lundi 4 novembre 2024

Orange


 


Internet en panne une fois de plus.
Cela fait partie de notre vie à Montauban et il faut s’en accommoder. 

Depuis l’année dernière, nous possédons une airbox (de secours) dont nous avons exigé d’Orange d’en être les propriétaires pour nous dépanner chaque fois qu’on est en rade. Soit parce qu’un petit malin a débranché, soit parce qu’ils réparent sans nous en avertir, ce qui était le cas jeudi dernier. Le technicien nous avait promis que le tableau serait remis en place en fin d’après-midi, mais à 17h il est reparti et nous a laissé en panne pour ce long week-end. 

Mise en route de la procédure habituelle au 3900 qui en toute décontraction nous confirme qu’on est en zone de perturbation jusqu’au 6 novembre. 

Je rebranche l’airbox pour tenter d’attraper le filet de 4G auquel nous avons accès dans le centre de Montauban, (il faut s’en accommoder aussi …) mais Orange a désactivé la carte SIM. On ne sait jamais, des fois qu’on en abuse… 

La technicienne très zen (on doit les obliger à faire du yoga) nous dit d’aller rechercher une carte en boutique, qu’ils nous remettront des datas dessus à volonté, ainsi que sur nos téléphones. Elle demande d’une voix douce si la boutique n’est pas trop loin. 

Jno file chez Orange avant qu’ils ferment. C’est pas trop loin, mais quand même. 

Le temps que les batteries de l’airbox se rechargent, que je me souvienne de toutes les manips à faire et que je découvre celles pour la nouvelle télé qui par chance est une télé connectée, nous voilà de nouveau opérationnels pour travailler. 
Parce qu’en fait, c’est ça le plus difficile : expliquer à Orange qu’on travaille ! 
Et qu’on paye un abonnement pour regarder la télé quand on a fini de travailler.

Nous avons donc passé notre long week-end avec l’équipement de secours Orange. Un équipement sur lequel ils ne tarissent pas d’éloges, à les entendre, c’est bien mieux que la box et le décodeur. 

Depuis jeudi soir, je rêve d’inviter un cadre d’Orange à venir tester chez nous la merveilleuse et bien nommée airbox. Dans notre quartier, il y a surtout de l’air et pas beaucoup de 4G. Pour que ça marche, il faut coller le boitier à une fenêtre et ne pas être exigeant sur le débit internet. Pour la télé, ça marche uniquement si vous avez une télé connectée, vous pouvez regarder les chaines sur leurs plateformes. Mais, un conseil, ne vous lancez pas dans un film et surtout pas un polar, car l’image se fige au rythme d’environ chaque dix minutes. 

Pour la Star Académy, ça passe. 
Et pour le reste, on a supporté. 
Et quand on en a eu trop marre, on est allé au cinéma. 

Ce matin, c’était enfin lundi. On se disait que le technicien allait revenir terminer le travail qu’il avait laissé en plan. Jean-Noël proposait de rallumer la box et on verrait bien quand elle afficherait ses diodes fixes. Moi, je n’étais pas chaude pour attendre, je pensais qu’il fallait aller à l’armoire pour parler au technicien. J’ai insisté et Jean-Noël y est allé. Ce n’est pas loin.

La surprise ou mon intuition, c’est qu’il y a trouvé le technicien (toujours le même, à force on les connait tous et ils nous connaissent bien) qui était totalement abasourdi qu’on n’ait pas retrouvé la connexion. Pour lui, tout fonctionnait jeudi soir quand il est reparti, il avait tenu la promesse qu’il m’avait faite. Et si, ce matin, il était repassé à notre armoire (oui, c’est notre armoire maintenant, on se sent en droit de la privatiser, vu comme on s’en occupe), c’était uniquement pour prendre des mesures. Il dit à Jean-Noël : « Vous avez eu une chance incroyable que je sois là, car je ne suis repassé que pour cinq minutes ! », ce que Jean-Noël me répète immédiatement au téléphone : « On a de la chance, il était à l’armoire et il va venir chez nous ! », alors qu’il n’a pas à le faire, mais à force, nous sommes devenus amis et il est réellement embarrassé par la situation, surtout quand Jean-Noël lui a expliqué l’airbox qui brasse de l’air. 

Il est donc venu et a compris qu’une fois de plus, nous avions été changés de tiroir dans l’armoire et qu’on ne lui avait pas donné les bons schémas. 

