lundi 17 mai 2021

Chronique pichayenne 04

 


Chronique pichayenne


Quelques jours après l’affaire du lit cassé – parce que le menuisier était un imbécile – et de la rencontre sous la douche avec Vasanty (voir l’épisode 1 des chroniques pichayennes), Pichaya m’avait totalement intégrée dans son cercle d’intimes. Ce qui avait favorablement raccourci le délai que tous les gens bien élevés respectent et dont Pichaya faisait partie, c’est que j’étais la mère d’un ami. Cette particularité d’avoir d’abord été l’ami du fils, car pour lui c’en était vraiment une, le faisait rigoler comme si l’histoire s’était déroulée dans le sens inverse de celui auquel il se serait attendu. Il avait toujours l’air de se surprendre lui-même et s’il y avait des guests à la Villa Pondichéry au moment où le souvenir de notre rencontre resurgissait, ils profitaient aussi de l’histoire de la rencontre dans le mauvais sens. 

Quelques jours plus tard après le lit donc, Pichaya avait dû (déjà) faire germer un projet dans lequel il m’avait associée et dont je n’ai aucun souvenir sauf que nous avions besoin de photocopies, des Xerox pour les initiés de l’Inde. Il avait évidemment besoin que je vienne avec lui faire ces photocopies et nous étions partis de chez lui pour aller au centre-ville. Une petite balade à pied d’un bon quart d’heure, ceux qui connaissent visualisent le parcours. Nous discutions sur le trajet, en marchant d’un bon pas – à l’époque cela ne posait pas de problème à Pichaya – lorsque j’avais soudain eu l’impression que nous étions suivis. «Avoir l’impression d’être suivi en Inde» peut passer pour un pléonasme, c’est pour cette raison que j’ai attendu assez longtemps pour confirmer mon impression. Toujours  pour ceux qui visualisent le trajet, j’ai dû attendre jusqu’au passage à niveau pour oser poser la question à Pichaya : «Le mec qui marche à côté de nous, tu sais qui c’est ?», et là Pichaya s’est retourné sur le côté – vous voyez comment il a pu faire ce mouvement aérien, vous qui le connaissiez – a regardé le mec en question, et sur un ton hautain qui avait des accents de reproche – car il savait le faire aussi quand il était dans l’incompréhension – il m’a répondu : «Évidemment que je sais qui c’est qui c’est, il travaille chez moi! ». J’avais poursuivi mes questions, lui demandant pourquoi il était venu avec nous et Pichaya m’avait répondu, très grand monsieur : «Il porte mon cartable». Je me souviens que j’avais dévisagé le mec qui devait avoir une vingtaine d’années et qui marchait très sérieusement à ses côtés en tenant un cartable en cuir. Je ne me souviens pas vraiment de la tête du mec, mais très précisément du cartable en cuir marron. Après m’être remise de ma surprise, j’avais dit à Pichaya : «Il est vraiment venu uniquement pour porter ton cartable ?», le dit cartable, contenant deux feuilles de papier à photocopier. Et j’avais osé ajouter : «?Tu n’as pas honte tout de même ?». Il avait marqué un silence et m’avait dit d’une petite voix : «Si Véro, j’ai un peu honte». Mais avait immédiatement complété par toute une explication qui tenait la route : «Il est content de venir en ville avec moi et encore plus content que tu sois avec moi et de marcher à côté de nous. Sinon, il serait resté à la villa à ne rien faire, alors que là, c’est un peu comme une formation. Il va apprendre des choses avec nous, rien qu’en allant faire des photocopies. Tu comprends Véro ?  Et il faut bien que je lui confie une tâche qui justifie qu’il nous accompagne : et c’est porter mon cartable.»

Il avait encore une fois raison Pichaya, il savait redonner confiance à des jeunes qui étaient un peu perdus et parfois leur vie redémarrait comme ça en «porteurs de cartable». 


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire