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Mosaïque © Olivier Gramond |
Le blog de Veronique Piaser-Moyen, une femme artiste qui se raconte au quotidien avec humour et émotions.
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Photo : Dammas Hordijk et Véronique Piaser-Moyen. Décembre 1985. |
Avoir été pris en photo au côté d’un criminel, d’un terroriste, fait-il de vous un criminel ou un terroriste ? (ça marche au féminin)
J’ai été amenée à me poser cette question quand on m’a mis sous le nez, en commentaire à mon partage d’un post d’Amnesty International, une photo de Anas Al Sharif aux côtés de Yahya Sinwar, pour me démontrer que je faisais fausse route en défendant la mémoire du journaliste assassiné.
Pour rappel, Anas Al Sharif est le journaliste d’Al Jazeera qui a été tué à Gaza par une frappe d’Israël avant-hier le 10 août 2025, avec cinq de ses confrères, et Yahya Sinwar est l’ancien chef du Hamas.
Une photo vous transforme-t-elle en terroriste ou en criminel et justifie-t-elle qu’on vous assassine ?
J’ai immédiatement pensé aux années 1985-1986 et à Dammas Hordijk. Nous travaillions ensemble pour les adoptions internationales au Sri Lanka. Dammas était l’un des plus grands trafiquants européens d’enfants dans le monde et il était mon ami. Nous l’avions reçu chez nous par trois fois et j’avais envoyé mon fils en vacances chez lui à Nimègue.
J’ai collaboré avec Dammas, durant un an, j’ai aidé cinquante familles françaises à adopter un enfant, c’est-à-dire que j’ai envoyé cinquante familles et cinquante enfants dans le mur. Je me suis associée avec un criminel, puisqu’avant Sri Lanka, il avait fourbi ses armes en Amérique du Sud.
J’ai été amie avec un criminel. Cela fait-il de moi une criminelle pour autant et sur la seule foi de photos et de documents ? Puisque dans mon cas, il y a aussi des documents où mon nom est associé à celui de Dammas Hordijk.
Ces documents et ces photos justifieraient-ils que je me prenne une rafale de fusil mitrailleur ?
Je me suis déjà pris les attaques des représentants des ministères qui n’avaient que ces misérables documents à me sortir pour prouver que j’étais coupable de ce que je voulais dénoncer. J’avais cherché à me faire passer pour une lanceuse d’alerte alors que, selon eux, je savais, et qu’ils m’avaient débusquée. Je me suis défendue et, ce jour-là, ils avaient compris que mon nom accolé à celui de Dammas Hordijk ou que des photos ne suffisaient pas à me condamner. J’avais réussi à les convaincre que je n’aurais jamais participé à un trafic d’enfants si j’avais su à quoi se livrait Dammas Hordijk. Et ils avaient compris.
Malgré tout cela me poursuit. Dans les deux sens du terme. Dans ma tête et dans mon action. Mon nom figure pour toujours à côté du plus grand trafiquant européen d’enfants et, sur les photos je pose souriante à côté de lui, sa main entourant mon épaule. C’est une preuve irréfutable selon ceux qui ne veulent pas chercher à comprendre.
Cela a suffi à la juge d’instruction pour classer l’affaire.
Et cela suffira toujours à ceux que ça arrange, pour justifier que je dois être éliminée.
J’aime regarder les étapes du Tour de France, surtout celles qui se déroulent dans les Alpes où je vois défiler sur l’écran des paysages familiers.
Aujourd’hui, c’est l’une de mes étapes préférées, celle qui me met en joie, car les coureurs vont franchir le col du Glandon.
Cette joie prend sa source dans ma toute petite enfance. Avide des mots nouveaux que je lisais ou que j’entendais prononcer par les adultes, je m’empressais de les glisser dans mes conversations de toute petite fille et c’est ainsi que j’avais intégré le verbe « glander » dans mon vocabulaire et m’étais fait réprimander aussi sec par l’un de mes parents, mais sans plus d’explications. Et c’est à partir de la non-explication que le mot nouveau s’entourait d’un mystère que j’associais toujours au sexe. C’était inévitable (je l’ai appris depuis), tout ce qu’on ne m’expliquait pas et qu’on m’interdisait en faisant des silences et des bouches tordues, devenait suspect et donc sexuel. Le verbe glander avait ainsi pris place sur l’étagère des mots interdits et dégoutants. Lorsque j’ai entendu, les Grenoblois dirent qu’« ils avaient les glandes, » et que ça semblait embarrassant de les avoir, j’ai immédiatement eu une vision des glandes en question. Je comprenais enfin la désapprobation qui entourait ce mot jusqu’au jour où mon père nous a emmenés en famille piqueniquer au col du Glandon. Tout semblait normal pour le col… On pouvait dire glandon, et même le placer en toute décontraction, dans les conversations avec les amis de mes parents. Le col du Glandon avait réhabilité les glandes !