Il nous a redit que « notre » armoire était un bazar sans nom et qu’en plus elle puait la pisse. Ça, on le sait, on le constate chaque fois qu’on passe devant et qu’on la referme. 

Notre armoire sert aussi de pissotière. 


mardi 29 octobre 2024

Un homme m'a fait un cadeau

 

La semaine dernière, un homme m’a fait un cadeau.
Je ne connais pas cet homme.
Il ne sait pas qu’il m’a fait un cadeau.
Je viens lui dire. 

C’est un homme que je croise sur les réseaux sociaux. J’avais pu voir, son nom qui le rendait un peu Flamand — c’est ce que je m’étais dit bien qu’il vive dans le sud de la France — ,sa photo qui confirmait le nom un peu flamand, ses publications qui n’étaient ni une ode aux chats ou à Trump, j’avais donc accepté son invitation. 

Et je l’avais un peu négligé, je ne le suivais pas assidument, jusqu’au jour où je tombe sur une de ses publications, une blague idiote et sexiste avec un arrière-plan décoratif qu’on ne peut pas louper. Je ne le connais pas ce Flamand du sud, mais il me consterne. J’avais une autre idée de cet inconnu. 

Je me fends d’un commentaire. Je lui dis qu’il n’est pas drôle du tout. En gros, je lui dis qu’il est con. Et je me dis que jamais il ne me répondra, mais qu’au moins, je l’aurai remis à sa place et que peut-être d’autres de ses amis qui avaient rigolé à sa blague le prendront aussi pour eux. C’est le principe du militantisme, agir sans rien attendre de particulier. On agit pour le futur, pour les autres, pour que ça change. La seule chose à laquelle on doit s’attendre lorsqu’on milite, c’est un retour de haine. 

Et, cet homme m’a répondu.
Il m’a dit qu’il avait compris combien il avait été stupide et blessant. Il m’a écrit qu’il regrettait d’avoir voulu « amuser la galerie sans discernement » et serait désormais plus vigilant.
Il a supprimé sa blague sexiste.
J’ai refermé mon téléphone en me disant que nous avancions, qu’il y avait des hommes à qui on pouvait parler et qui pouvaient comprendre, ressentir et regretter. Des hommes qui pouvaient dire qu’ils avaient fait une erreur. 

C’est tout ce que nous réclamons.
Cet homme m’a fait ce cadeau. 

jeudi 3 octobre 2024

Le théâtre à 15 ans.



Le théâtre est entré dans ma vie lorsque j’avais 15 ans. Pas environ 15 ans, ou 15 ans et demi, non, 15 ans exactement, le jour de mon anniversaire. Un 10 septembre, à une époque où les MJC possédaient de vraies salles de spectacle, j’ai intégré une troupe de théâtre amateur dans la banlieue de Grenoble.

Mes parents m’avaient accompagnée pour savoir à qui ils confiaient leur fille, ils étaient inquiets, une MJC ça fait un peu communiste comparé à une aumônerie. Mais le curé de l’aumônerie n’avait pas de troupe de théâtre et je voulais faire du théâtre. C’est ce que j’avais prétendu et dit à mes parents pour ne pas me retrouver à l’aumônerie du lycée. Le théâtre, je m’en foutais totalement. 

Le soir de mes 15 ans, ils m’ont donc accompagnée à la MJC pour m’inscrire aux cours de théâtre et pour rencontrer le directeur de la troupe amateur. Ils avaient dû le trouver pas trop communiste puisqu’ils lui ont dit : « Nous vous confions notre fille », et le directeur de la troupe leur a répondu qu’ils pouvaient compter sur lui. La suite leur montrera qu’ils pouvaient faire confiance à ce type en lui confiant leur fille, mais qu’ils ont peut-être regretté leur empressement. C’est de cette manière peu conventionnelle que j’ai rencontré Jean-Noël, l’homme providentiel. C’est une autre histoire. 

À 15 ans, je découvrais le théâtre. 

Je suis bien née, comme l’on dit. Une famille cultivée en apparence, une famille aisée en apparence, une famille normale en apparence. Tout en apparence. Des livres ; mais pas tant que ça, de la musique ; un peu, du cinéma ; à peine, de l’art ; presque pas et le théâtre ; jamais. 

Alors comme une jeune ado encore petite fille — j’ai sous les yeux les photos d’une fille aux cheveux en bataille, aux joues pleines et au regard perdu — j’ai aimé être mise en valeur dans les rôles de femmes que j’interprétais, j’ai aimé les regards des spectateurs, j’ai aimé les projecteurs. Cela a duré le temps que je grandisse un peu et que je perde mes joues. Je me suis lassée de ces jeux d’amateurs. Je voulais voir le théâtre du côté des spectateurs. Jouer ne m’intéressait pas. 

À cette époque, il y avait à Grenoble deux jeunes comédiens qui se produisaient dans les MJC ou dans les foyers de jeunes travailleurs. Je ne me souviens plus du nom de leur premier spectacle, juste qu’ils débarquaient sur scène avec une immense valise marron couverte d’étiquettes des pays traversés. Le truc caricatural. J’ai des images de clowns, mais des clowns politiques. Il me revient cette scène incroyable qui s’est déroulée dans un foyer de jeunes travailleurs quand l’un des deux comédiens sort de scène pour ressurgir avec une moustache hitlérienne collée sur la lèvre supérieure et qu’un spectateur a hurlé en éclatant de rire : « Charlot ! » Dire que la stupeur nous a tous saisis est un faible mot puisque cinquante ans plus tard, je m’en souviens comme si c’était hier. 

Les deux comédiens que nous suivions parce que nous les aimions, s’appelaient Ariel Garcia-Valdès et Georges Lavaudant. C’est avec eux que j’ai vraiment découvert le théâtre. 
Leur compagnie s’appelait « le théâtre partisan » et nous les appelions « Les partisans » et ça faisait des tas d’embrouilles dans la société grenobloise bien-pensante qui estimait que des artistes gauchos ne pouvaient pas s’appeler « les partisans », que c’était irrévérencieux et scandaleux. 

Rapidement Ariel Garcia-Valdès et Georges Lavaudant n’ont plus été obligés de trimballer leur valise à étiquettes dans les MJC et les foyers de jeunes travailleurs du département, ils ont eu leur théâtre. C’était Le Rio, un beau théâtre à l’italienne, dans un quartier de Grenoble, à l’époque un peu mal famé, mais cela restait un beau théâtre qui faisait le plein. Même si on y était horriblement mal assis. 

De tous les spectacles que j’y ai vus, je n’oublierai jamais le Lorenzaccio qu’ils avaient mis en scène. (La première mise en scène).
La compagnie s’était étoffée, Georges Lavaudant ne faisait plus que de la mise en scène et c’était Ariel Garcia-Valdès qui tenait le rôle de Lorenzaccio. Et qu’il était beau ce Lorenzo auréolé de boucles blondes ! Je n’avais jamais vu une telle beauté dans les traits d’un homme qui incarnait ce rôle à fleur de peau et de sensualité. Si j’ai nommé l’un de mes personnages Ariel dans mon roman, c’est parce qu’à 17 ans, j’avais rencontré Lorenzo sur la scène du Rio. 

C’est au théâtre du Rio que j’ai compris que l’émotion du théâtre passe à la fois par un texte, une mise en scène et le jeu des acteurs. 

Durant les décennies qui ont suivi, nous sommes toujours allés au théâtre, même quand on avait pas trop le budget, on se débrouillait avec un copain de Jean-Noël qui nous refilait au dernier moment « les astreintes » (les places réservées). L’impression de vivre en décalé, comme le jour où j’ai dit à une amie : « ce soir, je vais au théâtre » et qu’elle m’a regardée en répliquant : « ah bon ! Tu vas au théâtre ! Pourtant c’est chiant le théâtre… » Oui ça peut être chiant quand le texte est mauvais, quand le comédien ou la comédienne est inaudible, quand le jeu est convenu, quand la mise en scène est prétentieuse. Oui ça peut être insupportable et ça peut faire de la peine pour les comédiens qui sont face à vous. Mais à la manière du Lorenzaccio de Lavaudant et du Lorenzo-Ariel, il y a eu aussi dans ma vie de théâtre l’éblouissant Thierry Lhermitte seul sur scène dans « Fleurs de soleil (Peut-on tout pardonner ?) » de Simon Wiesenthal. C’est une émotion indescriptible. Un comédien qui se fond dans un texte, et quel texte ! 

Le théâtre dans ma vie, ce n’est pas que la MJC et son directeur de troupe, ce n’est pas qu’Ariel Garcia Valdes et Georges Lavaudant, ce n’est pas que Thierry Lhermitte, ce sont des centaines d’autres spectacles. 

C’est dans un théâtre que travaille l’un de mes fils. Hasard ou pas, je pensais que le théâtre m’accompagnait aussi de cette manière jusqu’à ce jour où je me suis dit que j’aurais aimé écrire pour le théâtre. Tous ces textes que j’avais entendus joués sur les planches me parlaient intimement. 
J’aimais le dépouillement d’un texte théâtral, j’aimais le rythme des mots que j’entendais dans la bouche des comédiens et des comédiennes. 
J’aimais l’idée qu’écrire un texte pour le théâtre permette de ramasser son texte, de ne pas se perdre dans le descriptif et d’aller uniquement sur ce qu’on avait à dire. Aller à l’essentiel. Le descriptif, c’est l’affaire de celui ou de celle qui fera la mise en scène, c’est eux qui décideront si le comédien est assis sur une chaise ou juché au sommet d’une échelle. Moi, je m’en moque éperdument.

Je trouvais l’idée reposante et apaisante. 

J’adorais l’idée de devenir dramaturge. Ce mot qui désigne les auteurs d’ouvrages destinés au théâtre a une belle sonorité dans laquelle on sent déjà l’émotion du théâtre.  
J’adorais aussi l’idée de partager et de faire évoluer mon écriture avec des metteurs en scène, des comédiens. Ne plus être seule avec mes émotions. 

J’ai écrit. 
J’ai soumis mon projet. 
On a parlé. 
On m'a écoutée.
On va travailler ensemble sur "La Gravière". 
Je ne suis plus seule. 


lundi 30 septembre 2024

"La possibilité du viol" ce n'est pas envisageable.

 


J’ai lu l’article de Sylviane Agacinski (Le Monde du 30 septembre 2024) dans sa totalité et l’ai même relu une deuxième fois pour être certaine qu’elle avait bien écrit : « La virilité masculine, c’est sans doute une puissance physique et sexuelle spécifique sur laquelle repose la possibilité du viol : mais la question est de repenser une virilité civilisée et décente, c’est-à-dire une puissance capable de retenue et de maîtrise de soi.», et je me suis dit qu’elle n’avait jamais dû être violée, qu’elle n’avait jamais été agressée, qu’elle ne connaissait pas cette destruction.
Sylviane Agacinski doit appartenir à ces femmes qui ont eu cette chance et qui ont échappé à cette « puissance physique et sexuelle spécifique sur laquelle repose la possibilité du viol » comme elle l’écrit. Cette « possibilité du viol », c’est précisément ce que nous ne voulons plus subir, c’est précisément ce dont nous voudrions ne plus avoir peur parce que la virilité des hommes ne s’exprime pas de cette manière et que si certains pensent encore que c’est ainsi qu’ils nous montrent qu’ils sont des hommes, ils se trompent. Morgan N. Lucas dans sa tribune du 21 septembre dans Libération ne s’égare pas quand il s’adresse aux hommes en leur disant de ne pas avoir peur quant à leur virilité qui pourrait être mise à mal. Il a raison, il les rassure.
Les hommes n’ont pas besoin de faire une démonstration de leur puissance physique et sexuelle pour séduire une femme puisque sur cette soi-disant puissance repose la possibilité du viol.
La possibilité, en français c’est une éventualité, c’est une perspective et ce n’est pas envisageable. Sylviane Agacinski écrit aussi que « … le patriarcat est fondé avant tout sur une institution familiale désormais révolue, dans laquelle le père avait tout pouvoir sur sa femme et ses enfants. Quant à la culture du viol, la formule est ambiguë dans un pays où, depuis un demi-siècle, cet acte constitue un crime passible de peines sévères, grâce au courage de Gisèle Halimi. » Elle vit dans quel monde pour affirmer que nous sommes libérées du patriarcat ? Elle vit dans quel monde pour parler de « la culture du viol » comme « une formule ambiguë » alors que seulement 0,6 % des viols ou tentatives de viol donnent lieu à une condamnation ?
Elle pense nous faire avaler son analyse parce qu’elle cite Gisèle Halimi ?
On est mieux entendues et défendues par les hommes qui ont le courage de prendre la parole.
Merci à eux de prendre la parole. 

