, je n’ai même aucun souvenir qu’il m’eût posé cette question et c’est ce que je lui dis. Et là, Paul poursuit avec le plus grand sérieux : « Eh bien, tu m’as répondu : “je suis très pointilleuse sur les éponges”, c’est ce que tu m’as répondu, Véro ! Alors que je me faisais un sang d’encre à l’idée de partir en Inde et me posais mille questions angoissantes, tu me réponds que tu es très pointilleuse sur les éponges ! C’est à partir de là que je me suis dit : si pour Véro, c’est qu’une question d’éponge, je vais pas me poser d’autres questions, je vais en rester là, je vais m’en tenir à l’éponge. »