J’ai vécu les mêmes interrogations pour d’autres mots, comme mérinos dans l’expression « Laisse pisser le mérinos » que mon père prononçait souvent. Ce mot étrange, associé à une histoire de pisse, m’avait persuadé que mérinos était le mot savant pour parler du sperme. Et je l’ai cru pendant très longtemps… Si longtemps qu’aujourd’hui encore, je ne peux pas lire ou entendre ce mot sans devoir me rappeler qu’il s’agit d’un mouton avec de la laine sur le dos.
Cet après-midi (revenons à nos moutons !), c’est l’étape du col du Glandon, l’étape qui me met en joie pour ne pas pleurer sur mon enfance.
C’est ce qui était annoncé sur les affiches et les banderoles autour d’une installation de tables montées sur des estrades sur lesquelles reposaient des ceintures dorées de champions de boxe.
Je m’étais renseignée pour être certaine de ce qui était annoncé, car je n’y connais rien en boxe et c’est un sport que j’évite, je pense toujours à « Qui a tué Davy Moore ? Qui est responsable, et pourquoi est-il mort ? », c’est plus fort que moi.
Ce n’était pas un combat, c’étaient les présentations pour un gala qui allait se dérouler le lendemain. Un gala de boxe, l’oxymore est bel et bien présent.
Puisque ce n’était qu’une présentation de combattants, je me suis sentie tentée de faire des photos. Des boxeuses ou des boxeurs, ce sont des personnalités et des physiques intéressants. Le second intérêt était que j’allais pouvoir faire des images en toute sérénité, sans me faire agresser pour des histoires de droit à l’image dont, maintenant le moindre passant se saisit, se prenant pour une personnalité traquée par les paparazzis.
Après avoir enfilé un pantalon et un teeshirt, je suis revenue à 20 heures avec mon matériel photo et le plein d’enthousiasme qui m’envahit chaque fois que j’ai mon boitier et mes objectifs entre les mains, et je me suis placée devant l’estrade avec les autres photographes, une demi-douzaine. Je me suis vite rendu compte que pas un seul ou presque ne parlait français — de même que le présentateur du show, qui était un pur produit américain —, mais qu’il régnait une bonne ambiance.
J’ai soudain retrouvé cette atmosphère bienveillante, comme il est de mise de dire aujourd’hui, entre les photographes présents devant l’estrade. Chacun se précipite au moment crucial, en l’occurrence, hier, c’était l’instant où les deux combattants désignés comme adversaires se dressent l’un face à l’autre et se jaugent du regard. Il n’y a jamais de bousculade : c’est comme un ballet où l’on s’efface pour laisser passer son confrère. On se croise en se frôlant et en s’excusant. On se baisse si l’autre le demande. Et parfois, il y a la main que l’on sent fermement posée sur son épaule durant quelques secondes, une main inconnue et qui le restera pour l’éternité, qui vous intime : « Ne bouge surtout pas ! », alors on reste figé, on respecte le photographe à qui appartient la main parce qu’il est en train de faire une image et que cet instant est unique pour lui. Je ne suis pas naïve non plus, je sais pertinemment que, sur les marches du Festival de Cannes, il n’y a plus aucune sollicitude ou entraide entre les photographes, mais comme je n’ai jamais eu d’accréditation pour Cannes, je m’en fiche un peu.
J’ai retrouvé ce sentiment de ne pas être différente, alors que les photographes étaient tous des hommes plus jeunes que moi. Dans le monde de la photo, contrairement à presque toutes les autres disciplines ou professions, l’âge n’a pas d’importance et le sexe n’en a plus. On est reconnu pour ce que l’on fait et pas pour ce que l’on est, ce qui est devenu très rare.
