lundi 4 novembre 2024

Orange


 


Internet en panne une fois de plus.
Cela fait partie de notre vie à Montauban et il faut s’en accommoder. 

Depuis l’année dernière, nous possédons une airbox (de secours) dont nous avons exigé d’Orange d’en être les propriétaires pour nous dépanner chaque fois qu’on est en rade. Soit parce qu’un petit malin a débranché, soit parce qu’ils réparent sans nous en avertir, ce qui était le cas jeudi dernier. Le technicien nous avait promis que le tableau serait remis en place en fin d’après-midi, mais à 17h il est reparti et nous a laissé en panne pour ce long week-end. 

Mise en route de la procédure habituelle au 3900 qui en toute décontraction nous confirme qu’on est en zone de perturbation jusqu’au 6 novembre. 

Je rebranche l’airbox pour tenter d’attraper le filet de 4G auquel nous avons accès dans le centre de Montauban, (il faut s’en accommoder aussi …) mais Orange a désactivé la carte SIM. On ne sait jamais, des fois qu’on en abuse… 

La technicienne très zen (on doit les obliger à faire du yoga) nous dit d’aller rechercher une carte en boutique, qu’ils nous remettront des datas dessus à volonté, ainsi que sur nos téléphones. Elle demande d’une voix douce si la boutique n’est pas trop loin. 

Jno file chez Orange avant qu’ils ferment. C’est pas trop loin, mais quand même. 

Le temps que les batteries de l’airbox se rechargent, que je me souvienne de toutes les manips à faire et que je découvre celles pour la nouvelle télé qui par chance est une télé connectée, nous voilà de nouveau opérationnels pour travailler. 
Parce qu’en fait, c’est ça le plus difficile : expliquer à Orange qu’on travaille ! 
Et qu’on paye un abonnement pour regarder la télé quand on a fini de travailler.

Nous avons donc passé notre long week-end avec l’équipement de secours Orange. Un équipement sur lequel ils ne tarissent pas d’éloges, à les entendre, c’est bien mieux que la box et le décodeur. 

Depuis jeudi soir, je rêve d’inviter un cadre d’Orange à venir tester chez nous la merveilleuse et bien nommée airbox. Dans notre quartier, il y a surtout de l’air et pas beaucoup de 4G. Pour que ça marche, il faut coller le boitier à une fenêtre et ne pas être exigeant sur le débit internet. Pour la télé, ça marche uniquement si vous avez une télé connectée, vous pouvez regarder les chaines sur leurs plateformes. Mais, un conseil, ne vous lancez pas dans un film et surtout pas un polar, car l’image se fige au rythme d’environ chaque dix minutes. 

Pour la Star Académy, ça passe. 
Et pour le reste, on a supporté. 
Et quand on en a eu trop marre, on est allé au cinéma. 

Ce matin, c’était enfin lundi. On se disait que le technicien allait revenir terminer le travail qu’il avait laissé en plan. Jean-Noël proposait de rallumer la box et on verrait bien quand elle afficherait ses diodes fixes. Moi, je n’étais pas chaude pour attendre, je pensais qu’il fallait aller à l’armoire pour parler au technicien. J’ai insisté et Jean-Noël y est allé. Ce n’est pas loin.

La surprise ou mon intuition, c’est qu’il y a trouvé le technicien (toujours le même, à force on les connait tous et ils nous connaissent bien) qui était totalement abasourdi qu’on n’ait pas retrouvé la connexion. Pour lui, tout fonctionnait jeudi soir quand il est reparti, il avait tenu la promesse qu’il m’avait faite. Et si, ce matin, il était repassé à notre armoire (oui, c’est notre armoire maintenant, on se sent en droit de la privatiser, vu comme on s’en occupe), c’était uniquement pour prendre des mesures. Il dit à Jean-Noël : « Vous avez eu une chance incroyable que je sois là, car je ne suis repassé que pour cinq minutes ! », ce que Jean-Noël me répète immédiatement au téléphone : « On a de la chance, il était à l’armoire et il va venir chez nous ! », alors qu’il n’a pas à le faire, mais à force, nous sommes devenus amis et il est réellement embarrassé par la situation, surtout quand Jean-Noël lui a expliqué l’airbox qui brasse de l’air. 

Il est donc venu et a compris qu’une fois de plus, nous avions été changés de tiroir dans l’armoire et qu’on ne lui avait pas donné les bons schémas. 

Il nous a redit que « notre » armoire était un bazar sans nom et qu’en plus elle puait la pisse. Ça, on le sait, on le constate chaque fois qu’on passe devant et qu’on la referme. 

Notre armoire sert aussi de pissotière. 


mardi 29 octobre 2024

Un homme m'a fait un cadeau

 

La semaine dernière, un homme m’a fait un cadeau.
Je ne connais pas cet homme.
Il ne sait pas qu’il m’a fait un cadeau.
Je viens lui dire. 

C’est un homme que je croise sur les réseaux sociaux. J’avais pu voir, son nom qui le rendait un peu Flamand — c’est ce que je m’étais dit bien qu’il vive dans le sud de la France — ,sa photo qui confirmait le nom un peu flamand, ses publications qui n’étaient ni une ode aux chats ou à Trump, j’avais donc accepté son invitation. 

Et je l’avais un peu négligé, je ne le suivais pas assidument, jusqu’au jour où je tombe sur une de ses publications, une blague idiote et sexiste avec un arrière-plan décoratif qu’on ne peut pas louper. Je ne le connais pas ce Flamand du sud, mais il me consterne. J’avais une autre idée de cet inconnu. 

Je me fends d’un commentaire. Je lui dis qu’il n’est pas drôle du tout. En gros, je lui dis qu’il est con. Et je me dis que jamais il ne me répondra, mais qu’au moins, je l’aurai remis à sa place et que peut-être d’autres de ses amis qui avaient rigolé à sa blague le prendront aussi pour eux. C’est le principe du militantisme, agir sans rien attendre de particulier. On agit pour le futur, pour les autres, pour que ça change. La seule chose à laquelle on doit s’attendre lorsqu’on milite, c’est un retour de haine. 

Et, cet homme m’a répondu.
Il m’a dit qu’il avait compris combien il avait été stupide et blessant. Il m’a écrit qu’il regrettait d’avoir voulu « amuser la galerie sans discernement » et serait désormais plus vigilant.
Il a supprimé sa blague sexiste.
J’ai refermé mon téléphone en me disant que nous avancions, qu’il y avait des hommes à qui on pouvait parler et qui pouvaient comprendre, ressentir et regretter. Des hommes qui pouvaient dire qu’ils avaient fait une erreur. 

C’est tout ce que nous réclamons.
Cet homme m’a fait ce cadeau. 

jeudi 3 octobre 2024

Le théâtre à 15 ans.



Le théâtre est entré dans ma vie lorsque j’avais 15 ans. Pas environ 15 ans, ou 15 ans et demi, non, 15 ans exactement, le jour de mon anniversaire. Un 10 septembre, à une époque où les MJC possédaient de vraies salles de spectacle, j’ai intégré une troupe de théâtre amateur dans la banlieue de Grenoble.

Mes parents m’avaient accompagnée pour savoir à qui ils confiaient leur fille, ils étaient inquiets, une MJC ça fait un peu communiste comparé à une aumônerie. Mais le curé de l’aumônerie n’avait pas de troupe de théâtre et je voulais faire du théâtre. C’est ce que j’avais prétendu et dit à mes parents pour ne pas me retrouver à l’aumônerie du lycée. Le théâtre, je m’en foutais totalement. 

Le soir de mes 15 ans, ils m’ont donc accompagnée à la MJC pour m’inscrire aux cours de théâtre et pour rencontrer le directeur de la troupe amateur. Ils avaient dû le trouver pas trop communiste puisqu’ils lui ont dit : « Nous vous confions notre fille », et le directeur de la troupe leur a répondu qu’ils pouvaient compter sur lui. La suite leur montrera qu’ils pouvaient faire confiance à ce type en lui confiant leur fille, mais qu’ils ont peut-être regretté leur empressement. C’est de cette manière peu conventionnelle que j’ai rencontré Jean-Noël, l’homme providentiel. C’est une autre histoire. 

