mardi 6 octobre 2015

Une histoire vraie

Le cri - Edvard munch

C’est « D’après une histoire vraie ». C’est comme ça que Delphine de Vigan a appelé son dernier roman.
Je ne sais pas si c’est son histoire mais je ne mets pas en doute que ce soit une histoire vraie. Et que ce soit son histoire et qu’elle veuille le faire croire dans son récit n’a pour moi absolument aucune importance, elle est écrivain, elle fait son boulot et je trouve qu’elle le fait plutôt bien.
Cette histoire qu’elle raconte, elle la mêle à son quotidien, à des personnages qui existent vraiment dans sa vie comme François Busnel, ses enfants et d’autres que je n’ai pas identifiés.
L’histoire est bien vraie car dès les premières pages, j’ai tout de suite compris où nous allions nous engouffrer. Une histoire de pervers narcissique ou de manipulateur comme on dit aussi et je crois que je préfère dire « manipulateur », ça me semble plus simple à comprendre.
Une histoire vraie que je connais et qui de nouveau racontée par Delphine de Vigan m’empêche de trouver un sommeil paisible, une histoire vraie qui fout mes journées en l’air.
Le journaliste qui l’interroge sur le plateau du 20h00 lui dit que son tour de force est d’avoir fait de ce récit un vrai thriller. Je me dis que c’est un vrai con ce mec de s’étonner qu’un roman sur un manipulateur puisse avoir l’air d’un vrai thriller. Ou alors il est naïf et a simplement beaucoup de chance, il n’a jamais rencontré de manipulateur pervers sur son chemin, ceux qu’il a croisés, c’était des faux, des amateurs.
Quelle chance il a ce journaliste.

Rencontrer un manipulateur, c’est vivre un thriller.
On se dit : -il va me tuer. Et s’il ne me tue pas, c’est moi qui vais le faire.
C’est exactement ce que je me suis dit, il y a 6 ans.
Il était dans ma vie depuis toujours sans que je méfie de lui. Plus de 50 années à l’aimer et à l’admirer. Simplement et sans méfiance.
Je crois que je l’aimais naturellement. Vraiment.
Et comme l’écrit  Delphine de Vigan, c’est seulement après qu’on se demande comment on a pu être d’une telle naïveté.
C’est beaucoup plus facile de comprendre après que pendant. Je confirme.
Le manipulateur est un séducteur accompli. Il ne fait même que ça : séduire.
J’ai marché à fond et aujourd’hui j’en ai honte.
Delphine de Vigan est manipulée par une femme L. et décrit toutes les étapes de sa mise à mort programmée. Elle reçoit des lettres qui la mettent au bord du malaise quand elle y lit qu’elle est accusée d’être une malade mentale, borderline, hystérique, menteuse, mauvaise mère, affabulatrice.
J’ai reçu les mêmes lettres.
J’ai eu des malaises.
Je suis restée à terre.

Je ne sais pas comment Delphine de Vigan va s’en sortir, hier soir j’ai arrêté ma lecture à la page 265. Elle est encore totalement sous l’emprise de L. sa manipulatrice car elle ne l’a pas identifiée. Et je me doute aussi que nous allons vers un développement et un épilogue qui seront plus littéraires que le simple témoignage sur le travail de sape d’une manipulatrice.
C’est le boulot de Delphine de Vigan, c’est elle qui a écrit « A partir d’une histoire vraie »
A la page 265, la moitié du roman, nous sommes arrivés à ce moment du basculement de la proie vers la folie ou plutôt ce qui est encore bien pire à savoir ses doutes sur sa santé mentale.

C’est là que je me suis retrouvée moi aussi. Ce n’était pas la page 265, c’était un vrai jour de ma vraie vie.
Je me suis dit que j’étais folle. La sensation exacte était : perdue sans repères.
Comme nous étions dans la vraie vie et pas dans un roman, les lettres reçues n’étaient pas anonymes. Elles étaient envoyées par mon manipulateur pervers, celui qui s’attaquait à moi.
La réelle douleur de ce type de situation est certainement l’isolement dans lequel il vous plonge en quelques secondes.
J’ai immédiatement compris que je ne pourrais jamais  raconter cette histoire sans passer pour une affabulatrice. Il m’avait prévenue. Et ça, faut reconnaître que c’est vraiment fort. Et c’est uniquement ça qui vous plonge dans un isolement insupportable.
En écrivant aujourd’hui ces mots, je sais que c’est ce qui est le plus terrible. Devoir admettre que l’on ne peut pas raconter, que l’autre a réussi son sale boulot, il sait que ce qu’il a vous a fait est tellement ignoble et énorme que jamais on n’arrivera à le raconter. Tout simplement parce que ce n’est pas croyable.
C’est à partir de là que je me suis dit que dans la vie, il était sans doute plus simple de s’en sortir si on avait fait une saloperie démesurée qu’une petite broutille qui finalement vous collera la honte  pour la vie.

J’ai souvent réfléchi aux chemins que je pourrais prendre pour sortir cette histoire de moi. Un jour l’idée surgira. Ça me rassure de le croire.

Dans l’immédiateté de mes douleurs, j’ai rencontré un psychiatre, un psychologue, mon médecin généraliste, une amie psychologue … Il n’y avait que cette sphère d’oreilles spécialisées pour entendre mon chaos.
Savoir qu’ils me croyaient m’a apaisée.
Lors de mon dernier rendez vous avec le psychologue je l’ai quitté en lui arrachant la promesse qu’il resterait toujours disponible pour me recevoir en urgence la prochaine fois. Il a promis.
Je sais que je pourrai débarquer chez mon médecin généraliste, il m’écoutera.
Je sais que je pourrai appeler mon amie, elle aussi m’écoutera et me rassurera.

Maintenant, c’est ce que j’attends : la prochaine fois. Les menaces étaient claires à ce sujet dans le dernier courrier.
La prochaine fois, il y aura des révélations étonnantes à mon propos. C’est ce que prétend mon manipulateur pervers.  
Evidemment je n’ai aucune idée de ce que sont ces révélations car on ne peut pas prévoir ce qu’il y a dans la tête d’un malade.
Mais la prochaine fois a été annoncée.

J’ai parfois peur de ce qu’il va continuer à démolir et comment il réussira à m’isoler un peu plus.
J’ai peur de cette haine qu’il a semée en moi.

Ce soir, je reprendrai la lecture du roman de Delphine de Vigan à la page 265.  C’est la moitié du roman et c’est là qu’elle va devoir prendre un virage, c’est là qu’il faut qu’elle quitte le registre de la manipulatrice perverse et lamentable, c’est là qu’il faut qu’elle nous embarque vers une narration littéraire et romanesque et qu’elle nous surprenne.

J’ai besoin de la littérature, pour ses collusions avec la vraie vie, ses pages miroirs de nos douleurs et soudain les portes qui s’ouvrent vers l’imaginaire.

Ce sont ces ouvertures qui sont consolantes et qui me prennent dans leurs bras.



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