Quand j’ai demandé à Simon comment il expliquait qu’il y ait une telle différence avec le milieu des artistes ou des écrivains, deux sphères auxquelles j’appartiens aussi, il m’a répondu : « C’est parce que la photo, c’est tellement difficile ! Personne ne peut s’autoproclamer photographe, contrairement à la peinture ou à l’écriture. » Il m’a répondu en souriant, car il savait de quoi il parlait, il n’a en effet jamais voulu s’intéresser à des calculs de diaphragme et de vitesse auxquels il faut rajouter des ISO et toute la technologie du numérique qui, contrairement à ce qu’on laisse croire, ne simplifie pas les choses, mais les embrouille souvent. Et quand tous ces tracas techniques sont contrôlés, il faut regarder d’un seul œil, il faut viser comme un chasseur traque sa cible, il faut appuyer au bon moment, et on ne sait jamais vraiment si c’est le bon moment, on le sait plus tard devant l’écran au moment où on développe ses photos.
Avec la photo, même si on maîtrise tout, il restera toujours une part de hasard qui tient du centième de seconde.
Cette part de hasard qui s’appelle l’émerveillement.
Une journée en rattrape une autre.
C’est toujours ce qu’on se dit ou que les autres vous disent, mais ça ne fonctionne jamais. Cela fait belle lurette que je ne rattrape plus rien, que je laisse couler et dégouliner jusqu’à la nausée.
Nous avions vécu, hier, une soirée qui était à l’image de ce que l’on peut vivre de plus triste au théâtre, des comédiens qui n’incarnaient pas leur personnage, et pas un seul qu’on aurait pu trouver un peu meilleur que ses comparses. Ils étaient pourtant nombreux sur le plateau, à grimacer et à hurler un texte que souvent ils n’articulaient pas. J’en étais gênée pour eux et surtout préoccupée à trouver comment quitter la salle sans leur faire encore plus de peine que celle qu’il nous renvoyait par leur médiocrité. À leur défense, parce qu’il faut toujours adoucir ses critiques, le texte était sans relief et il aurait fallu des comédiens hors pair pour l’interpréter et parvenir à nous émouvoir.
Par bonheur, un entracte inattendu est arrivé (il fallait bien faire tourner la buvette), et j’ai pu dire à Simon : « Ouf, on va pouvoir se sortir de ce piège et tu verras la deuxième mi-temps de la finale du Top 14. » Il ne s’est pas fait prier. Toulouse a gagné.
Aujourd’hui, c’était la journée qui rattrape l’autre.
Par le plus grand des hasards, nous nous sommes retrouvés à acheter deux billets pour un spectacle qui était joué au musée Ingres Bourdelle. On y était allé pour revoir calmement l’expo temporaire consacrée à Rodin et Bourdelle et, arrivés à la billetterie, on découvre qu’un spectacle est proposé dans la chapelle. Pourquoi pas ? On demande rapidement de quoi il retourne, on nous répond, harpe et acrobatie. J’hésite à cause d’hier soir, mais Simon a déjà pris deux billets et me dit, on y va.
Des chaises sont disposées dans la chapelle face au Vœu de Louis XIII, le grand tableau rescapé de la cathédrale. Je suis contente de le voir, c’est là que j’avais prévu de faire un atelier d’écriture qui était programmé pour jeudi prochain et, depuis ma déprogrammation, je n’avais pas eu le courage de remettre un pied au musée. Je suis heureuse de me trouver au pied de ce tableau qui me confirme que je ne suis pas rancunière, mais que je ne pardonne pas. C’est avec Simon Wiesenthal que j’ai appris les limites du pardon. Avec ma famille aussi.
