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Autoportrait |
Je suis devenue vieille lorsque je suis venue vivre à Montauban. Ça fait deux ans et demi.
C’est arrivé d’un coup.
Jusque-là, je passais les années en m’amusant, en glissant doucement vers cette vieillesse inéluctable, mais que j’imaginais loin de moi.
Mais, le passage à Montauban a agi comme un révélateur, j’y rencontrais des inconnus qui me découvraient et qui me disaient que j’étais vieille. Ils ne me l’ont pas dit directement, quoiqu’on m’ait déjà fait le coup, il y a plusieurs années en arrière, dans un salon où un couple avait acheté un de mes tableaux et avait demandé à me rencontrer, ce que j’avais bien entendu accepté. Le tableau était une grande peinture et j’avais prévu de leur offrir un de mes livres d’artiste. À l’heure du rendez-vous, je m’étais avancée vers eux, un couple d’une soixantaine d’années et le monsieur m’avait accueillie par un : « Ah ! Mon Dieu, on ne vous imaginait pas aussi vieille ! » Je ne m’étais même pas sentie obligée d’être polie malgré les dénégations de sa femme qui en avaient fait des caisses pour rattraper l’irrattrapable en m’expliquant que ma peinture était si dynamique qu’ils n’avaient pu imaginer que ce soit une artiste de mon âge qui en était l’auteur… Je les avais laissés en plan en gardant mon cadeau sous le bras.
Depuis cet avertissement qui remonte à au moins quinze ans, j’avais oublié, j’avais baissé la garde. Je n’entendais que Simon, celui qui m’appelle sa petite fille vieille et qui me dit que je suis une petite merdeuse.
En arrivant à Montauban, j’ai compris la dureté de ne pas rester vivre sur les lieux où l’on a été jeune, là où j’étais une jeune mère de famille, une jeune photographe, une jeune demandeuse d’emploi, une jeune grand-mère, une jeune militante, une jeune patiente, une jeune citoyenne, là où les autres me regardaient avec en arrière-plan l’image d’une femme encore jeune.
Désormais, je suis vieille. Direct.
Et ce n’est pas tant que d’être vieille, je savais que c’était inéluctable, mais que ce soit des étrangers qui viennent me le dire, c’est insupportable.
Lorsque je tends ma carte de mutuelle dématérialisée sur l’écran de mon iPhone et que l’on me dit doucereusement : « On va vous faire une impression papier, ce sera plus pratique pour vous », lorsque je paie avec mon téléphone et qu’on me dit : « Vous êtes moderne pour votre âge », lorsque le vendeur de fruits et légumes m’apostrophe : « Petite mamie », je réplique que je ne me sens pas concernée.
Je sais que mes cheveux ont blanchi, que mon corps a changé, que mes mains disent mon âge, mais c’est mon affaire devant le miroir.
J’ai compris toute seule que j’avais vieilli. C’était quand j’ai trouvé que les autres étaient vieux et que je découvrais qu’ils étaient plus jeunes que moi. C’était quand un homme se retournait sur moi et que je le trouvais vieux et qu’un jour, il n’y a plus eu que les vieux pour se retourner. C’était quand j’ai réalisé que je ne pouvais plus dire que j’étais tombée amoureuse parce que ça horrifiait mon interlocuteur. C’était quand j’ai gardé mes chagrins d’amour pour moi parce que les vieux n’ont plus d’histoire d’amour. La société l’a décidé. L’amour des vieux et entre vieux, c’est repoussant.
C’est tout ça vieillir.
Certains jours, pour me faire rire, je repense aux acquéreurs de ma peinture. Ceux qui m’avaient trouvée vieille. Ils ont dû accrocher le tableau sur un de leurs murs et que disent-ils à leurs amis si ces derniers le remarquent ? C’est une vieille artiste qui peint comme une jeunette… On s’est fait avoir, on a acheté un tableau sans rencontrer l’artiste au préalable et on a eu la déception de notre vie, c’était une vieille dame…
Je ne sais pas et, en plus, je ne me souviens même plus du tableau que je leur avais vendu.
Sauf que c’était un truc de jeune.
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