À 15 ans, je découvrais le théâtre. 

Je suis bien née, comme l’on dit. Une famille cultivée en apparence, une famille aisée en apparence, une famille normale en apparence. Tout en apparence. Des livres ; mais pas tant que ça, de la musique ; un peu, du cinéma ; à peine, de l’art ; presque pas et le théâtre ; jamais. 

Alors comme une jeune ado encore petite fille — j’ai sous les yeux les photos d’une fille aux cheveux en bataille, aux joues pleines et au regard perdu — j’ai aimé être mise en valeur dans les rôles de femmes que j’interprétais, j’ai aimé les regards des spectateurs, j’ai aimé les projecteurs. Cela a duré le temps que je grandisse un peu et que je perde mes joues. Je me suis lassée de ces jeux d’amateurs. Je voulais voir le théâtre du côté des spectateurs. Jouer ne m’intéressait pas. 

À cette époque, il y avait à Grenoble deux jeunes comédiens qui se produisaient dans les MJC ou dans les foyers de jeunes travailleurs. Je ne me souviens plus du nom de leur premier spectacle, juste qu’ils débarquaient sur scène avec une immense valise marron couverte d’étiquettes des pays traversés. Le truc caricatural. J’ai des images de clowns, mais des clowns politiques. Il me revient cette scène incroyable qui s’est déroulée dans un foyer de jeunes travailleurs quand l’un des deux comédiens sort de scène pour ressurgir avec une moustache hitlérienne collée sur la lèvre supérieure et qu’un spectateur a hurlé en éclatant de rire : « Charlot ! » Dire que la stupeur nous a tous saisis est un faible mot puisque cinquante ans plus tard, je m’en souviens comme si c’était hier. 

Les deux comédiens que nous suivions parce que nous les aimions, s’appelaient Ariel Garcia-Valdès et Georges Lavaudant. C’est avec eux que j’ai vraiment découvert le théâtre. 
Leur compagnie s’appelait « le théâtre partisan » et nous les appelions « Les partisans » et ça faisait des tas d’embrouilles dans la société grenobloise bien-pensante qui estimait que des artistes gauchos ne pouvaient pas s’appeler « les partisans », que c’était irrévérencieux et scandaleux. 

Rapidement Ariel Garcia-Valdès et Georges Lavaudant n’ont plus été obligés de trimballer leur valise à étiquettes dans les MJC et les foyers de jeunes travailleurs du département, ils ont eu leur théâtre. C’était Le Rio, un beau théâtre à l’italienne, dans un quartier de Grenoble, à l’époque un peu mal famé, mais cela restait un beau théâtre qui faisait le plein. Même si on y était horriblement mal assis. 

De tous les spectacles que j’y ai vus, je n’oublierai jamais le Lorenzaccio qu’ils avaient mis en scène. (La première mise en scène).
La compagnie s’était étoffée, Georges Lavaudant ne faisait plus que de la mise en scène et c’était Ariel Garcia-Valdès qui tenait le rôle de Lorenzaccio. Et qu’il était beau ce Lorenzo auréolé de boucles blondes ! Je n’avais jamais vu une telle beauté dans les traits d’un homme qui incarnait ce rôle à fleur de peau et de sensualité. Si j’ai nommé l’un de mes personnages Ariel dans mon roman, c’est parce qu’à 17 ans, j’avais rencontré Lorenzo sur la scène du Rio. 

C’est au théâtre du Rio que j’ai compris que l’émotion du théâtre passe à la fois par un texte, une mise en scène et le jeu des acteurs. 

Durant les décennies qui ont suivi, nous sommes toujours allés au théâtre, même quand on avait pas trop le budget, on se débrouillait avec un copain de Jean-Noël qui nous refilait au dernier moment « les astreintes » (les places réservées). L’impression de vivre en décalé, comme le jour où j’ai dit à une amie : « ce soir, je vais au théâtre » et qu’elle m’a regardée en répliquant : « ah bon ! Tu vas au théâtre ! Pourtant c’est chiant le théâtre… » Oui ça peut être chiant quand le texte est mauvais, quand le comédien ou la comédienne est inaudible, quand le jeu est convenu, quand la mise en scène est prétentieuse. Oui ça peut être insupportable et ça peut faire de la peine pour les comédiens qui sont face à vous. Mais à la manière du Lorenzaccio de Lavaudant et du Lorenzo-Ariel, il y a eu aussi dans ma vie de théâtre l’éblouissant Thierry Lhermitte seul sur scène dans « Fleurs de soleil (Peut-on tout pardonner ?) » de Simon Wiesenthal. C’est une émotion indescriptible. Un comédien qui se fond dans un texte, et quel texte ! 

Le théâtre dans ma vie, ce n’est pas que la MJC et son directeur de troupe, ce n’est pas qu’Ariel Garcia Valdes et Georges Lavaudant, ce n’est pas que Thierry Lhermitte, ce sont des centaines d’autres spectacles. 

C’est dans un théâtre que travaille l’un de mes fils. Hasard ou pas, je pensais que le théâtre m’accompagnait aussi de cette manière jusqu’à ce jour où je me suis dit que j’aurais aimé écrire pour le théâtre. Tous ces textes que j’avais entendus joués sur les planches me parlaient intimement. 
J’aimais le dépouillement d’un texte théâtral, j’aimais le rythme des mots que j’entendais dans la bouche des comédiens et des comédiennes. 
J’aimais l’idée qu’écrire un texte pour le théâtre permette de ramasser son texte, de ne pas se perdre dans le descriptif et d’aller uniquement sur ce qu’on avait à dire. Aller à l’essentiel. Le descriptif, c’est l’affaire de celui ou de celle qui fera la mise en scène, c’est eux qui décideront si le comédien est assis sur une chaise ou juché au sommet d’une échelle. Moi, je m’en moque éperdument.

Je trouvais l’idée reposante et apaisante. 

J’adorais l’idée de devenir dramaturge. Ce mot qui désigne les auteurs d’ouvrages destinés au théâtre a une belle sonorité dans laquelle on sent déjà l’émotion du théâtre.  
J’adorais aussi l’idée de partager et de faire évoluer mon écriture avec des metteurs en scène, des comédiens. Ne plus être seule avec mes émotions. 

J’ai écrit. 
J’ai soumis mon projet. 
On a parlé. 
On m'a écoutée.
On va travailler ensemble sur "La Gravière". 
Je ne suis plus seule. 


lundi 30 septembre 2024

"La possibilité du viol" ce n'est pas envisageable.

 


J’ai lu l’article de Sylviane Agacinski (Le Monde du 30 septembre 2024) dans sa totalité et l’ai même relu une deuxième fois pour être certaine qu’elle avait bien écrit : « La virilité masculine, c’est sans doute une puissance physique et sexuelle spécifique sur laquelle repose la possibilité du viol : mais la question est de repenser une virilité civilisée et décente, c’est-à-dire une puissance capable de retenue et de maîtrise de soi.», et je me suis dit qu’elle n’avait jamais dû être violée, qu’elle n’avait jamais été agressée, qu’elle ne connaissait pas cette destruction.
Sylviane Agacinski doit appartenir à ces femmes qui ont eu cette chance et qui ont échappé à cette « puissance physique et sexuelle spécifique sur laquelle repose la possibilité du viol » comme elle l’écrit. Cette « possibilité du viol », c’est précisément ce que nous ne voulons plus subir, c’est précisément ce dont nous voudrions ne plus avoir peur parce que la virilité des hommes ne s’exprime pas de cette manière et que si certains pensent encore que c’est ainsi qu’ils nous montrent qu’ils sont des hommes, ils se trompent. Morgan N. Lucas dans sa tribune du 21 septembre dans Libération ne s’égare pas quand il s’adresse aux hommes en leur disant de ne pas avoir peur quant à leur virilité qui pourrait être mise à mal. Il a raison, il les rassure.
Les hommes n’ont pas besoin de faire une démonstration de leur puissance physique et sexuelle pour séduire une femme puisque sur cette soi-disant puissance repose la possibilité du viol.
La possibilité, en français c’est une éventualité, c’est une perspective et ce n’est pas envisageable. Sylviane Agacinski écrit aussi que « … le patriarcat est fondé avant tout sur une institution familiale désormais révolue, dans laquelle le père avait tout pouvoir sur sa femme et ses enfants. Quant à la culture du viol, la formule est ambiguë dans un pays où, depuis un demi-siècle, cet acte constitue un crime passible de peines sévères, grâce au courage de Gisèle Halimi. » Elle vit dans quel monde pour affirmer que nous sommes libérées du patriarcat ? Elle vit dans quel monde pour parler de « la culture du viol » comme « une formule ambiguë » alors que seulement 0,6 % des viols ou tentatives de viol donnent lieu à une condamnation ?
Elle pense nous faire avaler son analyse parce qu’elle cite Gisèle Halimi ?
On est mieux entendues et défendues par les hommes qui ont le courage de prendre la parole.
Merci à eux de prendre la parole. 

