dimanche 15 septembre 2024

Rajapaksa et Macron


En janvier 2010, nous vivions au Sri Lanka par période de plusieurs mois dans une petite maison sur une plage du sud de l’île. La guerre faisait rage dans le Nord et l’Est de l’île depuis 1983, c’est dire que depuis 1985 nous n’avions connu qu’un Sri Lanka déchiré par la guerre civile. Nous vivions au Sud et les seuls indicateurs de la guerre étaient les ambulances qui passaient sur la route en provenance du Nord pour aller déposer les corps des soldats à la morgue de Colombo et les attentats qui faisaient exploser des bus un peu partout dans les provinces du sud. 

Il y avait parfois des exécutions sommaires de Tamouls dans la ville où nous vivions. Je me souviens du bijoutier, un money changer, un grand type sympa exécuté quelques minutes après que nous sommes sortis de sa boutique où l’on venait de faire du change. Le pays était coupé en deux, toute la zone tamoule du Nord et de l’Est était interdite, nous n’avions jamais pu nous y rendre. En mai 2009, la guerre a pris fin par une défaite du LTTE (les forces tamoules), un carnage humain sur les plages du nord. Prabhakaran, le dirigeant historique du LTTE est tué par l’armée gouvernementale ainsi que son fils de 10 ans quelques heures plus tard. Je me souviens des photos de cet enfant, assis sur un tronc d’arbre, résigné, attendant que son sort soit réglé. Ils le lui ont réglé. 

Ce qui a suivi me hante de nouveau depuis ces dernières semaines, le président en place, Mahinda Rajapaksa jusqu’à novembre 2009 (la fin de son mandat), fort de sa victoire sur les Tamouls du LTTE a déplacé la date de l’élection présidentielle qui devait avoir lieu en novembre. Par un tour de passe-passe, il a décidé que les Sri Lankais voteraient en janvier pour une élection présidentielle qui prendrait effet à la date prévue, c’est-à-dire dix mois plus tard. On pourrait dire « trop fort ! », mais les Sri Lankais n’ont rien dit, ils se sont inclinés devant la décision présidentielle pas très constitutionnelle. 

Je me souviens de ma surprise face à l’annonce de ces élections « par avance », elles n’étaient pas réellement anticipées puisque c’était juste un avancement de date de novembre à janvier.
Je me souviens de mon étonnement face à la réaction des Sri Lankais. Ils ont encaissé sans broncher. 

Le président Rajapaksa s’est alors lancé dans une campagne digne de ces fameux télédrama dont les Sri Lankais sont friands, il a fait ériger à l’entrée des villes d'immenses silhouettes le représentant, il a fait imprimer des billets de banque à son effigie, des billets de 1000 roupies très utilisés qui circulaient comme autant de tracts électoraux. C’était tellement surprenant que j’ai conservé un de ces billets pour être certaine de ne pas l’avoir inventé.
Le président Rajapasa organisait régulièrement de grandes parades, de grandes fêtes populaires, des distributions de cadeaux ménagers pour les familles. Il embrassait aussi énormément les enfants durant ses déplacements.
Nous assistions à tous ces déploiements en nous demandant si les Sri Lankais allaient réagir devant la montée de ce que nous qualifions Jean-Noël et moi de prise de pouvoir. Mais la population applaudissait devant les défilés de bateaux enturbannés de drapeaux, elle en redemandait.
Des bus étaient affrétés gratuitement depuis Colombo pour emmener des familles entières de Cinghalais qu’ils déversaient chaque week-end sur les plages de l’Est reconquises aux forces tamoules. 

Le 26 janvier 2010, le président Rajapaksa est réélu « par anticipation » avec 58 % et le 27 janvier, il expédie, son opposant battu le général Fonseka proche des populations tamoules, dans la prison de Colombo.
Les Sri Lankais ne se sont jamais soulevés, ils ont tout accepté. Jean-Noël et moi, nous avions assisté à cette campagne hors norme et cette élection surprenante et avions fini par trouver de multiples excuses à la population. Ils sortaient de presque trente années de guerre, il fallait les comprendre. On se disait aussi, ce sont des Asiatiques, c’est leur tempérament. On se disait, ce sont des bouddhistes, ils acceptent. Et puis, nous n’étions pas chez nous, nous n’allions pas organiser la rébellion, d’autant que dans ce genre de pays, dès qu’on dit un mot plus haut que l’autre, c’est direct la case prison.
Depuis 2010, Rajapasa a toujours été au pouvoir à la manière des dictateurs, un coup Président, un coup Premier ministre. Et inversement. Il n’y a qu’en 2022 que la révolte populaire l’a obligé à démissionner et pour l’instant encore sans retour.

En France nous assistons à toutes ces parades, ces suppléments de parades, ces décorations, ce faste, ces Alphajet qui tracent des drapeaux tricolores dans le ciel. Le Président qui rajuste le dernier bouton du col de Teddy Rinner dans une intimité gênante. La voix off du Président dans un film rendant hommage aux athlètes. Est-ce pour nous faire oublier que depuis le 9 juin, nous n’avons plus de gouvernement, que nous avons attendu presque deux mois pour voir nommer un Premier ministre n’appartenant pas à la majorité sortie des urnes ?

Pourquoi le Sri Lanka me hante-t-il autant ces dernières semaines??
Parce qu’à l’identique, nous ne disons rien.
Nous encaissons.
Résignés.
Pourquoi ? 


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