C’est une enquête de satisfaction, une feuille jaune sur laquelle il y a toute une série de questions à propos de votre séjour. Pour répondre, il suffit de cocher l’émoticône qui va du grand sourire extatique à la moche grimace. Je remplis le questionnaire à toute vitesse, c’est très simple, je ne coche que les sourires extatiques et les sourires ravis.
Je vais glisser ma feuille jaune dans la fente d’une boite posée sur le comptoir de la réception.
Je ne suis pas dans un hôtel 4 étoiles, je suis simplement en train de quitter un hôpital, le CHU de Nîmes.
Au moment où je rends mon questionnaire, je me dis que je ne peux pas me contenter de cocher des émoticônes hilares pour évaluer la qualité de mon séjour.
Je voudrais leur dire autrement.
J’ai consacré du temps et de la rage à écrire à propos de ceux qui m’avaient maltraitée, je suis aussi capable d’écrire à propos de ceux qui ont exprimé autant d’empathie et de professionnalisme à mon égard.
La chambre particulière m’était-elle réservée ? Je ne le saurai jamais. Même si j’avais exprimé ma préférence pour une chambre que je ne voulais partager avec personne, je savais qu’à l’arrivée cela n’est jamais une certitude.
Cette chambre particulière, la 2057, semblait m’attendre et j’en ai pris possession comme d’un cadeau inespéré me préparant à vivre ces quelques jours tant appréhendés.
Et vous êtes entrés dans cette chambre qui était devenue pour quelques jours MA chambre en vous comportant comme des invités qui rentrent en se présentant par leur prénom et leur fonction : « Bonjour, je suis Laura, votre infirmière de nuit, bonjour, je suis Christophe infirmier et nous allons passer la journée ensemble… »
Je ne savais pas s’il fallait que je vous réponde : « Bonjour, je suis Véronique, la patiente de la chambre 2057, et je vais partager aussi votre journée. » Je disais juste bonjour, car je n’aurais pas voulu que vous pensiez que j’ironisais.
Lorsqu’il s’est agi de mon intimité, vous avez été simples et sans infantilisation, me laissant mon libre arbitre, pour décider et en me faisant confiance sur les règles d’hygiène à observer avant l’opération.
Vous m’avez installée sur le brancard pour me conduire au bloc, vous avez pris la couverture de mon lit en la posant sur moi et en me disant : « Ce sera mieux, ce matin, il fait un peu frais dans les couloirs. » Et puis, pendant les très longues minutes où vous m’avez poussée, vous vous êtes laissé aller à des confidences sur ces couvertures : « Vous ne les trouvez pas moches, vous, ces couvertures ? Moi, je les trouve horribles, elles me font penser à celles que ma mère mettait sur tous les lits chez nous quand j’étais ado. D’ailleurs elle n’en mettait pas que sur les lits, il y avait des petits bouts carrés de ces couvertures trouées sur les tables, sur la télé. Ça s’appelle comment ces trucs ? Ah oui ! des napperons vous dites. »
Je vous ai demandé si vous n’habitiez pas chez « La mère à Titi » et vous avez éclaté de rire en poussant le brancard vers les portes du bloc.
Vous m’avez endormie, mais, avant vous avez eu le temps de me faire un numéro de séduction à deux : « Lequel je trouve le mieux ? » Je ne sais pas, je vous trouve « le mieux » tous les deux et vous riez et vous êtes beaux.
Vous m’avez réveillée. Une main chaleureuse s’est posée sur mon bras pour me dire que tout allait bien. Vous m’avez demandé de noter ma douleur et vous avez fait préparer une dose de morphine. J’ai bien entendu la fin de votre phrase à l’adresse d’une consœur infirmière : « … ça suffira, c’est un petit gabarit. » Je suis envahie de douleur, mais une onde de bonheur me submerge à l’idée d’être perçue comme « un petit gabarit ». Moi qui me trouve parfois un peu alourdie par les années, je me sens soudain rassurée, je reste à vos yeux, un petit gabarit.
Vous êtes l’interne qui viendra me voir tous les jours et je vous découvre alors que l’on vous a appelé pour intervenir sur la mare de sang dans laquelle mes fesses pataugent soudain.
Vos gestes sont rapides et efficaces et vous me demandez l’autorisation de m’examiner intimement : « Je vais vous faire un toucher vaginal et je vais vous faire mal, mais je dois aller enlever des caillots et voir ce qui se passe. »
Vous me demandez l’autorisation de pénétrer mon intimité.
Cette question me permet de me détendre et de vous faire une totale confiance.
Je garde le souvenir encore violent et brulant d’une femme médecin de Toulouse qui, il y a quelques mois, m’a examinée brutalement et douloureusement sans aucun mot pour m’en prévenir auparavant et même pendant. Son geste pénétrant est encore dans ma mémoire, car je l’ai vécu comme un viol.
Là, vous me demandez si vous pouvez … Et je me dis que vous avez dû lire Mes mille et une nuits de Ruwen Ogien.
Ou vous êtes un homme respectueux de la femme qui est allongée dans un lit et qui a besoin de lui.
Vous êtes le chef du service, mais votre fonction n’a pas gonflé votre ego et vous avez toujours pris le temps de discuter et de m’expliquer ma pathologie avec précision et sans mensonge lors de nos rencontres qui n’étaient jamais protocolaires, mais empreintes de gravité, de bonne humeur et d’empathie.
Vous venez faire mon lit et retaper mon oreiller en me racontant vos enfants et leurs études. Lorsque vous refermez la porte, vous me dîtes : « Merci pour ce moment de discussion. »
Vous venez me dire bonsoir et vous me montrez la sonnette accrochée à la potence en me disant : « Le bouton rouge, c’est celui sur lequel il faut appuyer si vous avez le moindre besoin, la moindre douleur. Nous sommes là pour ça, il faut appeler. » J’ai soudain l’impression que je n’appelle peut-être pas assez et que vous craigniez que ce ne soit par discrétion. Je vous rassure, je vous promets d’appeler si j’ai besoin de vous.
Quand j’ai rempli ce feuillet jaune en cochant toutes les émoticônes hilares, c’était bien peu par rapport au réconfort que vous m’aviez apporté pendant ces quelques jours passés au CHU.
Je voulais vous l’écrire avec de vrais mots, de vrais sentiments.
Je voulais que l’on sache qu’au CHU de Nîmes, les soignants sont humains.
La vie est dure, mais à vos côtés, elle l’était un peu moins.
#chuNimes