dimanche 15 septembre 2024

Rajapaksa et Macron


En janvier 2010, nous vivions au Sri Lanka par période de plusieurs mois dans une petite maison sur une plage du sud de l’île. La guerre faisait rage dans le Nord et l’Est de l’île depuis 1983, c’est dire que depuis 1985 nous n’avions connu qu’un Sri Lanka déchiré par la guerre civile. Nous vivions au Sud et les seuls indicateurs de la guerre étaient les ambulances qui passaient sur la route en provenance du Nord pour aller déposer les corps des soldats à la morgue de Colombo et les attentats qui faisaient exploser des bus un peu partout dans les provinces du sud. 

Il y avait parfois des exécutions sommaires de Tamouls dans la ville où nous vivions. Je me souviens du bijoutier, un money changer, un grand type sympa exécuté quelques minutes après que nous sommes sortis de sa boutique où l’on venait de faire du change. Le pays était coupé en deux, toute la zone tamoule du Nord et de l’Est était interdite, nous n’avions jamais pu nous y rendre. En mai 2009, la guerre a pris fin par une défaite du LTTE (les forces tamoules), un carnage humain sur les plages du nord. Prabhakaran, le dirigeant historique du LTTE est tué par l’armée gouvernementale ainsi que son fils de 10 ans quelques heures plus tard. Je me souviens des photos de cet enfant, assis sur un tronc d’arbre, résigné, attendant que son sort soit réglé. Ils le lui ont réglé. 

Ce qui a suivi me hante de nouveau depuis ces dernières semaines, le président en place, Mahinda Rajapaksa jusqu’à novembre 2009 (la fin de son mandat), fort de sa victoire sur les Tamouls du LTTE a déplacé la date de l’élection présidentielle qui devait avoir lieu en novembre. Par un tour de passe-passe, il a décidé que les Sri Lankais voteraient en janvier pour une élection présidentielle qui prendrait effet à la date prévue, c’est-à-dire dix mois plus tard. On pourrait dire « trop fort ! », mais les Sri Lankais n’ont rien dit, ils se sont inclinés devant la décision présidentielle pas très constitutionnelle. 

Je me souviens de ma surprise face à l’annonce de ces élections « par avance », elles n’étaient pas réellement anticipées puisque c’était juste un avancement de date de novembre à janvier.
Je me souviens de mon étonnement face à la réaction des Sri Lankais. Ils ont encaissé sans broncher. 

Le président Rajapaksa s’est alors lancé dans une campagne digne de ces fameux télédrama dont les Sri Lankais sont friands, il a fait ériger à l’entrée des villes d'immenses silhouettes le représentant, il a fait imprimer des billets de banque à son effigie, des billets de 1000 roupies très utilisés qui circulaient comme autant de tracts électoraux. C’était tellement surprenant que j’ai conservé un de ces billets pour être certaine de ne pas l’avoir inventé.
Le président Rajapasa organisait régulièrement de grandes parades, de grandes fêtes populaires, des distributions de cadeaux ménagers pour les familles. Il embrassait aussi énormément les enfants durant ses déplacements.
Nous assistions à tous ces déploiements en nous demandant si les Sri Lankais allaient réagir devant la montée de ce que nous qualifions Jean-Noël et moi de prise de pouvoir. Mais la population applaudissait devant les défilés de bateaux enturbannés de drapeaux, elle en redemandait.
Des bus étaient affrétés gratuitement depuis Colombo pour emmener des familles entières de Cinghalais qu’ils déversaient chaque week-end sur les plages de l’Est reconquises aux forces tamoules. 

Le 26 janvier 2010, le président Rajapaksa est réélu « par anticipation » avec 58 % et le 27 janvier, il expédie, son opposant battu le général Fonseka proche des populations tamoules, dans la prison de Colombo.
Les Sri Lankais ne se sont jamais soulevés, ils ont tout accepté. Jean-Noël et moi, nous avions assisté à cette campagne hors norme et cette élection surprenante et avions fini par trouver de multiples excuses à la population. Ils sortaient de presque trente années de guerre, il fallait les comprendre. On se disait aussi, ce sont des Asiatiques, c’est leur tempérament. On se disait, ce sont des bouddhistes, ils acceptent. Et puis, nous n’étions pas chez nous, nous n’allions pas organiser la rébellion, d’autant que dans ce genre de pays, dès qu’on dit un mot plus haut que l’autre, c’est direct la case prison.
Depuis 2010, Rajapasa a toujours été au pouvoir à la manière des dictateurs, un coup Président, un coup Premier ministre. Et inversement. Il n’y a qu’en 2022 que la révolte populaire l’a obligé à démissionner et pour l’instant encore sans retour.

En France nous assistons à toutes ces parades, ces suppléments de parades, ces décorations, ce faste, ces Alphajet qui tracent des drapeaux tricolores dans le ciel. Le Président qui rajuste le dernier bouton du col de Teddy Rinner dans une intimité gênante. La voix off du Président dans un film rendant hommage aux athlètes. Est-ce pour nous faire oublier que depuis le 9 juin, nous n’avons plus de gouvernement, que nous avons attendu presque deux mois pour voir nommer un Premier ministre n’appartenant pas à la majorité sortie des urnes ?

Pourquoi le Sri Lanka me hante-t-il autant ces dernières semaines??
Parce qu’à l’identique, nous ne disons rien.
Nous encaissons.
Résignés.
Pourquoi ? 


jeudi 12 septembre 2024

L'injure faite aux femmes

 


Les témoignages accusant l’abbé Pierre d’abus sexuels allant jusqu’au viol et à des agressions à l’encontre d’enfants qui peuvent être qualifiés de pédocriminalité sont de plus en plus nombreux et nous sommes de plus en plus effarés par ces révélations qui ne sont pas mises en doute puisque « différentes personnes » étaient au courant. 

Dès que la presse a dévoilé le rapport en juillet, j’ai pensé à Lambert Wilson. J’ai imaginé la tempête qui devait le déchirer. Il a incarné l’abbé Pierre au cinéma comme un être d’exception et dit même avoir eu « un coup de foudre » pour lui, alors que pouvait-il ressentir aujourd’hui sinon avoir été trahi ? Est-ce qu’il n’était pas lui aussi une victime de l’abbé Pierre ? 

Mardi soir dans « C à vous », il était l’invité d’Anne-Elisabeth Lemoine qui lui a demandé comment il vivait cette situation. Livide et pratiquement sans voix, il a exprimé son incompréhension. Le désarroi de tous ceux qui se sont fait avoir et dont nous faisons partie. Ses balbutiements et son air égaré ne laissent pas de place au doute, il n’a jamais eu aucun soupçon et semblait se demander comment il avait pu ne pas en avoir au regard des terribles révélations qui se multiplient aujourd’hui.
Et puis il a malheureusement conclu par ce cliché : « Si l’église réformait le célibat des prêtres, cela n’arriverait pas » qui est une injure faite aux femmes. Cela revient à dire que la femme, l’épouse d’un homme, occupe une fonction utile et bestiale qui consiste à lui faire passer ses pulsions sexuelles perverses… 

Il n’y a malheureusement pas que Lambert Wilson pour sortir une telle énormité, je l’ai entendue à plusieurs reprises et c’est une manière très lâche de s’en sortir. 

