jeudi 20 janvier 2022

Boomerang

 

Blueberry. Christophe Blain

Boomerang.

Pour exposer ses peintures, il faut en passer par toute une série de formalités que je supporte de moins en moins. Je passerai rapidement sur le fait qu’il faut payer pour être exposé, ce sujet ouvre régulièrement la porte aux débats, on peut dire que c’est récurent, que la colère des artistes s’expriment régulièrement, mais que dans le fond ça n’a jamais rien changé puisqu’à quelques rares exceptions près, il faut toujours payer pour accrocher ses œuvres. 

J’ai maintenant appris à accepter sans rechigner l’étape du chèque à rédiger à l’ordre de l’organisateur de l’événement. 

Depuis le début de l’année, le covid faisant moins peur, les appels à candidatures arrivent de nouveau dans ma boîte mail et ce week-end, j’ai pris mon courage à deux mains pour candidater à l’un de ces salons, expositions, biennales, c’est selon et c’est comme vous voulez, de toute manière cela ne change rien à ce qu’ils me demandent. 

Et c’est là que la machine infernale se met en marche et que je déraille. 

Pour les premières lignes du règlement, en principe, ça va. On me demande d’envoyer une sélection de mes œuvres et j’obtempère sans discuter, même si je me demande à chaque fois à quoi sert la plate-forme internet sur laquelle je mets toutes mes œuvres en ligne et pour laquelle je paie un abonnement. Ensuite, il y a les questions de savoir si je veux faire une démo en public, si je veux proposer des stages et parfois si je peux faire du gardiennage sur le lieu de l’expo. À partir de ces paragraphes, je reste le stylo en suspens au-dessus du formulaire et je me demande comment je vais me loger, de combien va augmenter le poste des dépenses et si je peux prendre le risque de dépenser encore de l’argent. Et comme je ne sais pas ce que je dois faire, je fais ce qu’on appelle dans ma famille «une cote mal taillée», je mets des petites croix un peu au hasard sur le calendrier proposé par l’organisateur en espérant que je ferai des ventes pour financer toutes ces dépenses qui se profilent. 

Et puis arrive le moment qui m’assomme définitivement, le dernier tiret des pièces à fournir qui précise 

– Un texte en français présentant votre œuvre, votre façon de peindre et ce qui vous tient à cœur en 1500 signes maximum 

C’est le coup de grâce, «ma façon de peindre» ou «dire ce qui me tient à cœur» c’est le moment où je ne sais plus si j’ai envie de pleurer ou de hurler. Généralement, je fais les deux ensemble. 

Et c’est ce qui est arrivé dimanche dernier, j’étais arrivée à surmonter psychologiquement toutes les étapes, mais quand l’histoire du texte de présentation avec le truc «qui me tient à cœur» est arrivé ça m’a fait hurler. 

Dans le contexte, il faut imaginer que je hurle en prenant Jno à témoin puisque nos bureaux sont alignés, c’est invariablement lui qui ramasse. 

Dimanche, j’ai juste dit – en hurlant tout de même : 

– Mais je n’ai rien à écrire sur ma peinture, il n’y a pas de littérature à faire, il y a juste à la regarder ma peinture pour savoir ce qui me tient à cœur ! 

Et j’ai jeté le dossier de candidature dans ma corbeille, à mes pieds, sous le bureau.  

J’avais tout oublié jusqu’à ce mardi où en me levant j’allume la radio toujours calée sur France Inter et j’entends Augustin Trapenard (oui, je sais, je me lève tard) qui discute avec le talentueux auteur de bandes dessinées Christophe Blain – qui entre tout ce qu’il a produit a ressuscité Blueberry et est à mes yeux un acte qui suffit à le considérer comme un dieu de la BD – et j’entends ce dialogue qui manque de me faire faire une fausse route avec ma tartine beurrée.

«Augustin Trapenard s’adresse à Christophe Blain : 

— Là, c’est un texte que vous avez écrit ce matin qui est un texte sur l’art de raconter des histoires, vous qui êtes, on le rappelle auteur, donc scénariste également. Ce texte j’aimerais que vous nous le lisiez. 

Christophe Blain lui répond :

— Monsieur vous m’avez demandé d’écrire un texte court concernant éventuellement mon humeur, ma préoccupation du moment. Un genre de chronique que je vais devoir lire à ce micro. En somme vous me demandez de faire quelque chose qui ressemble à votre métier. En conséquence de quoi je vous demanderai à mon tour de vouloir bien me faire un dessin. Alors, tenez, voilà un crayon, un carnet. Allez-y, il vous reste une minute trente.»

J’ai hurlé – de rire cette fois – en retenant ma tartine beurrée sur laquelle je venais d’étaler une bonne couche de confiture de mûres et j’ai vu Jno en face de moi se laisser aller à un fou rire dans lequel il devait libérer toutes les colères que j’avais déversées sur lui pendant ces dernières années. 

Et puis, il m’a regardé avec un sourire ému et m’a dit, 

– Tu vois. Tu n’es pas seule. 

Sources : France Inter.Boomerang. Augustin Trapenard Christophe blain. Mardi 18 janvier 2022


 


1 commentaire:

  1. Bonjour Véronique

    Cet article décrit très justement notre quotidien d'artistes...Je pensais être un peu seule, on dirait que non....
    Bonne continuation,
    Marianne

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