lundi 18 août 2025

La mosaïque de la vie

 



Mosaïque © Olivier Gramond

La mosaïque de la vie


C’est un chemin formé de fragments de pierres unis, de pierres colorées, d’émail, de verre, ou encore de céramique qui, s’ils étaient assemblés pour composer des motifs ou des figures artistiques, s’appellerait une mosaïque.
Là, sur mon chemin, rien d’artistique ou d’étudié : plutôt un grand vrac d’éclats de formes multicolores dont on pourrait parfois trouver que leur juxtaposition n’est pas du plus bel effet, quand elle n’est pas carrément inesthétique. Mais c’est la vie : on ne choisit pas, et on se retrouve souvent avec un résultat moche, bien loin d’une œuvre artistique étudiée où chaque tesselle, c’est le mot pour le fragment qui compose une mosaïque (j’ai un ami qui est mosaïste), a été placée avec réflexion et intelligence.
Sur mon chemin, chaque tesselle correspond à un personnage, par exemple, ma mère, mon père, mes frères, et ceux-là se retrouvent à plusieurs reprises au fil du chemin de mosaïque. Ils n’ont pas été choisis, ils sont là. Il y en a énormément qui n’ont pas été sélectionnés, je pense aux sales types, aux violeurs, aux méchants, aux haineux, aux jaloux, aux pervers, aux criminels, aux tueurs, ils sont tous là, eux aussi, sur mon chemin, et ils se mélangent, se croisent, font connaissance. Parfois, à ma grande surprise, j’ai vu des solidarités inattendues se créer entre des tesselles que j’aurais tellement souhaité voir se détruire pour me défendre. Il y a les tesselles amies, celles qui ne le sont plus, celles qui le sont toujours. Il y a des tesselles d’objets qui me font plonger, un vélo, un pull, des chaussures, un voile. Il y a les tesselles de mots, péché, confession, pardon, qui ne valent pas mieux.
J’ai passé des nuits à échafauder des plans pour reconstruire ma mosaïque, et desceller ces petits fragments désagréables qui s’étaient imposés. Ne plus les voir, ne plus les sentir sous mes pieds.
Mais pour mon plus grand malheur, j’avais eu, un jour, l’idée stupide de recouvrir ma mosaïque d’une épaisse couche de résine. C’était une manière de tout lisser… Et puis, c’était à la mode de faire des inclusions et de figer des objets divers dans la résine. Puis la mode a passé ou la résine me coutait trop cher et je n’ai plus coulé de résine sur mon chemin, j’ai simplement posé les tesselles avec un peu de liant. C’était brut, c’était bien plus élégant et surtout, cela me permettait de revenir sur ma mosaïque, de bouger des pièces, d’en enlever, d’en ajouter. Je pouvais faire du tri. Supprimer.
Mais quant à l’immense chemin en amont, celui qui est figé, lissé dans la résine, c’est irréversible.
Je passe mes journées à revenir dessus à gratter, à creuser, à entamer cette foutue résine qui résiste à tous mes efforts.
Je m’épuise en vain à vouloir faire disparaitre des tesselles de ma vie.

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