lundi 9 novembre 2015

Anonyme



Je suis de nouveau surprise qu’un jury de sélection de peinture puisse se justifier de son indépendance en disant qu’il a procédé à la sélection des œuvres de manière anonyme.

Il y a deux raisons à ma surprise.
La première est qu’avec l’importance des réseaux sociaux et notamment Facebook, il me semble impossible de prétendre que l’on n’a jamais vu une œuvre proposée à la sélection auparavant. Oui, bien sur, il y a des artistes qui ne publient jamais rien, sûrement … ou des artistes qui n’exposent jamais … mais je n’en connais pas.

La deuxième raison est que le propre d’un artiste est d’avoir un style. Ou en tout cas, ce serait souhaitable. On peut avoir cette exigence surtout pour un jury de sélection.
Alors comment une sélection peut elle être anonyme ????
Est ce que le fait de passer un coup de tampon sur sa signature dans un logiciel de retouche peut suffire à effacer le style d’un artiste et rendre impartial un jury de sélection ?
Je ne peux pas y croire. Ou alors le monde de l’art est foutu.
Je me suis posée sur mon canapé, j’ai fermé les yeux et j’ai visualisé les œuvres des aquarellistes que je connais et dont je peux donner les noms en regardant une de leur œuvre. En trente secondes, j’en avais déjà une dizaine. Je me suis arrêtée là car la vérification était suffisante.
Je n’ai pas fait le jeu avec Matisse, Chagall, Picasso, Monet ou Van Gogh cela aurait été trop facile et puis on m’aurait taxée de prétentieuse. (ça arrive …)
Et pourtant c’est exactement la même chose, si ça marche avec eux, ça doit marcher aussi pour les aquarellistes.

Donc prétendre qu’une sélection est anonyme me semble un véritable affront pour les artistes et pour l’art. 
C’est un peu comme dire un mensonge vrai.
Connaître le nom d’un artiste qui envoie sa sélection est important, car chaque artiste a aussi sa propre histoire, son parcours qu’il peut ainsi revendiquer en disant qu’il est le créateur de son travail. Lui et pas un autre.
Cette reconnaissance me semble primordiale dans le sens où l’on a pu un jour passer à côté d’un peintre sans le remarquer et pouvoir découvrir quelques années plus tard qu’il s’est révélé, qu’il s’est trouvé un style.
C’est toujours intéressant de participer à cette démarche et d’accompagner des artistes ainsi. Et il me semble que cela fait parti des compétences et des devoirs des organisateurs de salon.
Si la sélection est anonyme comment y associer un parcours, une personnalité ?
En marge d’une œuvre il y a son créateur, une personne, une personnalité et n’est –ce pas cela aussi qui contribue à ce que l’on adhère totalement ou juste un peu ou pas du tout à l’œuvre elle-même ?
Pour ma part, j’en suis persuadée.

Il n’est pas question de « copinage » dans cette notion de l’œuvre et de l’artiste ( je sens venir les contradicteurs ), le jury qui sélectionne anonymement revendique justement cette manière de procéder pour éviter le « copinage « (là encore on est un peu dans le mensonge vrai), il est simplement question de ne pas dissocier l’artiste de son œuvre puisqu’ils ne forment qu’un.
De tout ce qu’on peut me dire, la réflexion la plus touchante que j’entends est : - Vous n’avez pas besoin de signer, on sait que c’est vous quoique vous peigniez.
Je trouve cela touchant que des gens puissent éprouver le besoin de me faire cette déclaration alors que pour moi c’est une évidence.
Ma peinture c’est moi et moi c’est ma peinture.
Et en dehors de ces considérations au passage sur ma propre peinture (je fais toujours gaffe pour ne pas me faire traiter de prétentieuse ...), je me questionne sur ce que pourrait donner un salon de peinture où l’on aurait sélectionné des œuvres sans connaître leurs auteurs.
Il y aurait évidemment des choses superbes, les pépites découvertes, les œuvres connues (mais qu’on n’a pas reconnues, vous avez suivi ?), et il y aurait le lot des « toutes pareilles », les œuvres vraiment anonymes.

C’est un peu comme si les jurys littéraires sélectionnaient les livres avec un bandeau sur le nom des auteurs.
Quelle valeur auraient les sélections et les prix si on prétendait qu’ils ont été décernés en aveugle ?
Vous imaginez prétendre ne pas reconnaître un Modiano ???? Delphine de Vigan ? Cavanna ? Lionnel Duroy ? Céline ????

C’est comme l’histoire du CV anonyme.
Ça ne peut pas marcher car il y a bien un moment où l’on se dévoile et où il faut être soi-même.
Il y avait un énorme bon sentiment dans cette idée de projet de CV anonyme puisqu’il était destiné à protéger Ali et Nohra d’un jugement qui aurait prévalu sur leurs valeurs intellectuelles et leurs qualités à prétendre à un emploi.
Mais le jour où Ali ou Nohra se présentent à l’entretien d’embauche que se passe t-il ? A mon avis la même chose exactement que s’ils avaient mis leur nom et leur photo sur leurs CV.
On se trompe de combat : Ce n’est pas l’identité des demandeurs d’emploi qu’il faut masquer sur les CV, ce sont les racistes qu’il faut éduquer.

Et pour en revenir aux jurys de sélection des salons de peinture, si l’anonymat des candidatures me semblent plus tenir de la farce et pire de l’erreur quasi professionnelle, il existe bien heureusement des organisateurs de salon qui font confiance aux artistes.
Dire à un artiste : – Nous vous avons sélectionné ou nous vous invitons à participer à notre salon et vous apporterez les œuvres que vous désirez et que vous avez choisies ou réalisées  pour notre salon, c’est pour moi une des reconnaissances les plus sincères que l’on puisse me faire.
Me dire de cette manière que l’on me fait confiance est le plus beau des contrats.


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