Self-service 1. Olivia Quintin |
Ma chère Olivia,
Depuis quelques jours je sais que
je veux t’écrire et ce que je veux te dire, mais j’hésitais juste sur la forme
que je donnerai à mes mots.
J’ai éliminé le commentaire sur
Facebook car je ne sais pas si tu veux que mes mots soient livrés à tous tes
amis et que ces mots soient eux-mêmes commentés par ces mêmes amis.
Et puis sur Facebook, je mets
toujours en doute la sincérité de ceux qui y écrivent un message,
l’écrivent-ils pour toi ou parce qu’ils savent qu’ils seront lus par d’autres ?
La messagerie perso ? Pas
terrible quand on a plus de 4 phrases à dire.
J’aurais aimé l’idée de te dire
ces mots sous la forme d’une lettre ouverte comme : Lettre ouverte à une
artiste que j’aime, ou simplement : Lettre ouverte à Olivia, mais je n’ai
pas osé, c’est toi qui le décideras.
Je te connais depuis plusieurs
années maintenant et dès notre première rencontre tu m’avais surprise. Une
telle assurance dans ta peinture et une telle panique à la fois quand il
s’agissait de parler de toi, de te dévoiler. J’avais trouvé ce mélange très
touchant et très séduisant.
Et puis ta peinture me rappelait
la mienne sauf que je trouvais que tu faisais bien mieux que moi. Un dessin
plus assuré, des portraits pleins de fraicheur. Tout ce que je ne faisais pas.
Ça m’énervait un peu.
Nous nous sommes mieux connues
avec les années qui passaient et les rencontres dans les salons, les échanges
virtuels et quelques coups bus ensemble.
J’aime voir que tu vas bien,
j’aime voir tes créations, j’aime voir tes pistes de recherche.
Tu me fais souvent rire car tu
fais parti de ces artistes qui ont des tas d’idées, celles qui sont dans ta
tête et ne verront jamais le jour, celles que tu tentes mais qui resteront sur
le coin de ta table d’atelier, celles que j’aime moins et surtout celles qui
débarquent et qui dérangent et ça c’est fou et c’est bien.
Et puis il y a eu cette épreuve
Snapshot …
Je n’avais pas trop compris dans
quoi tu te lançais puisque tu avais ménagé la surprise avec une annonce genre
teaser.
Il y a eu tes premiers essais,
les photos … etc … On ne va pas rejouer le sketch.
C’est évident que si j’avais
compris, j’aurais peut-être osé te mettre en garde, mais je n’en suis pas
certaine non plus. Je suis bien consciente que j’ai aussi cette casquette de
photographe et que je ne dois pas forcément la mettre en avant et me mêler de
tout.
(Si tu savais combien de fois je
vois ces droits violés et que je me retiens de dénoncer.)
Tu as eu raison de tirer un trait
et c’était courageux de ne pas t’obstiner, de ne pas chercher à contourner la
législation.
Je me suis d’ailleurs demandée
comment on avait le droit de vendre les photos des autres sur le net vu qu’il
est interdit ou presque de les utiliser. Mais c’est une réflexion idiote
puisque sur le net on trouve de la drogue et des armes.
Et puis il y avait ce foutu livre
d’Isabelle Monin, La vie rêvée des gens. Ça n’aurait pas pu plus mal
tomber ! En gros, exactement la même idée.
Et c’est là surtout que tu ne
dois rien regretter car même si tu avais pu légalement réaliser ton projet, il
était un peu bouffé par le livre de l’autre. Du coup, j’ai fait des recherches
sur le livre d’Isabelle Monin et je me demande comment elle peut être certaine
que ces gens qui sont sur les photos dont elle s’est inspirée pour leur redonner
une vie, comment elle peut être certaine qu’un jour ils ne lui feront pas un
procès pour vol de leur image ? Elle les a retrouvés, elle leur a demandé
l’autorisation de publier ces images, de révéler les coulisses de son livre
mais rien ne dit qu’un jour ils ne saisissent pas la justice pour réclamer
réparation de la violation de leur image. Ou tout simplement pour partager les
recettes du livre si il devient un succès de librairie (ce que je ne pense pas,
les ficelles sont trop grosses … ) Et ces gens gagneront, je peux te l’assurer.
C’était une digression pour te dire de ne pas avoir de regrets, y’a des trucs comme ça dans la vie qui sont faits pour ne pas marcher. Faut l’admettre.
Mais voilà, Olivia, il ne faut
pas que ça soit un blocage ou une tristesse infinie qui t’empêche de
créer. Hier, j’ai lu que tu disais que
tu ne pouvais plus prendre tes pinceaux sans te demander si tu « avais le
droit » … C’est à ce moment précis que j’ai décidé de te faire cette
lettre.
Tu as tous les droits. Tu n’as
pas d’interdits. (on ne parle plus de l’histoire du droit à l’image)
Si tu peins en te censurant tu ne
vas plus créer et pour moi il est totalement impossible et inenvisageable de ne
plus être surprise par tes peintures.
Tu vas peut-être être étonnée si
je te dis que ta peinture me donne envie de peindre.
C’est pourtant comme ça depuis
que je t’ai rencontrée.
Tes Fortes Têtes en sont l’exemple
le plus fort.
La première fois que je les ai
vues, j’étais en Inde devant l’écran de mon ordi et je les faisais défiler
totalement scotchée. Et le pire si je peux dire, c’est que Jean-Noël était lui
aussi dans un délire complet en les découvrant.
Autant d’audace me laissait sur
le carreau.
Autant d’aplomb me stimulait.
Quand on peint comme ça, on ne
peut pas se demander si « on a le droit ». On peint encore et encore.
Je n’avais jamais osé me lancer à
peindre des visages, des regards, je n’avais jamais osé car je pensais que je
ne savais pas faire.
Après avoir eu le choc des tes
Fortes Têtes, j’ai vraiment été convaincue que je ne savais pas le faire.
Et L’Inde en face est arrivée.
Elle s’est imposée à moi.
Et moi je sais très bien que ce
sont tes Fortes Têtes qui leur ont tracé la route.
Lorsque je t’ai vue peindre cet
été à Brioude, j’ai vu un spectacle et cela m’a plu.
Loin de la peinture laborieuse,
tu effectuais une performance d’artiste.
Pendant cette heure là, tu as
incarné exactement l’idée que je me fais d’un artiste (un peintre en
l’occurrence), celui ou celle qui peint pour se faire plaisir, qui ne se pose
pas de questions de rentabilité, de mode, de vente, de fric … Peindre d’abord
pour soi, pour un plaisir égoïste, se bouleverser soi-même pour bouleverser les
autres.
Et quand tu dis que depuis
quelques semaines, quand tu prends un pinceau tu te demandes si tu as le droit
…. Moi, c’est chaque fois que je prends mon tube de pigments Turquoise de
Cobalt Clair que je me demande si j’ai le droit. Je me demande si je ne vais
pas peindre comme Olivia … Je me demande si je peux … Et parfois je n’ai pas
pu.
Lorsque l’on est un artiste honnête, on passe son temps à se demander ce qu’on a dans la tête, ce qu’on a trouvé, ce qu’on a emprunté, ce qu’on a transformé, ce qu’on a conçu.
Il faut aussi se dire qu’on a
transmis, qu’on a filé la pêche à un autre artiste, qu’on l’a mis sur une
piste …
Et toi, Olivia, tu m’a transmis bien
plus que le Turquoise de Cobalt Clair.
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