Dans le procès des viols de Mazan, il n’est pas question de célibat des prêtres, mais d’hommes qui sont pour la plupart en couple, non ? 


vendredi 6 septembre 2024

L'histoire de la nouvelle télé

 


Vendredi dernier, alors que nous regardions une mini série sur Arte, Blood river (un début engageant, deux premiers épisodes qui accrochaient, mais les deux suivants très décevants), notre télé a produit une étincelle bleue, un bruit de pétard mouillé (un vrai pétard de 14 juillet, pas l’autre) et l’écran est devenu noir. On n’a pas cherché à comprendre si elle était réparable, elle avait quinze ans et on a admis qu’elle avait fait son temps, la vieille était morte. 

Le lendemain samedi, Jean-Noël est parti chez Darty pendant que j’étais sur l’expo de Pop’Art à serrer les dents sur mon ménisque. On savait ce qu’on voulait, on avait anticipé la mort de la vieille depuis déjà un an, il suffisait de trouver qui avait en stock le modèle qu’on avait repéré et surtout dans la bonne dimension. En effet notre télé est placée sur une étagère de la bibliothèque, encastrée entre des rangés de livre et je refuse de sacrifier des livres pour quelques centimètres d’écran supplémentaire. À l’ère des télés géantes, acheter une 42 pouces est ridicule, c’est acheter une télé lilliputienne, ce que le vendeur s’est bien chargé de faire comprendre à Jean-Noël. Il n’y avait plus qu’un modèle 42 pouces en stock, celui en expo et quand Jean-Noël a demandé s’il était vraiment neuf, le vendeur lui a répondu : « Il n’a jamais servi, ces petites télés, on ne les allume jamais ! »  Et dans la foulée, il a aussi pu lui dire que pour cette raison, il ne lui consentirait aucune remise. Mais ça, c’était parce que Jno avait décliné toutes ses offres d’assurance, d’abonnements, etc. Il a juste pris le forfait « livraison, installation et reprise de l’ancien matériel ». 

Hier, jeudi, c’était la livraison. Avant que les livreurs arrivent, Darty a appelé pour nous dire qu’ils avaient oublié de prendre les accessoires. On ne sait pas bien ce que sont ces accessoires puisqu’ils nous disent que la télécommande n’en fait pas partie, elle sera livrée avec la télé. Ouf. 

Les livreurs arrivent une demi-heure plus tard, la télé enveloppée dans du plastique bulle dans les bras du plus grand, le chef. Il la pose entre les livres et nous demande où est le câble pour la TNT. 

C’est là que j’ai compris que nous étions vieux. Et c’est terrible que l’on vienne vous le dire ainsi. 
Je lui ai répondu que nous n’avions pas de râteau sur le toit, qu’on avait un décodeur. Il a fait : « OK, passez-moi le câble HDMI. », ce qu’on a fait, mais le câble ne lui allait pas, il aurait fallu un câble en or ! On comprend que c’est du plaqué, que c’est indispensable pour le fonctionnement optimum de notre télé que soit dit en passant, il était prêt deux minutes plus tôt à brancher sur la TNT. Par bonheur ils ont des câbles en or dans le camion, il suffit de leur en acheter un, ce que l’on fait pour que tout fonctionne bien. Déjà qu’on venait de se prendre la remarque que l’on n’avait pas de prise dédiée pour la télé et qu’ils ne pourraient donc pas valider l’installation, on ne veut pas d’embrouille pour une histoire de câble. 

Une fois le câble en or branché, le chef me montre le fonctionnement de la télécommande qu’il résume à deux boutons, la mise en route et la navigation entre les chaines. Pour les vieux faut simplifier. Je me risque à lui parler bluetooth, il me regarde étonné et s’affole lorsque je lui explique qu’on a choisi cette marque de télé parce qu’ils sont les seuls à proposer deux canaux de bluetooth distincts. Je lui demande de me montrer, il ne sait pas, il redouble d’affolement et je le rassure en lui disant : je me débrouillerai, je trouverai. Je me dis que ça risque de me prendre du temps parce que dans les accessoires manquants, il se trouve qu’il y a le manuel d’utilisation de la télé. Ils nous expliquent que ce n’est pas leur faute, se concertent et je les entends dire : « C’est encore la blonde ! » Le chef nous confirme que c’est toujours la blonde qui leur fait des sales coups. Je me dis que je suis d’accord avec lui, mais pas que pour les téloches. Il me redemande si j’ai bien compris la mise en route et la navigation entre les chaines. Je lui confirme que j’ai compris, j’ai l’impression d’être à l’Ehpad. J’aimerais bien qu’il m’explique toute la partie internet de la télé puisque c’est tout de même ça qui est nouveau, mais il doit se dire que j’ignore toute cette évolution numérique, la fameuse fracture. D’ailleurs pour reposer la mienne, je me suis assise sur le bout du canapé et c’est ce que le chef interprète comme le signal que la vieille est fatiguée. Il dit à son assistant : « Ramasse le bulle, on y va ! »  Au moment où ils passent la porte d’entrée, Jean-Noël leur fait remarquer qu’ils oublient de prendre la vieille — pas moi —, l’ancienne télé qui est posée contre le mur. Juste avant de nous quitter, le chef nous demande de bien les noter lorsque nous recevrons le questionnaire de satisfaction, je lui réponds que je sais qu’il faut mettre soit 10 soit zéro pour que ça compte dans leur dossier — entre les deux ce n’est pas pris en compte —, mais qu’ils ne se fassent pas de souci, je mettrai un 10. Il part en me disant : « Merci » et il ajoute : « Quand même, vous vous y connaissez… »

#Darty 


mardi 3 septembre 2024

Pourquoi mon roman « Sa vie ressemblait à un orage » est-il retiré de la vente ?

 


Pourquoi mon roman « Sa vie ressemblait à un orage » est-il retiré de la vente ?
Eh bien, sans doute parce que ma vie ressemble vraiment à un orage ! 

Je m’étais entourée de toutes les garanties en évitant les comptes d’auteur déguisés, les fausses maisons d’édition, en signant un contrat à compte d’éditeur avec une Maison qui était distribuée et diffusée. Cela n’a pas suffi, il manquait la compétence, l’expérience et surtout la confiance et l’honnêteté, ces ingrédients indispensables entre un auteur et son éditeur. Mon roman a été publié alors que la Maison était déjà sous procédure de redressement judiciaire, une information que je n’avais pas et dont je n’ai eu connaissance que fin juillet en allant me renseigner sur le site du tribunal de commerce parce que j’avais des inquiétudes.  Mon conseil qui a examiné la situation et mes contrats (qui sont « nul et non avenu » du fait d’une clause manquante) m’a demandé de devancer cet avenir préoccupant et plus qu’incertain en faisant retirer mon roman de la vente pour retrouver l’entièreté de mes droits et pouvoir ainsi espérer redonner une chance à mon texte. 

J’ai écrit ce roman dans la douleur et dans l’urgence, en commençant par me demander chaque jour jusqu’où je pouvais aller, jusqu’au jour où je ne me suis plus posé la question et suis allée jusqu’au bout de ce que je voulais dire quitte à être impudique, quitte à choquer, quitte à être jugée. Et ce laps de temps si court de trois mois aura suffi pour que j’entende qu’il y avait beaucoup de sexe dans mon roman et que j’entende aussi le silence assourdissant qui me jugeait. Ce silence qui avait déjà pris tant de place dans ma vie et qui continuait à m’étouffer. 

J’ai reçu aussi des messages réconfortants de femmes qui me venaient me dire que mon roman les avait amenées à se poser des questions, sur leur libido, sur leur liberté, sur leurs choix de vie. On m’a très peu parlé du viol, pour ainsi dire jamais. Comme si ne pas m’en parler était une manière de l’oublier. 

