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Le cri - Edvard munch |
C’est « D’après une histoire vraie ». C’est comme ça que Delphine de Vigan a titré son dernier roman.
Je ne sais pas si c’est son histoire, mais je ne mets pas en doute que ce soit une histoire vraie. Et que ce soit son histoire et qu’elle veuille le faire croire dans son récit n’a pour moi absolument aucune importance, elle est écrivaine, elle fait son métier d’écrivaine et je trouve qu’elle le fait plutôt bien.
Cette histoire qu’elle raconte, elle la mêle à son quotidien, à des personnages qui existent vraiment dans sa vie, comme François Busnel, ses enfants et d’autres que je n’ai pas identifiés.
L’histoire est bien vraie, car, dès les premières pages, j’ai tout de suite compris où nous allions nous engouffrer. Une histoire de pervers narcissique ou de manipulateur comme on dit aussi, et je crois que je préfère dire « manipulateur », ça me semble plus simple à comprendre.
Une histoire vraie que je connais et qui de nouveau racontée par Delphine de Vigan m’empêche de trouver un sommeil paisible, une histoire vraie qui fout mes journées en l’air.
Le journaliste qui l’interroge au JT du 20 h lui dit que son tour de force est d’avoir fait de ce récit un vrai thriller. Je me dis que c’est un vrai con ce mec de s’étonner qu’un roman sur un manipulateur puisse avoir l’air d’un vrai thriller. Ou bien, il est naïf et a simplement beaucoup de chance, il n’a jamais rencontré de manipulateur pervers sur son chemin, ceux qu’il a croisés, c’était des faux, des amateurs.
Quelle chance il a ce journaliste.
Rencontrer un manipulateur, c’est vivre un thriller.
On se dit : « Il va me tuer. Et s’il ne me tue pas, c’est moi qui vais le faire. »
C’est exactement ce que je me suis dit, il y a six ans.
Il faisait partie de ma vie depuis toujours, sans que je me méfie de lui. Tant d’années à l’aimer et à l’admirer. Simplement et sans méfiance.
Je crois que je l’aimais naturellement. Vraiment.
Et, ainsi que l’écrit Delphine de Vigan, c’est seulement après qu’on se demande comment on a pu être d’une telle naïveté.
C’est beaucoup plus facile de comprendre après que pendant. Je confirme.
Le manipulateur est un séducteur accompli. Il ne fait même que ça : séduire.
J’ai marché à fond, j’étais séduite.
Delphine de Vigan est manipulée par une femme L. Elle décrit toutes les étapes de sa mise à mort programmée. Elle reçoit des courriers qui la mettent au bord du malaise dans lesquels elle est accusée d’être une malade mentale, borderline, hystérique, menteuse, mauvaise mère, affabulatrice.
J’ai reçu les mêmes lettres.
J’ai eu des malaises.
Je suis restée à terre.
Je ne sais pas comment Delphine de Vigan va s’en sortir, hier soir j’ai arrêté ma lecture à la page 265. Elle est encore totalement sous l’emprise de L., sa manipulatrice, car elle ne l’a pas identifiée. Et je me doute aussi que nous allons vers un développement et un épilogue qui seront plus littéraires que le simple témoignage sur le travail de sape d’une manipulatrice. À la page 265, la moitié du roman, nous sommes arrivés à un basculement vers la folie ou plutôt, ce qui est encore bien pire, à avoir des doutes sur la santé mentale de la victime.
C’est là que je me suis retrouvée moi aussi. Ce n’était pas la page 265, c’était un vrai jour de ma vraie vie où je me suis dit que j’étais folle. La sensation exacte était : perdue sans repères.
Comme nous étions dans la vraie vie et pas dans un roman, les lettres reçues n’étaient pas anonymes. Elles étaient envoyées par mon manipulateur pervers, celui qui s’attaquait à moi.
La douleur profonde de ce type de situation est certainement l’isolement dans lequel il vous plonge en quelques secondes. J’ai immédiatement compris que je ne pourrais jamais raconter cette histoire sans passer pour une affabulatrice. Il m’avait prévenue : « Personne ne te croira ».
Et ça, faut reconnaître que c’est vraiment fort.
Et ça vous plonge dans un isolement insupportable.
Devoir admettre que l’on ne peut rien raconter au risque de passer pour une folle, cela signifie que l’autre a réussi son sale boulot, il sait que ce qu’il vous a fait est tellement ignoble et énorme que jamais on ne le dira. Tout simplement parce que ce n’est pas croyable.
C’est ainsi que j’ai réalisé qu’il était bien plus simple de se sortir d’une énorme saloperie à laquelle personne ne croira, que d’une petite broutille qui vous collera aux basques pour la vie.
Il ne me reste plus qu’à attendre. La prochaine fois. Les menaces étaient claires à ce sujet dans le dernier courrier, elles évoquaient la suite, qu’il y aurait des révélations
étonnantes à mon propos. C’est ce que prétend mon manipulateur pervers.
Je n’ai évidemment aucune idée de ce que sont ces révélations, car on ne peut pas prévoir ce qu’il y a dans la tête d’un manipulateur.
Mais la prochaine fois a été annoncée.
J’ai peur de cette haine qu’il a semée en moi.
Ce soir, je reprendrai la lecture du roman de Delphine de Vigan à la page 265. C’est la moitié du roman et c’est là qu’elle va devoir prendre un virage, c’est là qu’il faut qu’elle quitte le registre de la manipulatrice perverse et lamentable, c’est là qu’il faut qu’elle nous embarque vers une narration littéraire et romanesque et qu’elle nous surprenne.
J’aime la littérature. J’ai besoin de ses collusions avec la vraie vie, de ses pages miroirs de mes douleurs.
Et soudain des portes qui s’ouvrent vers un imaginaire consolant.
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