Dans la zone dédiée à ce qui semble être la scène où les acteurs vont se produire, on peut voir une harpe et, sur le côté, une barrière Vauban sur laquelle un homme en veste se tient, observant les spectateurs s’installer. Il doit faire une température de 40° dans Montauban, et je trouve sa tenue décalée, même si le musée est climatisé. Et puisqu’il est question de barrière Vauban dans ce billet, j’en profite pour signaler à un adjoint, un conseiller municipal ou pourquoi pas à madame la maire de Montauban, à l’un d’entre eux qui pourraient me lire, on ne sait jamais, que nous avons maintenant en permanence à côté de la porte d’entrée ou du garage de notre immeuble en plein centre historique de Montauban, une barrière Vauban qui semble être entreposée à vie. Il y en a d’autres, dispersées un peu partout dans le centre-ville. Ce n’est pas très raccord avec l’image que l’on veut donner aux touristes…
Je reviens au spectacle du musée qui démarre avec quatre personnages, le type en blouson, la harpiste, la harpe et la barrière Vauban (oui, la barrière Vauban est bien un personnage, ce n’était pas un prétexte pour pouvoir parler de la nôtre). La harpiste joue et le type la regarde, accoudé à la barrière et il commence à se balancer, à se pencher, à incliner la barrière. Le spectateur derrière moi se penche également, mais sur sa femme et je l’entends dire : « Il exagère quand même ! » Et plus le type joue avec sa barrière, bouscule la harpiste et plus le spectateur s’énerve jusqu’au moment où il réalise que c’est un comparse.
Et tout s’emballe, la complicité de l’acrobate sur sa barrière avec la harpiste est d’une intelligence rare. Ils ne disent pas un mot, mais tout est parfaitement et brillamment écrit : elle joue, il escalade, elle joue, il joue avec ses cheveux, elle joue, il la chatouille, elle joue, il la fait tourner, elle joue, il se couche sur elle, elle joue et il l’exaspère, elle le gifle. Elle joue et il danse, elle joue et il gravit les barreaux de la barrière Vauban pour se dresser devant le chef-d’œuvre de Ingres, il se fond dans l’œuvre.
C’était le miracle de l’après-midi, sans doute que le vœu s’était exaucé et qu’une journée peut en rattraper une autre. Il va falloir que je me décide à y croire de nouveau, puisqu’une harpiste et un circassien, une harpe et une barrière Vauban sont venus me dire que c’était possible.
https://spectacle-resonances.fr/
https://lacompagniesinguliere.fr/equipe/thomas-bodinier/
Non, nous n’avons pas l’impression d’être des voleurs d’enfants !
Ceux qui ont volé ces enfants, ce sont ceux qui nous ont escroqués en nous laissant penser qu’ils étaient orphelins, qu’ils avaient été abandonnés, qu’ils n’avaient plus de parents et qu’il n’y avait pas d’autre solution pour eux qu’une adoption hors de leur pays d’origine.
Nous nous étions entourés de toutes les garanties et avions fait confiance aux institutions et aux états concernés, mais depuis maintenant sept ans, nous savons que les adoptions internationales sont tachées d’irrégularités qui peuvent être qualifiées de trafics d’enfants et qui, pour certaines, relèvent de la disparition de personne et de crime contre l’humanité. Nous n’avons pas des « impressions » comme un ministre a aimé nous le dire pour nous mettre au pas, nous possédons des preuves que nous sommes allés chercher à la fois dans le pays d’origine de notre enfant et en France. Ce ne sont pas des impressions.
Alors on peut, comme certains l’ont fait sans aucun scrupule, établir une hiérarchie et déclarer qu’une adoption irrégulière n’est pas une adoption illégale et que s’il manque uniquement le consentement de la mère biologique dans un dossier d’adoption, on peut s’en arranger. Moi, je ne m’en arrangerai jamais : comment considérer que l’absence du consentement de la mère biologique ne serait qu’une petite irrégularité du dossier ? Comme une erreur sur un acte d’état civil ou une absence totale d’existence sur les registres d’état civil du pays de naissance de l’enfant ne serait pas répréhensible, alors qu’il est maintenant établi que cet « oubli » constitue un premier pas dans le processus d’un trafic d’enfant en vue d’une adoption, surtout quand on sait que cet enfant aura besoin d’un passeport pour sortir de son pays et il faudra que l’on m’explique comment on peut produire un passeport pour une personne qui n’existe pas sur les registres d’état civil de son pays et que, par la suite, un visa sera apposé sur ce que l’on peut appeler « un vrai-faux passeport ».
Et si, comme je le lis dans l’article paru dans le journal La Croix du 12 juin 2025, « L’immense majorité des adoptants ont agi dans le respect des règles et dans l’intérêt de l’enfant, avec les informations dont ils disposaient à l’époque », cela n’empêche pas aujourd’hui, avec les connaissances que nous avons et à la vue des enquêtes faites par nos voisins européens, de reconnaître que les intermédiaires sur place ont volé des enfants, forcé des mères à abandonner leur enfant dans un but uniquement mercantile.