dimanche 15 septembre 2024

Rajapaksa et Macron


En janvier 2010, nous vivions au Sri Lanka par période de plusieurs mois dans une petite maison sur une plage du sud de l’île. La guerre faisait rage dans le Nord et l’Est de l’île depuis 1983, c’est dire que depuis 1985 nous n’avions connu qu’un Sri Lanka déchiré par la guerre civile. Nous vivions au Sud et les seuls indicateurs de la guerre étaient les ambulances qui passaient sur la route en provenance du Nord pour aller déposer les corps des soldats à la morgue de Colombo et les attentats qui faisaient exploser des bus un peu partout dans les provinces du sud. 

Il y avait parfois des exécutions sommaires de Tamouls dans la ville où nous vivions. Je me souviens du bijoutier, un money changer, un grand type sympa exécuté quelques minutes après que nous sommes sortis de sa boutique où l’on venait de faire du change. Le pays était coupé en deux, toute la zone tamoule du Nord et de l’Est était interdite, nous n’avions jamais pu nous y rendre. En mai 2009, la guerre a pris fin par une défaite du LTTE (les forces tamoules), un carnage humain sur les plages du nord. Prabhakaran, le dirigeant historique du LTTE est tué par l’armée gouvernementale ainsi que son fils de 10 ans quelques heures plus tard. Je me souviens des photos de cet enfant, assis sur un tronc d’arbre, résigné, attendant que son sort soit réglé. Ils le lui ont réglé. 

Ce qui a suivi me hante de nouveau depuis ces dernières semaines, le président en place, Mahinda Rajapaksa jusqu’à novembre 2009 (la fin de son mandat), fort de sa victoire sur les Tamouls du LTTE a déplacé la date de l’élection présidentielle qui devait avoir lieu en novembre. Par un tour de passe-passe, il a décidé que les Sri Lankais voteraient en janvier pour une élection présidentielle qui prendrait effet à la date prévue, c’est-à-dire dix mois plus tard. On pourrait dire « trop fort ! », mais les Sri Lankais n’ont rien dit, ils se sont inclinés devant la décision présidentielle pas très constitutionnelle. 

Je me souviens de ma surprise face à l’annonce de ces élections « par avance », elles n’étaient pas réellement anticipées puisque c’était juste un avancement de date de novembre à janvier.
Je me souviens de mon étonnement face à la réaction des Sri Lankais. Ils ont encaissé sans broncher. 

Le président Rajapaksa s’est alors lancé dans une campagne digne de ces fameux télédrama dont les Sri Lankais sont friands, il a fait ériger à l’entrée des villes d'immenses silhouettes le représentant, il a fait imprimer des billets de banque à son effigie, des billets de 1000 roupies très utilisés qui circulaient comme autant de tracts électoraux. C’était tellement surprenant que j’ai conservé un de ces billets pour être certaine de ne pas l’avoir inventé.
Le président Rajapasa organisait régulièrement de grandes parades, de grandes fêtes populaires, des distributions de cadeaux ménagers pour les familles. Il embrassait aussi énormément les enfants durant ses déplacements.
Nous assistions à tous ces déploiements en nous demandant si les Sri Lankais allaient réagir devant la montée de ce que nous qualifions Jean-Noël et moi de prise de pouvoir. Mais la population applaudissait devant les défilés de bateaux enturbannés de drapeaux, elle en redemandait.
Des bus étaient affrétés gratuitement depuis Colombo pour emmener des familles entières de Cinghalais qu’ils déversaient chaque week-end sur les plages de l’Est reconquises aux forces tamoules. 

Le 26 janvier 2010, le président Rajapaksa est réélu « par anticipation » avec 58 % et le 27 janvier, il expédie, son opposant battu le général Fonseka proche des populations tamoules, dans la prison de Colombo.
Les Sri Lankais ne se sont jamais soulevés, ils ont tout accepté. Jean-Noël et moi, nous avions assisté à cette campagne hors norme et cette élection surprenante et avions fini par trouver de multiples excuses à la population. Ils sortaient de presque trente années de guerre, il fallait les comprendre. On se disait aussi, ce sont des Asiatiques, c’est leur tempérament. On se disait, ce sont des bouddhistes, ils acceptent. Et puis, nous n’étions pas chez nous, nous n’allions pas organiser la rébellion, d’autant que dans ce genre de pays, dès qu’on dit un mot plus haut que l’autre, c’est direct la case prison.
Depuis 2010, Rajapasa a toujours été au pouvoir à la manière des dictateurs, un coup Président, un coup Premier ministre. Et inversement. Il n’y a qu’en 2022 que la révolte populaire l’a obligé à démissionner et pour l’instant encore sans retour.

