Comme je ne vais toujours pas mieux ; la gorge enflammée et serrée comme les personnages des romans du 19° qui meurent de la fièvre typhoïde, le souffle court et les jambes coupées au bout de cinq minutes de marche, je suis retournée voir un médecin. C’est un médecin qui ne me connait pas, mais, dans le désert médical de Montauban, je ne peux pas faire la difficile et je n’ai pas le courage de faire une heure de route aller, puis sans doute plus d’une heure d’attente, et encore une heure de route retour pour aller reconsulter mon médecin, le gentil, celui qui me connait depuis quinze ans.
Me voilà donc face à un médecin qui me découvre pour la deuxième fois seulement. Il est gentil aussi.
Ma gorge, il voit. Ma toux et mes poumons, il entend. Ça va. il me croit.
Puis il me demande comment je dors je lui réponds que je dors mal, mais je commets l’erreur de préciser que c’est habituel.
Il bondit sur ma précision pour me dire qu’il va m’expliquer en trois points comment bien dormir. C’est, et, il commence par-là, une étude documentée des Laboratoires Fabre pour le Vendée Globe. Ça ne me prédispose pas à la confiance plutôt à l’éclat de rire, il ne peut pas le savoir, il ne me connaît pas.
Je décide de l’écouter droit dans les yeux.
1e point : Je dois faire des siestes de vingt minutes, pas plus. Une histoire de mélatonine. Et là, timidement, il se tourne vers Jean-Noël qui, à ma demande, m’avait accompagné, et dit en le pointant du menton : « Vous demandez à quelqu’un de venir vous réveiller. » J’ai envie de rire, car je pense que pour vingt minutes, il sera inutile de venir me réveiller, je ne me serai pas endormie ! Il précise l’horaire de la sieste, l’idéal est de la faire juste avant le repas de midi. J’ai encore envie de rire en imaginant le repas de midi et ce que nous mangerions si je partais faire la sieste à 11 h 30. Je me souviens que je suis féministe, alors je me retiens de lui expliquer qu’il n’y a que moi qui cuisine et qu’à 11 h 30, je suis aux fourneaux. Il me dit que je peux aussi faire cette sieste avant le repas du soir. Là aussi, je me retiens de lui dire que c’est le moment où je me tape mon quart de verre de vin rouge avec mon homme, que c’est le moment de la journée où on arrête de bosser pour se retrouver et que j’envisage difficilement de filer à la sieste dans ce créneau privilégié. J’ai compris qu’il ne peut pas imaginer que nous travaillons, tout simplement parce qu’il ne m’a jamais demandé ce que je faisais dans la vie et qu’il me voit vieille.
2e point : Je dois me coucher à 22 h 30. La raison du coucher avec les poules (pour moi), c’est qu’il est scientifiquement prouvé que le sommeil récupérateur se situe entre 22 h 30 et minuit. Je n’ose lui demander s’il fonctionne à l’heure d’hiver, à l’heure d’été ou à l’heure solaire. Entre ces trois horaires, on a tout de même deux heures d’écart qui, si on raisonne à l’heure solaire, ramènerait mon coucher en été à 20 h 30. Et surtout, ce que je me garde bien de lui dire, c’est que je ne me couche jamais avant minuit. De toute manière, j’écoute sans rien objecter.
3e point : Mes activités avant de dormir. Ne pas regarder d’écran et lire. Il précise, des livres papier. Je ne dis toujours rien, je pense à mes piles de livres, à tout ce que je lis. Heureusement, il ne me conseille pas d’auteur en particulier, mais à un moment, j’ai cru qu’il allait le faire. Peut-être le roman d’aventures d’un navigateur du Vendée Globe ou l’histoire des labos Fabre ?
Après ce 3e point, il me dit qu’il ne faut pas négliger l’apport du magnésium dans la qualité du sommeil.
Et là, ç’a été une détonation dans mon cerveau. Ce que ma psy appelle le stress post-traumatique et qui revient me frapper à l’énoncé de certains mots, à la vision de certaines images, au toucher aussi de certains textiles.
Il a suffi de « magnésium » pour me ramener à ce jour où, il y a plus de vingt ans, j’avais compris que j’allais basculer du mauvais côté, ce jour où j’avais rassemblé mon courage pour aller voir mon médecin. C’était une époque où on pouvait consulter son médecin dans l’heure. J’étais allée la voir pour lui dire que j’allais mal et décidée à lui dire pourquoi. J’étais partie déterminée à lui raconter ce qu’il m’était arrivé. Le viol.
Je m’étais assise en face d’elle en lui disant que j’allais très mal et qu’il fallait m’aider. Elle m’avait répondu que je devais manquer de magnésium et j’étais ressortie de son cabinet sans avoir rien pu lui raconter, mais avec une prescription de magnésium.
Une semaine plus tard, j’étais admise en psychiatrie.
Des décennies plus tard, le mot « magnésium » vient toujours réveiller la honte de la violence que j’ai subie et l’incompétence d’un médecin. Celui d’hier est venu renfoncer le clou et c’est moi qui m’enfonce dans le fauteuil, je vais peut-être pleurer. Je me cramponne, lui sors que je ne supporte pas le magnésium, que ça me colle des diarrhées. Il dit : « Alors, il ne faut pas en prendre. » Ouf ! Exit le magnésium.
J’arrive à me reprendre et lui rappelle que je suis venue le consulter, car j’ai mal à la tête, mal à la gorge, que j’ai de l’asthme et que je suis hyper fatiguée dès que je me lève. J’en ai encore trop dit, il réplique : « La fatigue le matin, c’est psy ! », et c’est là que j’ai décidé qu’il fallait que je cesse de me taire et de m’enfoncer dans mon fauteuil en me retenant de pleurer. Je lui ai dit que je savais gérer mes problèmes de sommeil depuis des décennies, que je m’en arrangeais, que ce n’était pas si grave que ça et je lui répète que ce qui me fatigue, c’est ce virus dont je ne me remets pas. Que pour le reste, j’ai une psy et que je m’en occupe. Il a eu l’air surpris et m’a sorti un truc auquel je n’ai rien compris : « Faut éplucher l’oignon », en même temps qu’avec ses deux mains il mimait un épluchage, l’oignon dans une main et le couteau dans l’autre. Je me suis dit que, quand j’allais raconter ça à ma psy, lors de la prochaine séance, elle risquait de rire. Elle, le couteau et moi, l’oignon ?
Le médecin du Vendée Globe et de Pierrre Fabre a fini par laisser tomber sa théorie sur le sommeil et mes fatigues matinales. Il m’a tendu ma prescription. Un traitement de choc m’a dit la pharmacienne ce matin.
Ça devrait aller mieux rapidement.
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