Aujourd’hui, je lis qu’il y a des parents qui sont certains que rien n’est illégal, puisqu’ils avaient fait valider leur dossier par le ministère des Affaires étrangères et qu’ils étaient « très pointilleux ». Nous avions tous fait vérifier nos dossiers par un ministère très pointilleux, c’est sur place que c’était bien moins pointilleux et nous savons maintenant que ce ministère « très pointilleux » savait parfaitement comment les adoptions se déroulaient sur place et que ce n’était absolument pas pointilleux, même lorsque les intermédiaires étaient des religieuses.
Cette reconnaissance du trafic d’enfants, dans le cadre des adoptions internationales, que nous demandons n’a jamais été une démarche à l’encontre des personnes adoptées et, bien au contraire, je suis persuadée que nous poursuivons le même but bien que des parents laissent sous-entendre que, par notre action, nous nous attaquerions à leurs enfants et que ce n’est pas parce « qu’on souffre qu’il faut éclabousser tout le monde. »
Il n’est pas question de souffrance, et surtout pas de la nôtre, il est question de justice, de reconnaissance et de réparation. C’est ce que nous demandons à l’état français et à ses différents gouvernements depuis maintenant plus de six ans. Nous avons rencontré des représentants d’institutions et de ministères, nous avons écrit plus d’un millier de courriers à des politiques, à des élus et nous n’avons reçu pour résultat qu’un silence assourdissant quand cela n’était pas des injonctions de nous taire. Dans ce silence méprisant, la seule personne, qui nous a entendus, écoutés, reçus, accompagnés avec bienveillance et sérieux, c’est Valérie Rabault que nous avions interpelée en tant que Présidente du groupe socialistes et apparentés. Valérie Rabault a travaillé avec nous pour soumettre une proposition de résolution visant à demander une enquête parlementaire et, après des mois de travail, cette discussion avait été mise à l’agenda de l’assemblée pour le 20 juin 2024. La dissolution est arrivée le 9 juin et la proposition de résolution n’a plus jamais été remise à l’agenda depuis. Valérie Rabault n’a pas été réélue députée et, un an plus tard, aucun député n’a encore repris le dossier malgré les centaines de courriers que nous avons faits depuis. Nous ne comprenons pas ce silence que nous interprétons comme du mépris pour ne pas avoir à soupçonner des complicités.
Nous pouvons paraître des militants courageux pour certains ou de vieux entêtés pour d’autres qui attendent que nous disparaissions pour évacuer le problème et cessions d’éclabousser tout le monde de notre volonté de faire reconnaître la réalité d’un trafic d’enfants dans les adoptions internationales. Mais pour l’instant, nous sommes toujours là et nous demandons que la proposition de résolution soit remise à l’agenda de l’Assemblée nationale.
C’ÉTAIT JUSTE UNE PHOTO !
En 1988, l’Église catholique avait décidé de réactualiser son image en médiatisant leur campagne de don appelée le denier du culte. « C’est une contribution libre et volontaire demandée à tous les catholiques. C’est la seule source de rémunération des prêtres et des laïcs salariés travaillant pour l’Église. » Source Wikipédia.
Cette modernisation reposait sur une vaste campagne nationale dans les lieux de culte sous forme d’affiches et de flyers.
Jusque-là, je peux affirmer que je n’étais pas concernée, sauf qu’évoluant dans le milieu de la photo, on nous avait demandé à Simon et à moi de poser pour l’affiche qui représentait un jeune couple. Il y avait d’autres affiches, je me souviens de celle avec un étudiant, celle avec des gens âgés, celle avec un curé. Les slogans étaient différents et s’adaptaient à chaque public visé. Pour « notre » affiche, c’était : « Nos parents donnaient déjà… Donnons ! » C’était bien la seule chose qui était véridique, car, pour le reste c’était juste une photo, un peu comme pour des personnages de roman.
Nous avions accepté ce que nous considérions donc uniquement comme une figuration, parce que c’était bien rémunéré. C’était un job comme un autre. Depuis mes quinze ans, je posais souvent devant les objectifs des photographes, Simon beaucoup moins, mais il avait accepté puisqu’il fallait un couple.
Je garde un souvenir décontracté de la séance de photos, je me souviens qu’on nous avait demandé de nous habiller « bon chic, bon genre » sans exubérance.