En France nous assistons à toutes ces parades, ces suppléments de parades, ces décorations, ce faste, ces Alphajet qui tracent des drapeaux tricolores dans le ciel. Le Président qui rajuste le dernier bouton du col de Teddy Rinner dans une intimité gênante. La voix off du Président dans un film rendant hommage aux athlètes. Est-ce pour nous faire oublier que depuis le 9 juin, nous n’avons plus de gouvernement, que nous avons attendu presque deux mois pour voir nommer un Premier ministre n’appartenant pas à la majorité sortie des urnes ?

Pourquoi le Sri Lanka me hante-t-il autant ces dernières semaines??
Parce qu’à l’identique, nous ne disons rien.
Nous encaissons.
Résignés.
Pourquoi ? 


jeudi 12 septembre 2024

L'injure faite aux femmes

 


Les témoignages accusant l’abbé Pierre d’abus sexuels allant jusqu’au viol et à des agressions à l’encontre d’enfants qui peuvent être qualifiés de pédocriminalité sont de plus en plus nombreux et nous sommes de plus en plus effarés par ces révélations qui ne sont pas mises en doute puisque « différentes personnes » étaient au courant. 

Dès que la presse a dévoilé le rapport en juillet, j’ai pensé à Lambert Wilson. J’ai imaginé la tempête qui devait le déchirer. Il a incarné l’abbé Pierre au cinéma comme un être d’exception et dit même avoir eu « un coup de foudre » pour lui, alors que pouvait-il ressentir aujourd’hui sinon avoir été trahi ? Est-ce qu’il n’était pas lui aussi une victime de l’abbé Pierre ? 

Mardi soir dans « C à vous », il était l’invité d’Anne-Elisabeth Lemoine qui lui a demandé comment il vivait cette situation. Livide et pratiquement sans voix, il a exprimé son incompréhension. Le désarroi de tous ceux qui se sont fait avoir et dont nous faisons partie. Ses balbutiements et son air égaré ne laissent pas de place au doute, il n’a jamais eu aucun soupçon et semblait se demander comment il avait pu ne pas en avoir au regard des terribles révélations qui se multiplient aujourd’hui.
Et puis il a malheureusement conclu par ce cliché : « Si l’église réformait le célibat des prêtres, cela n’arriverait pas » qui est une injure faite aux femmes. Cela revient à dire que la femme, l’épouse d’un homme, occupe une fonction utile et bestiale qui consiste à lui faire passer ses pulsions sexuelles perverses… 

Il n’y a malheureusement pas que Lambert Wilson pour sortir une telle énormité, je l’ai entendue à plusieurs reprises et c’est une manière très lâche de s’en sortir. 

Dans le procès des viols de Mazan, il n’est pas question de célibat des prêtres, mais d’hommes qui sont pour la plupart en couple, non ? 


vendredi 6 septembre 2024

L'histoire de la nouvelle télé

 


Vendredi dernier, alors que nous regardions une mini série sur Arte, Blood river (un début engageant, deux premiers épisodes qui accrochaient, mais les deux suivants très décevants), notre télé a produit une étincelle bleue, un bruit de pétard mouillé (un vrai pétard de 14 juillet, pas l’autre) et l’écran est devenu noir. On n’a pas cherché à comprendre si elle était réparable, elle avait quinze ans et on a admis qu’elle avait fait son temps, la vieille était morte. 

Le lendemain samedi, Jean-Noël est parti chez Darty pendant que j’étais sur l’expo de Pop’Art à serrer les dents sur mon ménisque. On savait ce qu’on voulait, on avait anticipé la mort de la vieille depuis déjà un an, il suffisait de trouver qui avait en stock le modèle qu’on avait repéré et surtout dans la bonne dimension. En effet notre télé est placée sur une étagère de la bibliothèque, encastrée entre des rangés de livre et je refuse de sacrifier des livres pour quelques centimètres d’écran supplémentaire. À l’ère des télés géantes, acheter une 42 pouces est ridicule, c’est acheter une télé lilliputienne, ce que le vendeur s’est bien chargé de faire comprendre à Jean-Noël. Il n’y avait plus qu’un modèle 42 pouces en stock, celui en expo et quand Jean-Noël a demandé s’il était vraiment neuf, le vendeur lui a répondu : « Il n’a jamais servi, ces petites télés, on ne les allume jamais ! »  Et dans la foulée, il a aussi pu lui dire que pour cette raison, il ne lui consentirait aucune remise. Mais ça, c’était parce que Jno avait décliné toutes ses offres d’assurance, d’abonnements, etc. Il a juste pris le forfait « livraison, installation et reprise de l’ancien matériel ». 

Hier, jeudi, c’était la livraison. Avant que les livreurs arrivent, Darty a appelé pour nous dire qu’ils avaient oublié de prendre les accessoires. On ne sait pas bien ce que sont ces accessoires puisqu’ils nous disent que la télécommande n’en fait pas partie, elle sera livrée avec la télé. Ouf. 

Les livreurs arrivent une demi-heure plus tard, la télé enveloppée dans du plastique bulle dans les bras du plus grand, le chef. Il la pose entre les livres et nous demande où est le câble pour la TNT. 

C’est là que j’ai compris que nous étions vieux. Et c’est terrible que l’on vienne vous le dire ainsi. 
Je lui ai répondu que nous n’avions pas de râteau sur le toit, qu’on avait un décodeur. Il a fait : « OK, passez-moi le câble HDMI. », ce qu’on a fait, mais le câble ne lui allait pas, il aurait fallu un câble en or ! On comprend que c’est du plaqué, que c’est indispensable pour le fonctionnement optimum de notre télé que soit dit en passant, il était prêt deux minutes plus tôt à brancher sur la TNT. Par bonheur ils ont des câbles en or dans le camion, il suffit de leur en acheter un, ce que l’on fait pour que tout fonctionne bien. Déjà qu’on venait de se prendre la remarque que l’on n’avait pas de prise dédiée pour la télé et qu’ils ne pourraient donc pas valider l’installation, on ne veut pas d’embrouille pour une histoire de câble. 

Une fois le câble en or branché, le chef me montre le fonctionnement de la télécommande qu’il résume à deux boutons, la mise en route et la navigation entre les chaines. Pour les vieux faut simplifier. Je me risque à lui parler bluetooth, il me regarde étonné et s’affole lorsque je lui explique qu’on a choisi cette marque de télé parce qu’ils sont les seuls à proposer deux canaux de bluetooth distincts. Je lui demande de me montrer, il ne sait pas, il redouble d’affolement et je le rassure en lui disant : je me débrouillerai, je trouverai. Je me dis que ça risque de me prendre du temps parce que dans les accessoires manquants, il se trouve qu’il y a le manuel d’utilisation de la télé. Ils nous expliquent que ce n’est pas leur faute, se concertent et je les entends dire : « C’est encore la blonde ! » Le chef nous confirme que c’est toujours la blonde qui leur fait des sales coups. Je me dis que je suis d’accord avec lui, mais pas que pour les téloches. Il me redemande si j’ai bien compris la mise en route et la navigation entre les chaines. Je lui confirme que j’ai compris, j’ai l’impression d’être à l’Ehpad. J’aimerais bien qu’il m’explique toute la partie internet de la télé puisque c’est tout de même ça qui est nouveau, mais il doit se dire que j’ignore toute cette évolution numérique, la fameuse fracture. D’ailleurs pour reposer la mienne, je me suis assise sur le bout du canapé et c’est ce que le chef interprète comme le signal que la vieille est fatiguée. Il dit à son assistant : « Ramasse le bulle, on y va ! »  Au moment où ils passent la porte d’entrée, Jean-Noël leur fait remarquer qu’ils oublient de prendre la vieille — pas moi —, l’ancienne télé qui est posée contre le mur. Juste avant de nous quitter, le chef nous demande de bien les noter lorsque nous recevrons le questionnaire de satisfaction, je lui réponds que je sais qu’il faut mettre soit 10 soit zéro pour que ça compte dans leur dossier — entre les deux ce n’est pas pris en compte —, mais qu’ils ne se fassent pas de souci, je mettrai un 10. Il part en me disant : « Merci » et il ajoute : « Quand même, vous vous y connaissez… »

#Darty