Je veux continuer à porter ce texte qui dit que le viol ne concerne pas que des femmes du monde du spectacle même si elles sont largement plus exposées du fait de leur métier qui les met aux ordres d’un metteur en scène, d’un réalisateur. Elles sont sous contrat et doivent obéir, je le comprends et je les crois. 

Je vais continuer à dire, à écrire que le viol concerne toutes les femmes, qu’elles soient belles ou moches, qu’elles soient célèbres ou non, qu’elles soient montées ou non, dans une voiture ou dans une chambre d’hôtel, qu’elles soient mariées, fidèles ou infidèles. J’ai écrit sur le viol banal d’une mère de famille, un viol sans emprise, un viol « par surprise » et c’est cette voix que je veux continuer à faire entendre.

Merci à toutes celles et à tous ceux qui ont acheté « Sa vie ressemblait à un orage » et qui m’ont lue. Merci de m’avoir soutenue durant trois mois et de rester à mes côtés. 
Conservez bien votre exemplaire, il est unique ! Et pour celles et ceux qui voudraient encore se le procurer, en faisant vite sur les plateformes ou à la librairie de Montauban, ça doit être encore possible pour quelques jours. 

Je vous remercie tous pour votre soutien, je vais faire revivre mes mots. 

mercredi 21 août 2024

Alain Delon est mort

 


Alain Delon est mort. 

On savait qu’il allait mourir. Surtout depuis que Belmondo était mort, je ne sais pas vous, mais pour moi, ça avait été immédiat, dès la mort de Belmondo annoncée, j’avais pensé à Delon en me disant, ce sera le deuxième et c’est con parce que j’ai toujours préféré Belmondo. Comme quoi le physique, hein ? 

Le premier film dans lequel j’ai vu Delon jouer, c’est « Borsalino » avec Belmondo. J’étais une petite ado et mon souvenir de ce film, ce n’est ni Delon ni Bébel, c’est Denis, le copain qui m’avait invitée au cinéma. C’était la première fois que j’allais seule au cinéma avec un garçon et je n’avais aucune idée de ce qui pouvait motiver un garçon à emmener une fille au cinéma. Pour moi, si on va au cinéma, c’est pour regarder un film. J’avais passé la séance les yeux rivés sur l’écran sans jamais attendre la moindre diversion de la part de mon copain au point qu’il n’y en a eu aucune. L’avais-je découragé en faisant preuve de ma seule passion cinéphile ? Avait-il lui aussi le cinéma chevillé au corps au point de rester bras croisés, le dos droit sur son fauteuil ? Le fait est qu’il n’a rien tenté et qu’on s’est fait « Borsalino » chastes comme un couple fatigué. 

Pourtant tous les voyants étaient au vert, les parents de Denis m’aimaient beaucoup et sa grand-mère faisait une cagnotte en vue de notre mariage. Du côté de mes parents, les voyants devaient un peu clignoter, car la famille de Denis était de gauche, son père syndicaliste à la SNCF, ils passaient leurs vacances en RDA, le pays du diable rouge.

Physiquement, Denis n’avait rien d’un adonis, cheveux bouclés et un peu dodu, il était le sosie de Joe Dassin. On était loin d’Alain Delon. 

Jusqu’à ce moment de l’histoire, on peut supposer que j’étais l’amie d’un type qui était le sosie de Joe Dassin parce que je n’avais rien d’autre à me mettre sous la dent pour aller siffler sur la colline et que si j’avais rencontré Alain Delon, j’aurais laissé Denis siffler tout seul. C’est une supposition qui aurait fait rêver toutes les filles, sauf moi puisque je l’avais presque rencontré. Le frère de ma meilleure amie aurait pu se faire passer pour Alain Delon, la même silhouette, le même regard bleu dans une visage fin auréolé d’une tignasse brune de sauvage. Séducteur invétéré, toutes les filles se pâmaient dans ses bras, sauf moi ! Il ne me plaisait pas, je ne lui trouvais rien d’autre qu’une beauté glaçante, je lui préférais mon petit Joe Dassin un peu enveloppé et si peu entreprenant. 

J’aurais pu oublier le don Juan aux yeux de saphir qui lui aussi s’appelait Alain — ça ne s’invente pas —, mais chaque fois que je voyais Delon au cinéma, il me rappelait la beauté glaçante de l’Alain de mon adolescence et l’arrogance de ceux qui proclament, je suis beau. 

Delon est mort et j’aurais pu m’en moquer totalement s’il ne m’avait pas de nouveau rappelé l’autre Alain qui savait lui aussi qu’il était irrésistible, celui qui faisait tomber toutes les filles dans ses bras, sauf moi. 

Lundi soir, j’ai regardé « Plein soleil » à deux doigts de m’ennuyer. Des acteurs insipides qui jouaient comme des pieds, une bande sonore qui ponctuait chaque action d’un coup de cymbales et un scénario qui trainait en longueur. Même Marie Laforêt n’avait pas l’air de Marie Laforêt. 

J’ai bien observé Alain Delon, je me suis imaginée en situation et je me suis dit : « Bof… non ! »


dimanche 11 août 2024

Le mec de la tombe d'à côté


 « Le mec de la tombe d’à côté »
Katarina Mazetti traduction Lena Grumbach et Catherine Marcus) Ed Actes Sud. Collection Babel

Tout le monde l’a lu et tout le monde a dit que c’était un livre formidable, d’ailleurs c’est un best-seller adapté au cinéma et au théâtre, donc c’est forcément vrai.
Je ne l’avais jamais lu, je suis toujours un peu méfiante sur ces succès proclamés, mais la semaine dernière « Le mec de la tombe d’à côté » trainait dans un vide grenier entre une boite de Play Mobil et un séchoir à cheveux et la vendeuse me l’a laissé pour 1 € en me le recommandant. Je me suis dit que pour 1 €, j’allais satisfaire ma curiosité et que tant pis pour mes principes sur les droits d’auteur, il y a eu tant d’exemplaires vendus et de droits sur les adaptations que je peux me permettre cette entorse à mes convictions. 

Je résume le roman en quelques lignes, car je suis certaine que vous l’avez tous lu, il n’y avait que moi pour ne même pas connaître le synopsis. 

Désirée, une jeune veuve se rend sur la tombe de son mari dont j’ai oublié le prénom — c’est genre meuble Ikea — et elle rencontre Berny qui entretient la tombe voisine, celle de ses parents. C’est le début et il faut reconnaître que c’est assez bien foutu, la rencontre amoureuse entre Désirée et Berny est délicieuse et à leur âge on ne leur souhaite que ça. Leur première sortie amoureuse se déroule à la piscine et on se dit qu’il y a que les Suédois pour imaginer un premier rendez-vous dans une piscine, mais comme ils vont plus tard se tartiner des Wasa et lire le Dagens Nyheter (le grand quotidien suédois équivalent au Monde), tout est assez normal pour un roman suédois. 

Ce sont les trente premières pages, le sourire à tomber de Berny, son odeur d’étable et ses fringues de fermier puisqu’il élève des vaches et le côté insipide et fade de Désirée qui est intello et bibliothécaire. Trente pages durant lesquelles j’ai souri malgré la facilité sous-jacente avec laquelle l’auteure joue avec le lecteur, des ficelles un peu grosses, des scènes sexuelles qui manquent de sensualité et qui évoquent plus le clapier à lapins. Mais bon, ça me faisait encore rigoler même si c’était un peu vulgaire.

Et puis quand on est arrivé sur le terrain du gouffre culturel, ça s’est soudain gâté pour moi. Lorsque Désirée découvre que son amant qui l’envoie au septième ciel vit dans une ferme un peu crade et décorée de tableaux au point de croix et de napperons brodés, ça devient gênant. On se retrouve dans « L’amour est dans le pré », les clichés qui font rire, la bienveillance en moins parce que dans le roman, Désirée ne fait pas de cadeau à Berny. C’est d’ailleurs lui qui lui en fait, des cadeaux ringards dont elle se moque ouvertement. Et là, ça devient méchant et cruel parce que Berny, dès le départ il est gentil, touchant avec son sourire désarmant et que je me dis que même s’il a des goûts de chiotte, il ne mérite pas de se faire dézinguer comme ça. Moi, un mec performant et gentil à ce point, je fais un effort. 

Je suis arrivée à la moitié du roman en tournant les pages rapidement, car Désirée devenait carrément antipathique, que le roman devenait très vulgaire — pour que je le dise, c’est que ça doit l’être?! — et que l’histoire ne m’intéressait déjà plus. 

J’ai refermé le livre, car je n’avais plus aucune sympathie pour les personnages, tout était devenu cruel et méchant gratuitement et ne servait à rien et l’écriture déjà pas trop extraordinaire était devenue poussive à souhait. 

Bon, je sais, des centaines de milliers de lecteurs ont adoré ce roman et vous en faites peut-être partie… eh bien, moi, je n’ai pas du tout aimé et je ne comprends pas l’engouement qu’il y a eu pour ce titre.

Ma consolation ? Ce même jour, j’ai trouvé « Passion simple » d’Annie Ernaux en grand livre dans l’édition originale de Gallimard qui va remplacer ma version poche sur l’étagère de ma bibliothèque.

samedi 27 juillet 2024

La cérémonie


 Vendredi 26 juillet 2024, 19 h 30. Cérémonie d’ouverture des JO de Paris. 

Je n’étais pas partie enthousiaste et je suis arrivée au bord des larmes.Je ne suis partie nulle part et ne suis arrivée nulle part, je suis restée sur mon canapé durant quatre heures. Et pourtant j’étais ailleurs. Il a fallu qu’ils se dépassent pour que je décolle, car j’avais d’emblée adopté la posture « ils vont nous faire un spectacle de beaufs » et comme en plus, c’était Macron qui nous l’avait vendu mardi soir avec ses sourires complices et faux cul, c’était mal parti. 

Et en plus, il pleuvait, mais là, j’étais plutôt contente que le petit roi n’ait pas la météo de son côté. Il peut dissoudre à qui mieux mieux, mais la météo, ça lui échappe encore. Hier, la pluie avait cet aspect rassurant, elle se jouait des désirs de notre roi.  

Céline Dion ne m’emballait pas trop non plus, je reste assez indifférente à ses prestations, mais je savais que l’une de mes amies trépignait depuis que le nom de son idole avait été prononcé dans les pronostics, alors j’avais fini par espérer qu’elle se produise. Pour mon amie. Juste pour elle, pour qu’elle soit émue devant son écran. Mon scepticisme bougon a lâché en à peine trente minutes. J’ai cette qualité, je ne reste pas campée sur une mauvaise impression, je ne demande qu’à me faire emporter par le bonheur.Hier soir, c’était bien plus que du bonheur, c’était de la créativité, de l’audace, de l’impertinence, de la solidarité, de la parité, de l’inclusivité dans un flot de musique et de lumière. C’était tellement inattendu que je me suis surprise à penser : « Mais les organisateurs sont moins bornés que l’image d’eux qu’ils nous donnaient à voir. » J’avais presque honte de les avoir jugés si rapidement. 

Après tout ce que Aya Nakamura s’était ramassé depuis le printemps, je n’avais pas envisagé une telle réponse. Et ils l’ont fait. 

L’Académie française, la garde républicaine et Aya Nakamura en marche, somptueusement altière et fière.  
La claque à l’extrême droite. 

Les drag queens et les transgenres, ils l’ont fait aussi dans une mise en scène d’un culot incroyable. La cène ! 

Il était temps que nous venions leur dire devant le monde entier qu’ils existent et qu’ils ont leur place dans notre société n’en déplaise à l’extrême droite — qui a encore détesté — et aux évêques qui se sont étouffés d’indignation. Ces derniers feraient d’ailleurs bien de la mettre en veilleuse depuis les révélations de la semaine dernière sur leur saint abbé. 

Plus la cérémonie avançait en glissant sur la Seine — tant de Seine, de scène et de cène ! —, et plus j’aimais la pluie dont le reflet des gouttes sublimait les images, le piano qui dégoulinait comme un film indien sous la mousson, les flaques qui giclaient sous les talons des mannequins queers, les athlètes hilares emballés dans des ponchos de plastique transparent pour ne pas ruiner leur tenue de gala, tout me semblait à l’unisson d’un « oui, il pleut, mais on s’en fout, on veut faire la fête et on la fera. On a des choses à dire et on les dira. Même sous des trombes d’eau. » 

Céline Dion a chanté pour mon amie. 
Je suis allée me coucher heureuse.
La France avait courageusement montré au monde entier que l’on avait le droit d’être différent et impertinent avec grâce. 



mercredi 24 juillet 2024



Il y a eu Depardieu. 
Lui, on savait depuis un moment que c’était un gros porc, il ne s’en cachait plus, il en faisait sa marque de fabrique et ça faisait rigoler tout le monde. Sauf ses victimes. 
Il parait que c’est un très bon acteur et c’est probablement vrai, mais moi, je n’arrivais plus à voir cet acteur formidable derrière le gros dégueulasse qui copinait avec Poutine et tous les dictateurs de la planète. 
Alors quand son comportement immonde a été dévoilé, j’ai été révoltée qu’il ait humilié des femmes en leur mettant la main aux fesses ou aux seins, en proférant des propos orduriers.  
J’ai été révoltée qu’il ait violé des femmes.  
J’ai été révoltée que sa grossièreté ait pu faire rire son entourage 
J’ai été révoltée que l’on puisse prendre sa défense, que l’on puisse lui trouver des excuses, que l’on puisse l’absoudre sous prétexte que dans Cyrano il est vraiment exceptionnel.
Mais cet homme est un acteur, il ne représente rien et n’existe que par son public, alors mon mépris à son égard ne va pas au-delà. 
Je ne lui accorde aucune présomption d’innocence sinon cela vaudrait pour présomption de mensonge à l’égard des victimes. 
La justice fera, je l’espère, son travail.

Aujourd’hui, il y a l’abbé Pierre. 
Lui, on savait depuis des années que c’était un grand homme, un bienfaiteur de l’humanité, un humaniste, un saint pour certains.  
Je n’ai que méfiance pour ce genre de personnage, car j’ai été élevée dans le culte de l’adoration des saints et déjà enfant, je ne croyais plus aux saints. Mais l’abbé Pierre, dans ma famille c’est l’équivalent de Charles de Foucauld. J’ai d’ailleurs tendance à les confondre et depuis que j’ai lu qu’en 1961, l’abbé Pierre avait été envoyé faire un petit séjour de convalescence sous couvert de retraite spirituelle à Béni Abbès, je confonds encore plus l’abbé et l’ermite béatifié en 2005. Faudrait peut-être pas trop qu’on fouille sur lui non plus. 
Depuis mercredi dernier, depuis les révélations sur les agressions sexuelles commises par l’abbé Pierre, j’ai fait une nouvelle dégringolade. 
Je n’étais pas révoltée, j’étais effondrée. 
Je replongeais à la fois dans mon enfance et dans le viol. 
J’ai lu tous les commentaires qui disaient que ce n’était pas possible, pas lui… Et pourquoi donc ces femmes avaient-elles attendu si longtemps pour parler?? J’ai erré dans le souvenir des mots de ma mère qui dit que si une femme se fait violer, c’est qu’elle l’a bien cherché. 
J’ai erré dans mes souvenirs d’enfance où l’on m’a élevée dans les interdits sexuels et l’adoration des saints martyrs. 
J’ai erré dans un labyrinthe de principes établis et martelés. 
Les garçons qui font de la voile sont des garçons bien. 
Les filles doivent se protéger des pulsions des garçons. 
Les garçons qui font du scoutisme sont des garçons bien. 
Les filles qui ont les oreilles percées sont vulgaires. 
Les filles qui couchent avant le mariage sont des traînées. 
Et au milieu de tout ça, il y a l’abbé Pierre. Le saint homme. Je ne vais pas mentir, j’aurais pu y croire, dans le fond il était un peu gauchiste, un peu contestataire, un peu emmerdant pour les politiques et c’était séduisant à mes yeux. 
Mais c’est sans compter sur ma méfiance pour tout ce qui est recommandé par l’Église catholique ; l’abbé Pierre, Charles de Foucauld, mère Theresa ou même Gandhi, je fais un pas de côté et, soupçonneuse, j’observe. J’ai le souvenir de journées de retraites avant la communion solennelle — qu’il faut appeler « la profession de foi » si l’on est de vrais chrétiens — durant lesquels le curé en charge d’une colonie de jeunes adolescentes disait publiquement à des filles de douze ans qu’il les trouvait jolies.  
J’ai le souvenir de découvertes pas très chastes dans des placards familiaux. 
J’ai tout ça en tête, je ne suis jamais allée voir « L’hiver 54 » et je me demande si Lambert Wilson a incarné le personnage en sachant sa réalité ou si lui aussi s’est fait berner. C’est bien entendu moins grave que de se faire violer ou agresser, mais ça doit tout de même ressembler à une trahison. 

L’homme pieux est mort. 
Il parait que ça lui donnerait l’absolution, une sorte de prescription. 
Il parait aussi qu’il aurait fait son premier miracle en redonnant la parole à des femmes muettes depuis des décennies… c’est la blague imbécile et indécente qui circule sur les réseaux sociaux. 
Il parait que les femmes sont des pleureuses qui se victimisent, qui minaudent... (sic). 
Ces femmes racontent toutes la même histoire, des histoires de seins, de langue dans la bouche, de fellation, d’actes qui auraient duré jusqu’à son extrême vieillesse. 
Leurs témoignages ont confirmé ma méfiance.
Leurs témoignages ont redonné vie à mes souvenirs.
Leurs témoignages m’ont fait dégringoler. 

Depardieu, ça faisait longtemps qu’on savait que c’était un porc alors que l’abbé Pierre on nous l’avait présenté comme un homme vertueux.
C’est ce qui est différent parce que c’est un mensonge qu’ils savaient tous. 

dimanche 21 juillet 2024

Les monologues du vagin

 

Les monologues du vagin. 

Je suis allée les voir sur scène hier. Cela fait vingt-sept années consécutives que cette pièce se joue chaque samedi soir au théâtre des 3T à Toulouse.

J’avais fait quelque chose de sans doute inhabituel, j’avais lu les textes des monologues quelques semaines auparavant. Juste le texte, rien que le texte, sans rien imaginer. Je voulais commencer avec l’enchainement des mots imprimés sur du papier. Je voulais qu’il n’y ait aucune voix, aucun geste, aucun sourcillement, qu’il n’y ait rien qui aurait pu influencer ma lecture.
Lorsque j’ai refermé le livre, je savais que je n’avais eu accès qu’à la moitié des monologues, il me manquait toute l’autre partie, celle du metteur en scène, celle des comédiennes, celle qui n’appartient plus à l’auteur.
Cet instant me fascine, car il s’agit alors de passer sa création à un autre, puis à d’autres, puis à des spectateurs.
Quand l’auteur a placé un point d’exclamation avec une intention qu’il avait pensé judicieuse, le metteur en scène peut décider de l’ignorer poliment pour en faire une interrogation que le comédien va interpréter dans une inclinaison de tête discrète ou dans une démonstration de surprise appuyée. C’est ainsi que j’imagine ce passage à la vie d’un texte imprimé à la scène. C’est ce que j’attendais en m’asseyant hier soir face à la petite scène du théâtre.

Nous étions mal assis, les gens mangeaient et buvaient durant le spectacle. C’était entre « Le café de la gare » et le grand théâtre du Caire où le public circule entre les rangs et discute durant toute la représentation. Je me suis dit que j’aimais bien, que ça me rappelait Rufus, les matchs d’impro avec lancer de pantoufles, mais que ça me faisait un peu peur aussi, car je venais pour vivre le texte, le redécouvrir mis en scène et interprété.
J’ai vite oublié la mauvaise chaise et les rondelles de chorizo et de rosette qui garnissaient les plateaux des spectateurs de la rangée de devant et j’ai plongé direct dans un vagin accueillant. 

Trois comédiennes complices et rieuses — je suis certaine qu’elles se faisaient rire mutuellement—m’ont emportée dans ce texte dont je buvais les phrases, les répliques, les points d’exclamation qui pouvaient bien avoir été transformés en interrogation, peu importe. J’ai même remarqué le moment où un passage a été éludé, celui où il est question de faire comprendre que les mutilations génitales infligées aux petites filles dans certains pays, n’ont rien à voir avec « une circoncision féminine » comme elles en sont parfois qualifiées, mais bien à de véritables mutilations sexuelles. Là, j’ai été certaine que le texte écrit que j'avais lu était bien plus explicite et décrivait par le détail à quoi ces mutilations correspondaient sur les organes génitaux masculins et que le metteur en scène avait sauté une ligne. Je connaissais le texte à ce point-là et je me suis dit mince, il manque des mots. Mais peu importe, c’est le travail du metteur en scène de juger que parfois il est plus fort de ne pas faire dire quelques mots. 

Quand la salle riait, souvent je n’ai pas ri. 
Souvent, j’ai eu les larmes aux yeux. 

Tout ce gâchis sur le corps des femmes, tout ce temps qu’il faut pour réparer, tout ce temps qui va être nécessaire pour faire changer une société patriarcale. 

Souvent, j’ai ri. C’était le rire du bonheur, celui de voir trois femmes heureuses, trois femmes libres et complices qui jouaient en nous parlant de nos vagins sans comédie ni faux-semblants.


lundi 8 juillet 2024

Mes chers différents 2


Mes chers différents, 

Il y a dix jours, à la veille du premier tour, je vous consacrais un billet pour alimenter le blog de nos vies dissoutes. Je vous avais choisis parce que vous êtes mes amis, parce que vous êtes différents et que vous faites partie de ceux qui ne seront jamais épargnés par le regard et le jugement des autres.
Naine, frisée, noire, un peu moins noire, lesbienne, pédé, comédien, auteur, metteur en scène, militant, militante. Chacun d’entre vous possède au moins l’une de ces différences, parfois deux, parfois trois et même quatre, si je réfléchis bien. La différence que vous possédez en commun, c’est d’appartenir au monde des adoptés.
Si la vie ne vous a pas fait de cadeau au départ, vous avez tous su composer avec vos différences, vous avez su en tirer quelque chose. 

Sonia parvient à se faire des Brushings époustouflants qui effacent toutes ses boucles. Devant la caméra, elle se transforme en p’tite sœur lubrique de la Voie lactée et elle a même fait un bébé toute seule.
La nuit Sonia rêve qu’elle court un 100 mètres sur des échasses.
Un jour, elle siègera à l’Assemblée nationale, elle l’a promis à son père. 

Magali est une héroïne de roman. Un jour elle est partie à la recherche de sa famille du Sri Lanka et elle a découvert qu’elle était la fille d’un homme célèbre durant la guerre civile, un homme intègre et admiré.   Quand elle ne sillonne pas le Sri Lanka, Magali est une militante de la cause LGBTQIA+, engagée aux côtés des Verts.
La nuit, Magali rêve qu’elle gagne les élections contre Marine Le Pen.
Un jour, elle siègera à l’Assemblée nationale.

Nicolas est homosexuel. Sa vie différente, il l’écrit, la met en scène et la joue. Sa vie devient ainsi la vie de tous les autres différents qui ne se sentent plus différents. Nicolas me téléphone et me dit que non, je ne suis pas différente. Il m’affirme que je suis libre et que je dois le rester.
La nuit, Nicolas rêve que son dernier spectacle s’est fait démolir dans une critique de «Valeurs Actuelles».
Un jour, il jouera dans la cour d’honneur du Palais des papes. 

Ma différente, ma petite,
La tornade brune ne t’emportera pas. L’orage est passé.   
C’était un sale coup de vent qui nous a tous fait peur, mais nous savons bien que quand « le vent se lève, il faut tenter de vivre. » 

Mes chers différents, ma petite différente, vous pouvez reprendre votre souffle et vivre. 



samedi 29 juin 2024

Mes chers différents

 

Nicolas Petisoff ©️Julie Glassberg



Aujourd’hui et demain, veille et jour de vote, je ne vais pas parler politique. 