L’histoire aurait pu s’arrêter là et je pense que je l’aurais oubliée, mais c’était sans compter que nous allions nous retrouver exposés à l’incroyable.
Dès la sortie de l’affiche, le journal télévisé avait fait un sujet sur le lancement de la campagne qu’il qualifiait d’audacieuse. Nous n’avions pas la télé, mais dès le lendemain matin, je ne pouvais plus sortir sans me faire dévisager. Simon, de son côté, se retrouvait en réunion de travail face à des gens qui lui disaient : « On a l’impression de vous avoir vu, mais on ne sait plus où… », il ne répondait rien.
Ma mère, après avoir découvert qu’en plus d’être des imposteurs, nous étions des escrocs, m’avait dit qu’elle espérait bien que nous avions reversé notre cachet au denier du culte.
La prof d’histoire du collège de mes enfants m’avait dit qu’elle avait vécu un moment mémorable. Elle avait organisé une sortie avec sa classe de 4e pour visiter une église du 12e siècle et, alors qu’elle leur décrivait l’intérieur de l’église, la nef et ses chapelles, elle s’était retournée pour découvrir qu’elle parlait toute seule, tous ses élèves s’étaient regroupés à l’entrée de l’église et commentaient l’affiche du denier du culte punaisée sur la porte en se marrant : « Venez voir madame ! Ce sont les parents de Gaël et Thomas ! »
L’histoire avait duré longtemps, leur campagne avait été prévue pour un an, mais des années plus tard, on nous en parlait toujours.
La plus sidérante des réflexions qui était revenue à mes oreilles, c’était : « Quand même, on pensait qu’ils étaient juifs… »
C’était en 1988, il n’y avait pas de réseaux sociaux. Le bouche-à-oreille était déjà bien destructeur.
Pour écrire, il faut parfois tuer les gens.
Le rituel du gouter marque une pause dans mes après-midis d’écriture ou de relecture ou des deux à la fois. Écrire, c’est relire et on passe plus de temps à relire qu’à écrire. C’est sûrement lorsqu’on l’a admis qu’on a compris le sens de l’écriture. Je me souviens de lui, de celui qui m’a dit un jour : « Prends tout le temps qu’il faut pour te relire, fais-le soigneusement, c’est le plus important ». Je n’avais pas compris le sens de son conseil, maintenant je le sais mieux et j’aime relire. J’aime aussi lire tout court, car on ne peut pas écrire si on ne passe pas son temps à lire les autres écrivains, mais c’est une autre histoire qui devient un débat chaque fois que je l’aborde et je n’ai plus envie d’en débattre, même si je reste persuadée qu’on ne peut pas prétendre vouloir écrire si on ne lit pas.
Notre rituel du gouter arrive vers 16 heures 20 et c’est Simon qui le prépare et qui vient me chercher dans mon bureau en me prenant par les épaules pour me dire qu’il est servi sur la table basse du salon. Il me prend doucement par les épaules, parce qu’il sait que j’écoute de la musique et qu’il va me faire sursauter et, inévitablement, je sursaute. Je sursaute toujours quand on me touche, une peur qui subsiste.
Parfois, je dis à Simon où j’en suis, mais je ne peux le faire que s’il a déjà lu mon texte, ce qui peut arriver si j’ai déjà bien avancé, puisque je lui demande souvent de faire une première lecture pour repérer ce que je dois supprimer. Parce que relire, c’est supprimer !
Aujourd’hui, en m’installant sur le canapé devant le grand verre de karkadé frais — l’hiver on boit un chaï, en manque de voyages on se fait des gouters en forme de souvenir orientaux —, j’ai dit à Simon : « J’ai bien avancé, j’en suis à l’enterrement. », et Simon m’a répondu : « Ça ne m’aide pas à savoir sur quel texte tu travailles, tu mets des enterrements dans tous tes romans ! » J’ai pris le temps de réfléchir et de passer en revue mes livres, j’ai toujours des difficultés à différencier mes manuscrits les uns des autres, persuadée qu’un auteur écrit inlassablement la même chose, que l’on est toujours dans la répétition et, presque surprise, je constate : « Oui, c’est fou, y a toujours un enterrement ! »
Simon a raison, quand la mort ne se précipite pas sur moi, je la provoque en tuant un personnage pour pouvoir écrire et ensuite je l’enterre dans un cérémonial interminable.
