dimanche 9 mai 2021

Chronique pichayenne 03


 

Chronique pichayenne

Peu de temps après avoir rencontré Pichaya j’ai compris qu’il était un dénicheur de talents, une sorte de chasseur de têtes. Il savait que je peignais, alors il imaginait des projets d’école de peinture, il savait que je photographiais, alors il imaginait un livre de photos sur Pondichéry et c’est comme ça que je m’étais retrouvée à 6 h du matin à l’arrière de son scooter, appareil photo en bandoulière. C’est aussi comme ça que je m’étais fait coincer pour photographier une statue en particulier et qu’à la fin de la matinée, j’en avais pris soixante en photo. Là, il avait dû voir ma tête et m’avait dit – en revenant de sa chambre, les bras chargés de statuettes – avec son sourire de charme, celui auquel personne ne pouvait résister : «je crois que j’exagère un peu, Véro!»

Il ne savait pas que je cuisinais, car rapidement j’avais su mettre mes talents en sourdine, mais il m’avait habilement posé la question, une sorte de quizz sur mon plat préféré et j’avais lâché : le gratin dauphinois. Je ne me souviens plus comment je m’en suis sortie, comment j’ai pu échapper à son projet d’une soirée au Space avec le gratin dauphinois au menu, mais je m’en suis sortie et n’ai jamais cuisiné pour le Space. Par contre j’ai fait toute la déco de la terrasse un après-midi de 31 décembre en gonflant des ballons de baudruche à m’en faire péter les poumons.

Nous avions appris à être très méfiants dès que Pichaya prononçait la phrase qui tue : «J’ai une idée!», au point même que cela pouvait déclencher chez nous une sorte de réflexe qui consistait à nous dire : «Tous aux abris!». Je me souviens avec émotion que Vasanty m’avait demandé de la prévenir en urgence dès que Pichaya avait une idée. 

Au fil des années, nous nous amusions (gentiment) à passer chez lui pour rencontrer les talents qu’il avait dénichés et que nous trouvions généralement attablés face à lui, en train de plancher sur un projet. Les nouveaux talents étaient toujours très investis dans les projets qui avaient pris naissance la nuit précédente, concentrés sur un écran d’ordi ou sur des feuillets A4, pendant que Pichaya nous détaillait le nouveau projet dans lequel il se projetait avec enthousiasme. Nous, comme on savait, on se méfiait, on s’intéressait un peu, mais pas trop pour ne pas risquer de se retrouver participants malgré nous. Je me souviens de certains projets qui n’allaient pas plus loin que de revisiter la présentation du menu du Space, mais je crois que parfois il y en a eu de bien plus ambitieux. 

Forts de plusieurs années d’expérience sur notre Pichaya dénicheur de talents, nous avions pris l’habitude de dire aux amis ou à la famille qui venaient nous voir à Pondy, de ne jamais dévoiler leur profession ou leurs talents à Pichaya. Mais c’était sans compter sur l’espèce de dixième sens que pouvait avoir Pichaya et qui lui permettait de lire dans les pensées de la personne qui est en face de lui. 

Quand mon cousin et sa femme sont venus, je leur ai demandé de ne pas se dévoiler – Denis est médecin – et ils n’ont rien dit, sauf que quand même ils ont discuté avec Pichaya et là, il a été impossible de cacher que Wendy était anglaise, elle a un accent! Pichaya lui a trouvé ce talent, Wendy était anglaise et elle devait forcément avoir un lien avec l’Anglo French Textile, une ancienne usine coloniale de filature et de tissage et il avait immédiatement eu un projet dont je n’ai plus aucun souvenir, c’était peut être de racheter les filatures. Lorsque mes enfants sont venus, ils ont reçu la même consigne : «Surtout ne dites rien de vos compétences». Mais là aussi, Pichaya a été plus fort que nous et a repéré que Sabrina avait des origines orientales et lui a proposé de faire une soirée couscous au Space. Ce coup-ci, encore, on avait réussi à s’échapper et il n’y a pas eu de soirée couscous, enfin pas avec nous. 

Lorsque j’ai présenté Pichaya à une amie psychologue, elle aussi était bien briefée et n’a rien révélé de sa profession. Tout roulait amicalement autour du café, Pichaya assis dans son fauteuil légendaire et nous autour. Et puis, sans crier gare, sans qu’on ait pu l’envisager, Pichaya s’est soudain concentré et a dit à mon amie : «Cette nuit, j’ai fait un rêve et je vais vous le raconter.» Et il a raconté tout son rêve en demandant à mon amie ce qu’elle en pensait, exactement comme un patient le fait chez son psy.  

Je me demande encore comment il faisait pour dénicher et deviner tous ces talents.
Je me dis qu’il a sûrement dû en révéler aussi. 


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