Je vais parler des différences.

Je vais vous présenter des "différents" :  Sonia, Magali et Nicolas. 


Sonia, quarante et un ans, la plus jeune des différents. Et aussi la plus petite. Elle mesure 123 cm, sans ses échasses. Ça, c’est elle qui l’ajoute toujours, le coup des échasses. Pour la décrire, la comparaison la plus facile c’est de vous dire, Mimi Mathy et ensuite vous allez directement penser à Fort Boyard. C’est comme ça, c’est inévitable. C’est un réflexe normal. Je viens d’évoquer Mimi Mathy et je ne peux m’empêcher de penser à ma belle-mère qui à chaque apparition de Mimi Mathy dans le Théâtre de Bouvard, commentait par un : « Elle est quand même mignonne la petite naine ! » J’aurais voulu lui signaler qu’elle commettait un pléonasme de taille et éventuellement oser lui demander pourquoi elle la trouvait mignonne « quand même ». Je n’ai jamais rien dit et j’ai entendu cette remarque durant des années, avant le JT du 20 heures, lorsque nous allions dîner chez elle. J’aurais pu oublier, mais dès que je vois Sonia, c’est plus fort que moi je repense à ma belle-mère. D’ailleurs elle aurait voté pour qui ma belle-mère, la femme du peuple, l’ouvrière qui abhorrait les salauds de patrons ? 

Donc la différence de Sonia, c’est d’être naine. 

C’est déjà un bon gros dossier pour démarrer dans la vie et jusque-là on pourrait la penser à égalité avec Mimi Mathy à quelques centimètres près : neuf en plus pour Mimi, et comme dit Sonia, à notre niveau de hauteur, neuf centimètres, ça compte.

Pour épaissir le dossier, Sonia est arabe. 

Bien brune, bien frisée, bien typée, bien identifiée. 

Pour faire déborder le dossier, Sonia a été abandonnée puis adoptée. 


La deuxième amie, c’est Magali, quarante-quatre ans. 

D’elle, on pourrait dire qu’elle n’a que des différences !  

Magali est noire typée indienne, c’est ainsi qu’elle se décrit et qu’on la voit. 

Elle est lesbienne. Elle ne s’en cache pas et l’affirme haut et fort. 

C’est une militante écologiste, féministe, militante de la cause LGBTQIA+ et de la lutte antiraciste. 

Elle vit à Hénin-Beaumont ce qui peut être assimilé à une forme de handicap quand on sait que Magali s’est présentée à des élections face à Marine Le Pen. 

Magali a été abandonnée au Sri Lanka, puis adoptée par une famille française. 

Depuis cette semaine, elle, qui se sent tellement française, envisage de récupérer sa nationalité sri lankaise pour se payer le luxe d’être officiellement binationale, pour être militante jusqu’au bout et acter sa double identité. 


Mon troisième ami bourré de différences, c’est Nicolas. Nicolas Petisoff.

Comédien, metteur en scène, il a quarante-cinq ans. 

Homosexuel revendiqué et fier de son orientation sexuelle. Je l’ai rencontré sur scène et je l’ai aimé immédiatement. 

La voilà sa différence : être pédé. Ah oui ! Vous croyez qu’on ne peut pas dire « pédé » ? Mais si ! Quand on ne leur met pas sur la gueule, on peut ! Allez leur demander, ce n’est pas du tout une injure quand on les aime. Et moi, je les ai toujours aimés. Ce sont des hommes dont je n’ai pas peur, je peux passer l’après-midi vautrée sur un lit avec l’un d’entre eux à regarder la téloche sans appréhender qu’il s’approche de moi et me touche. Ce sont les seuls hommes que j’embrasse sans crainte. 

Nicolas est blanc. Il a cette chance. 

Mais, bon, faudrait pas croire non plus… Nicolas a été abandonné puis adopté. 


Depuis le 9 juin à 21 h, j’entends leurs frayeurs. 

Est-ce qu’ils vont devoir vivre dans une France où la xénophobie et l’homophobie ne seront plus seulement banalisées, mais institutionnalisées ? 

Que vont devenir les spectacles vivants et la culture en général ? 

Et la littérature ? La liberté des mots ? Ma liberté. 

Ce samedi 29 juin, vingt jours après la dissolution de notre démocratie et veille du premier tour des législatives, je pense à Sonia, Magali et Nicolas, je pense à toutes celles et tous ceux qui sont différents et qui seront visés par la haine. 

Je pense aux femmes qui seront elles aussi les premières à payer le prix de l’ordre et de la morale. 

Je pense à ma fille. Je ne pense plus qu’à elle. Comment et pendant combien de temps vais-je pouvoir la protéger et la rassurer ? 

C’est effrayant. 

---------

"Comment avouer son amour quand on n'a pas le mot pour le dire ?"
Spectacle de Nicolas Petisoff et Denis Malard à Avignon du 4 au 21 juillet.
https://lebureaudesparoles.fr/spectacles/comment-avouer-son-amour-quand-on-ne-sait-pas-le-mot-pour-le-dire/ 




dimanche 23 juin 2024

Alice

 


Elle s’appelle Alice. 
Je la rencontre tous les matins où je vais boire un café à l’Agora sur la place Nationale. Elle y est attablée devant la page des mots croisés de la Dépêche et du Parisien, sauf le mardi, jour de fermeture de l’Agora où elle se replie au Marakana. 
Rien ne semble pouvoir la faire déroger à son rituel et je l’envie.

Il y a quelques mois, j’en ai su un peu plus sur elle. C’est elle qui nous avait interpelés et je m’étais autorisée à la questionner. Le bic en l’air, elle nous avait demandé : « Je bute sur un mot : sandove, ça veut dire quoi ? Ce ne serait pas un mot d’informatique ? Vous, vous devez savoir ! » On avait réfléchi, mais moi si on ne prononce pas exactement comme il faut, je ne comprends pas et c’est Jean-Noël qui avait immédiatement réagi en lui disant : « C’est sandow, c’est un tendeur ! » et elle avait replongé le nez dans sa grille en acquiesçant : « Ben oui ! C’est tendeur. Il me manquait le d ! Merci ! »

C’est ce jour-là que nous avions entamé une petite discussion et que j’ai appris qu’Alice avait quatre-vingt-dix ans, qu’elle venait à pied tous les jours, depuis chez elle, un peu plus de deux kilomètres aller-retour, qu’elle faisait des mots croisés depuis ses dix-huit ans et que quand elle ne faisait pas de mots croisés elle consacrait sa vie à Dieu. Je n’en ai pas su bien plus, seulement que la solution à tous nos problèmes passait par Dieu. Elle était formelle sur ce point, bien plus que pour le sandove récalcitrant. 

Ce matin, quand Jean-Noël m’a trainée sur la place Nationale pour y boire un café, Alice y était aussi, comme tous les jours. Elle avait toujours l’air aussi heureuse. Comme si de rien n’était alors que pour moi, tout y était et du mauvais côté. 
Nous nous sommes dit bonjour selon nos habitudes. Je dis : « Bonjour Alice ! » et elle me répond : « Bonjour madame ! » 

Ce matin, je lui ai demandé si je pouvais la prendre en photo, juste ses mains sur la grille des mots croisés, elle m’a demandé pourquoi je voulais la prendre en photo et je lui ai expliqué que j’écrivais des billets et qu’aujourd’hui j’allais écrire un billet sur elle. Elle m’a dit : « Vous pouvez bien prendre ma tête aussi, je n’ai rien à cacher ! » et elle a posé immobile. Puis elle a repris sa grille, souriante. 

Est-ce que ce n’est pas Alice qui a raison puisqu’elle a l’air si heureuse et insouciante ?

Je ne veux pas savoir pour qui elle va voter dimanche, peut-être pour Dieu. 
La seule chose qui m’inquiète, c’est le matin où je ne verrai plus Alice à la terrasse de l’Agora.