lundi 27 septembre 2021


 

Histoire de pulls.

Sur le vide atelier d’hier, qui n’était pas un vide atelier d’artiste, il y avait une table étonnante. Une table qui débordait de piles de pulls et sous la table, plein de cartons, eux-mêmes, remplis de pulls soigneusement rangés au carré, manches repliées sous eux. 

Je me suis approchée pour comprendre, très intriguée par ce déballage qui avait tout de même lieu dans un vide atelier – certes dévoyé de son appellation – mais qui ne pouvait quand même pas accueillir un lot de pulls fabriqués en Chine.

Les pulls que je découvrais les effleurant timidement de mes mains étaient hors normes, à peine portés pour certains, presque neufs pour d’autres ou alors vraiment tout neufs et vraiment jamais portés. Les pulls sentaient bon le propre, ils étaient empilés moelleusement les uns sur les autres, presque enlacés. Je les ai touchés, déployés, retournés sur l’envers et ai découvert que tous ces pulls, ces centaines de pulls avaient été tricotés à la main. Et le plus surprenant, c’est que cet amoncellement de créations n’avait rien d’un tricotage de vente de charité – je n’ai rien contre la charité et ses ventes et ne voudrais pas me les mettre à dos, mais vous voyez l’image –, c’était un entassement de talent. Il y avait des jacquards aussi parfaits à l’endroit qu’à l’envers (tous les fils étaient croisés), des torsades irlandaises, des points de dentelle, des fils brillants et lourds, des fils moelleux, des coupes audacieuses et d’autres, magnifiques, de classicisme. J’ai senti la vitesse du temps défiler sous mes mains en retrouvant des modes passées puis revenues et j’ai osé lever les yeux vers la vendeuse qui inlassablement sortait des modèles de cartons posés à ses pieds dans une sorte de ballet sans fin comme si les pulls se multipliaient. Elle devait avoir mon âge, elle était touchante et belle. Elle m’a raconté l’histoire des centaines de pulls et vraisemblablement d’un millier de pulls en une seule phrase : «C’est ma mère qui tricotait énormément, elle tricotait partout, dans le train en allant travailler (j’ai noté au passage que la mère tricoteuse travaillait durant la journée) et le soir devant la télé. Elle réalisait au minimum un pull par semaine pour moi et mes sœurs et nous en avions tellement que nous ne pouvions pas les porter tous, pour certains, on ne les a mis qu’une fois et pour d’autres jamais. Nous l’avons ensuite suppliée de tricoter pour des amies. On n’en pouvait plus ! Aujourd’hui, nous les vendons, car c’est inutile de conserver tout ce stock.»

Je lui en ai acheté cinq, c’était 15 € le pull et ça n’avait pas de prix. 

Les pulls sont absolument somptueux, et portent une histoire à laquelle je penserai chaque fois que je les enfilerai. C’est ce que je lui ai dit et lui ai demandé de répéter à sa mère, l’assurer que sa passion allait avoir une seconde vie avec toutes les acheteuses qui se sont pressées autour de sa table toute la journée et repartaient les bras chargés. 

Juste en face, depuis mon emplacement, je les voyais choisir, essayer et se décider sans hésiter.

J’ai vu aussi des mamans prendre les modèles en photo et dire : «j’envoie les photos à ma fille pour lui demander lesquels elle veut que je lui achète». C’était encore une histoire de famille et c’est là que j’ai détourné le regard.

J’aurais aimé rencontrer cette fille de tricoteuse avant, j’aurais aimé mettre en scène leur histoire de tricot de famille, la photographier et l’écrire, ce sont des rencontres et des histoires atypiques.