dimanche 15 novembre 2015

La bonne guerre



Prière pour Paris - ©Véronique Piaser-Moyen


Avoir la tête pleine à éclater et n’avoir rien à dire, c’est sans doute ce qui qualifie l’état de sidération.
Nous sommes sidérés.
Il paraît que c’était attendu, que ce n’était que la date précise qui manquait aux stratèges de la république. Tout le monde s’entraînait à cette nuit d’horreur, sauf nous.
Nous, on ne savait pas.
Je ne devrais pas dire « Nous » car je ne sais pas pour les autres.
Moi, je ne savais pas.
Je ne voulais pas, c’est plus juste de le dire ainsi.
J’ai grandi avec les récits de guerre de mes parents et de mes grands parents, un grand père colonel et l’autre général, ça nourrit les soirées en famille. Beaucoup de récits et seulement des récits, rien qui ne touche vraiment à l’intime de ce qu’ils avaient vécu. Leur fuite en zone libre et sans doute le plus poignant, quand mon père m’avait raconté qu’il avait participé, très jeune homme, à l’accueil des déportés à l’hôtel Lutecia.
L’autre image et sans doute la seule qui ne m’ait jamais lâchée, est celle de mon grand père, le colonel qui proférait à notre égard, nous ses petits enfants, une menace récurrente : - Ce qu’il vous faudrait, mes petits enfants, c’est une bonne guerre.
J’avais une douzaine d’années quand je l’entendais prononcer ces mots et je me disais qu’il était un sale con.
Il nous souhaitait une bonne guerre après avoir rigolé dans son fauteuil en regardant Bonne nuit les petits.
C’est terrible parce que c’est vrai.
Oui, Gros nounours le faisait rire et Pimprenelle et Nicolas le faisaient fondre.
Ce mec avait pris une balle dans la tête, avait été fait prisonnier, avait vu les ravages de deux guerres et ce qu’il souhaitait à ses petits enfants, c’est d’en subir autant.
A partir de ce moment là, je me suis dit qu’il était vraiment un imbécile malgré ses galons et que je ne me souhaitais pas la guerre.
J’ai grandi avec sa menace cherchant comment il faudrait faire pour éviter ce destin qu’il nous souhaitait. Je me suis toujours demandée et encore aujourd’hui, pourquoi il avait ce souhait pour sa descendance. Je ne sais pas.
Mon raccourci à son sujet était de me dire qu’il était con et que c’était peut-être la guerre qui l’avait rendu con et ensuite vieux con.
C’était ma thérapie à l’égard de l’angoisse qu’il avait générée en moi pour toujours.
J’ai vieilli et sa prophétie m’a poursuivie me questionnant sans cesse sur le bon côté qu’apporte une guerre … s’il nous le souhaitait ce ne pouvait être que pour notre bien être … Sinon, c’est ce qu’il ne nous aimait pas et nous souhaitait le pire en rigolant aux blagues du gros nounours de Bonne nuit les petits.
Et bien maintenant je sais qu’il ne nous aimait pas.
J’en suis vraiment certaine.
S’il me voit et m’entend là où il est je lui dis qu’il était un salopard de nous souhaiter cette bonne guerre et que je sais qu’il ne nous aimait pas.
Aujourd’hui j’entends ses mots qui me harcèlent et je serre les poings pour mes enfants et mes petits enfants, je n’aurai de cesse de leur dire que je ne veux pas qu’ils vivent ces horreurs et que je veux les protéger.

Je repousse la prophétie ignoble.

Je dédie cet article à toutes les victimes de toutes les guerres et tout particulièrement aux victimes du 13 novembre à Paris.

1 commentaire:

  1. J'ai également eu droit à cette même phrase pendant mon enfance....................elle m'a traumatisée ,à me réveiller la nuit croyant entendre des chars passer dans la rue..............beaucoup de nuits, sans jamais en parler à qui que se soit............et puis je me suis mise à espérer ...................notre génération ,et les futures, ne connaîtront pas la guerre..............maintenant je sais que la mémoire de l'Histoire n'est qu'illusion et que les "Hommes" sont fous .............puis-je me tromper!

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