Pour écrire, il faut parfois tuer les gens, il faut aussi souvent changer leur nom, non pas pour ménager leur susceptibilité, ça, tout le monde a compris que je m’en moquais, puisque de toute manière entre ceux qui croient se reconnaître et ceux qui se reconnaissent, ils ont tous un prétexte à se plaindre, mais pour prendre de la distance avec ceux qui m’inspirent, ceux que je veux garder à mes côtés en les écrivant, comme un comédien incarne un personnage. Pour certains, je ne change pas leur nom, je n’y arrive pas et c’est ainsi que, dans Le silence immobile d’une rencontre, Claude est resté Claude et que, dans le manuscrit sur lequel je travaille, Jean-Luc restera aussi Jean-Luc.
Et que Simon, c’est Simon, lui et un autre.
C’est le joli mois de mai.
Dans ma famille, on dit, le mois de Marie. Le mois où l’on ne se marie pas, je n’ai jamais compris pourquoi, sans doute une histoire de virginité. Une fois de plus.
Je n’avais aucun projet pour ce mois de mai, je ne veux plus de projets, uniquement des rendez-vous notés sur le planning pour ne pas les oublier, surtout les rendez-vous médicaux parce que du fait de leur rareté, ils sont devenus précieux. Je note aussi les rendez-vous avec ma psy, même s’ils sont d’une régularité métronomique, parce qu’ils sont précieux eux aussi, ils me tiennent en vie, je saute d’une séance à l’autre, je regarde le planning et décompte les jours qui me séparent du moment où je vais pouvoir me jeter sur le fauteuil et dire absolument tout ce que je veux, pleurer autant que je le désire, malaxer les kleenex entre mes doigts pour en faire une boule que je balance dans la grande corbeille blanche dont le fond est tapissé des boules de chagrin des précédents patients. J’aimerais demander à ma psy à quel rythme elle vide la corbeille pour évaluer le nombre de patients qui pleurent, mais j’ai peur de sa réponse. Elle me répondrait qu’elle la vide quotidiennement. Et, dans un deuxième temps de réflexion, je pense que de voir d’autres kleenex dans la corbeille me rassure, je suis un cas normal, les autres pleurent aussi.
Dans l’absence de projets planifiés, il me suffit d’attendre que les projets arrivent et c’est le téléphone qui s’en charge en m’envoyant une notification de message ou en sonnant. Un message qui me dit qu’on a besoin de moi, un appel au secours, un chagrin, un drame. Et parfois le téléphone sonne pour me dire en direct ce besoin, puisque je sais depuis peu qu’il suffit de taper dans Google : Véronique Moyen téléphone ou Véronique Piaser téléphone (ça marche pareil pour chaque nom) pour obtenir en un seul clic mon numéro de portable. Un journaliste l’a un jour indiqué au bas de son article… Et c’est ainsi que le mois se remplit, que les projets inattendus se programment sur mon planning.
Cette semaine, quand j’ai dit que j’allais à Paris, on m’a dit de bien profiter de cette escapade, quand j’ai dit que j’y allais avec Simon, j’ai senti que c’était limite de me faire souhaiter que l’escapade soit amoureuse. Sans doute, notre âge met un frein pudique à cette notion du plaisir souhaité. Dommage que les gens se mettent ainsi des restrictions. Là aussi, dans un deuxième temps de réflexion, je me suis dit que c’était mieux, cela m’évitait de répondre que l’escapade n’était pas amoureuse, mais militante. Et comme une escapade militante, ça n’existe pas, c’est mieux de ne pas avoir à expliquer.
Entre tous ces projets imprévus, ces drames, ces chagrins inconsolables, ce mois de mai est un mois de couture, un peu de peinture et beaucoup d’écriture et de relecture. Deux manuscrits qui font des aller-retour, l’inédit qui sera publié en fin d’année et « Sa vie comme un orage » qui renaîtra au printemps 2026 grâce à une maison d’édition impliquée et motivée. Et un autre manuscrit en chantier, puisque, quand un livre est publié, l’auteur a déjà écrit le suivant et a déjà en tête celui qui suivra le suivant.
« Écrire, c’est donner de l’avenir au passé », c’est Annie Ernaux qui est venue me l’écrire pour me dire de toujours espérer.
J’espère parvenir un jour à donner de l’avenir au passé.