dimanche 7 mai 2017

Et vous trouvez ça drôle ?




Il est assis en face de moi et je ne l’ai pas reconnu.
Quand il est entré dans la salle de conciliation accompagné des trois médecins conciliateurs, j’ai demandé qui il était et il m’a regardé éberlué en me disant :
« Mais je suis le Dr D. Quand même … Moi je vous reconnais ».
Oui, lui il me reconnaît mais moi je ne le reconnais pas, je ne l’ai vu qu’une seule fois il y a plus d’un an et il fait partie de ces gens dont on se dépêche d’oublier la tête qu’ils ont. Il est super vexé le Dr D. et il le laisse bien voir. Je marque le premier point sans aucun calcul, il sait au moins qu’il n’a pas hanté mes nuits, alors que là, je commence à me dire que lui, il a pensé à moi.
Et je raconte encore une fois ce rendez-vous du 17 novembre 2015 où il m’a expliqué mon anatomie en me parlant de « la caravane du tronc du cou ». Il me faut répéter une nouvelle fois cette contrepèterie infâme, ces mots sur lesquels je suis obligée de me concentrer car la première difficulté est que j’ai toujours eu du mal avec les contrepèteries, je les comprends rarement, et la deuxième difficulté est que du fait que je décrypte mal les contrepèteries, je suis obligée de les penser décryptées pour ensuite les énoncer dans l’ordre des mots dictés par ladite contrepèterie. Cela produit un galimatias incroyable dans ma tête, un affolement, une peur de prononcer le mot obscène. Je parviens malgré cette trouille à prononcer la contrepèterie sans trop hésiter et vérifie d’un coup d’œil vers les médecins conciliateurs qu’ils ont bien compris eux aussi. Ils ont l’air d’en avoir saisi le sens. Je leur précise que le Dr D. m’avait d’ailleurs demandé si j’avais bien compris la contrepèterie prononcée et j’en profite pour me tourner vers lui et lui poser la question que j’ai dans la tête : 
« Que m’auriez-vous dit si je vous avais répondu non ? Vous me l’auriez expliquée ? Et comment l’auriez-vous expliquée ? ». Il baisse la tête sans répondre en tournant les pages des feuilles étalées devant lui.
Je termine mon récit et il prend la parole à son tour en s’agitant comme un asticot. Il a changé sa défense et ne nie plus avoir prononcé cette contrepèterie que d’ailleurs il nomme contrepet. Sur le coup il me perd car un médecin qui parle de pet ça me fait partir sur un autre terrain et j’ai envie de rire. Malheureusement je reviens vite à son discours au moment où justement il explique que je n’ai aucun humour. Ceux qui me connaissent apprécieront. Il ne prétend plus comme dans son courrier de réponse à mon signalement que je suis une menteuse, maintenant il dit que Mme P. (c’est ainsi qu’il me nomme dans son courrier) n’a aucun humour et fait bien des histoires. Enfin, je ne dis tout de même pas l’exacte vérité puisqu’à ses dires, il n’a jamais parlé de « caravane » mais aurait dit que « la femme a le tronc près du cou ». Je ne sais pas si cela est vraiment mieux et si cela change quoique ce soit à sa vulgarité, les médecins témoins autour de la table ne semblent pas voir la différence et continuent à lui dire qu’on ne peut pas dire cela à une patiente.  Il appuie ses propos sur mon manque d’humour en expliquant que cette phrase quasiment philosophique à l’entendre, était prononcée par l’un de ses enseignants, un grand médecin urologue et qu’il l’a faite sienne comme une sorte de maxime en souvenir de son maître. Il cherche à gagner l’approbation des autres médecins mais ça ne marche pas. Ils le réprimandent et lui répètent une nouvelle fois que non, on ne peut pas dire cela à une patiente.
Il leur redit que tout cela n’était pas agressif mais simplement amical. Je précise au Dr D. que nous ne sommes pas des amis, que je le voyais pour la première fois alors que j’étais en souffrance et qu’avant de devenir amie avec quelqu’un, il me fallait un peu plus de temps, d’autres circonstances et un environnement différent.
Il recommence à plaider le fait que j’exagère de faire toute une histoire pour cela et que cela prouve bien que je suis quelqu’un de fermé et sans humour. Il raconte que oui, il fait cette contrepèterie tout le temps et que jamais personne ne l’a attaqué là-dessus. C’est bien la première fois qu’une plainte est déposée. Je lui fais remarquer que c’est sans doute que personne n’a eu le courage de se plaindre car effectivement ce n’est pas une démarche simple mais que cette absence de réactions ne signifie pas que ses patientes étaient d’accord avec sa vulgarité.  Et comme nous sommes dans la semaine avant le deuxième tour de l’élection présidentielle, il bredouille que quand Madame Le Pen sera élue, ça se passera plus comme ça, des patients qui se plaignent pour rien … Je ne comprends pas ce qu’il dit à ce moment-là et c’est sans doute mieux car cela m’a permis de ne rien répliquer. Il repart acculé dans sa défense maladroite en prenant les conciliateurs à témoin : 
« La lettre de Madame Piaser, je l’ai faite lire à tout le service, même les secrétaires étaient écroulées de rire ». 
C'est là qu'il m’a fallu de la force pour rester assise et ne rien dire, le laisser me mépriser jusqu’au bout, le laisser s’épuiser à baver sa peur.
Il ne savait rien expliquer, simplement me dire que son avocat était prêt à intervenir et le courrier pour son assureur prêt à être posté en agitant des feuillets sous mon nez.
Je n’avais rien devant moi, juste le bois nu de la table. J’avais parlé sans notes et sans hésitation alors que lui lisait en gigotant un texte qu’il avait préparé et que sans doute on l'avait bien aidé à préparer.
Alors qu’il avait terminé le rien qu’il avait à dire et surtout sans aucune excuse, il reprend la parole pour reparler du contrepet (j’ai appris depuis que l’on nommait ainsi l’art de la contrepèterie, je me cultive …), et expliquer à la petite assemblée que nous étions qu’il venait d’écrire un livre sur les contrepèteries et que déjà Ombres Blanches, la (dernière) grande librairie de Toulouse l’avait contacté pour organiser une séance de signatures.
Tout d’un coup, totalement décomplexé le voilà qui termine la séance de conciliation en nous vendant son livre.
Nous étions chez Laurent Ruquier, fin d’interview de l’invité, placement de produit.

Clap de fin.