Une journée en rattrape une autre.
C’est toujours ce qu’on se dit ou que les autres vous disent, mais ça ne fonctionne jamais. Cela fait belle lurette que je ne rattrape plus rien, que je laisse couler et dégouliner jusqu’à la nausée.
Nous avions vécu, hier, une soirée qui était à l’image de ce que l’on peut vivre de plus triste au théâtre, des comédiens qui n’incarnaient pas leur personnage, et pas un seul qu’on aurait pu trouver un peu meilleur que ses comparses. Ils étaient pourtant nombreux sur le plateau, à grimacer et à hurler un texte que souvent ils n’articulaient pas. J’en étais gênée pour eux et surtout préoccupée à trouver comment quitter la salle sans leur faire encore plus de peine que celle qu’il nous renvoyait par leur médiocrité. À leur défense, parce qu’il faut toujours adoucir ses critiques, le texte était sans relief et il aurait fallu des comédiens hors pair pour l’interpréter et parvenir à nous émouvoir.
Par bonheur, un entracte inattendu est arrivé (il fallait bien faire tourner la buvette), et j’ai pu dire à Simon : « Ouf, on va pouvoir se sortir de ce piège et tu verras la deuxième mi-temps de la finale du Top 14. » Il ne s’est pas fait prier. Toulouse a gagné.
Aujourd’hui, c’était la journée qui rattrape l’autre.
Par le plus grand des hasards, nous nous sommes retrouvés à acheter deux billets pour un spectacle qui était joué au musée Ingres Bourdelle. On y était allé pour revoir calmement l’expo temporaire consacrée à Rodin et Bourdelle et, arrivés à la billetterie, on découvre qu’un spectacle est proposé dans la chapelle. Pourquoi pas ? On demande rapidement de quoi il retourne, on nous répond, harpe et acrobatie. J’hésite à cause d’hier soir, mais Simon a déjà pris deux billets et me dit, on y va.
Des chaises sont disposées dans la chapelle face au Vœu de Louis XIII, le grand tableau rescapé de la cathédrale. Je suis contente de le voir, c’est là que j’avais prévu de faire un atelier d’écriture qui était programmé pour jeudi prochain et, depuis ma déprogrammation, je n’avais pas eu le courage de remettre un pied au musée. Je suis heureuse de me trouver au pied de ce tableau qui me confirme que je ne suis pas rancunière, mais que je ne pardonne pas. C’est avec Simon Wiesenthal que j’ai appris les limites du pardon. Avec ma famille aussi.
Dans la zone dédiée à ce qui semble être la scène où les acteurs vont se produire, on peut voir une harpe et, sur le côté, une barrière Vauban sur laquelle un homme en veste se tient, observant les spectateurs s’installer. Il doit faire une température de 40° dans Montauban, et je trouve sa tenue décalée, même si le musée est climatisé. Et puisqu’il est question de barrière Vauban dans ce billet, j’en profite pour signaler à un adjoint, un conseiller municipal ou pourquoi pas à madame la maire de Montauban, à l’un d’entre eux qui pourraient me lire, on ne sait jamais, que nous avons maintenant en permanence à côté de la porte d’entrée ou du garage de notre immeuble en plein centre historique de Montauban, une barrière Vauban qui semble être entreposée à vie. Il y en a d’autres, dispersées un peu partout dans le centre-ville. Ce n’est pas très raccord avec l’image que l’on veut donner aux touristes…
Je reviens au spectacle du musée qui démarre avec quatre personnages, le type en blouson, la harpiste, la harpe et la barrière Vauban (oui, la barrière Vauban est bien un personnage, ce n’était pas un prétexte pour pouvoir parler de la nôtre). La harpiste joue et le type la regarde, accoudé à la barrière et il commence à se balancer, à se pencher, à incliner la barrière. Le spectateur derrière moi se penche également, mais sur sa femme et je l’entends dire : « Il exagère quand même ! » Et plus le type joue avec sa barrière, bouscule la harpiste et plus le spectateur s’énerve jusqu’au moment où il réalise que c’est un comparse.
Et tout s’emballe, la complicité de l’acrobate sur sa barrière avec la harpiste est d’une intelligence rare. Ils ne disent pas un mot, mais tout est parfaitement et brillamment écrit : elle joue, il escalade, elle joue, il joue avec ses cheveux, elle joue, il la chatouille, elle joue, il la fait tourner, elle joue, il se couche sur elle, elle joue et il l’exaspère, elle le gifle. Elle joue et il danse, elle joue et il gravit les barreaux de la barrière Vauban pour se dresser devant le chef-d’œuvre de Ingres, il se fond dans l’œuvre.
C’était le miracle de l’après-midi, sans doute que le vœu s’était exaucé et qu’une journée peut en rattraper une autre. Il va falloir que je me décide à y croire de nouveau, puisqu’une harpiste et un circassien, une harpe et une barrière Vauban sont venus me dire que c’était possible.
https://spectacle-resonances.fr/
https://lacompagniesinguliere.fr/equipe/thomas-bodinier/
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