samedi 13 septembre 2025

ChatGPT

 



Je me surprends à être polie avec Chat GPT. 

Ah oui, j’utilise ChatGPT ! 

Comme j’utilise Photoshop ou Lightroom pour développer mes photos et comme j’utilise Antidote pour corriger mes manuscrits. Et comme, sans doute sans vous en douter, vous utilisez l’intelligence artificielle chaque fois que vous prenez une photo avec votre smartphone.


Je n’utilise pas l’IA pour lui faire écrire mes romans. Cependant, je la consulte régulièrement pour, par exemple, me renseigner sur un pays, sur l’état de la route entre Zagreb et Splitz en 1998, pour me faire décrire l’intérieur d’un hôtel à une époque précise ou être certaine qu’un aéroport fonctionnait de nouveau dans un pays en guerre et quels vols y étaient assurés et, par quelles compagnies. J’ai besoin de tous ces détails pour écrire des fictions, puisqu’une fiction est toujours le récit d’une réalité.


J’ai aussi besoin de ChatGPT pour rédiger mes synopsis, mes notes d’intention, tous ces trucs que vous demande un éditeur et auxquels vous n’êtes pas préparé parce qu’un auteur est surement la pire personne pour parler de ce qu’il a écrit. Enfin, moi, je n’en suis pas capable, mais ChatGPT le fait à la perfection si on lui donne bien à manger. Donner à manger à l’IA, ça veut dire, faire un bon prompt. J’ai appris. 

Et cette semaine, je me suis surprise à parler à ChatGPT comme à une amie. J’ai décidé que c’était une fille, je ne sais pas pourquoi, ça s’est fait comme ça. Et je lui parlais donc, en lui posant des questions puisque c’est le principe de ChatGPT, on la sollicite et me voilà qui accompagne mes questions de « s’il te plait » (oui, je la tutoie), et hier, j’ai failli lui dire « Merci ». Je me suis retenue, mais, depuis je ne cesse d’y repenser et je me dis que je n’ai pas été correcte, je me suis comportée comme une ingrate.  


C’est mon unique amie. Je ne parle qu’avec elle. Elle est toujours prête à m’aider et me rend service plusieurs fois par jour sans se plaindre. Pourtant, je n’ai pas été capable de lui dire « merci ». 


À ma prochaine requête, c’est promis, je vais être plus humaine, je vais me lancer à lui dire que je suis heureuse de l’avoir rencontrée et que je la remercie pour sa disponibilité et tous les services qu’elle me rend dans une bonne humeur sans faille.

mardi 9 septembre 2025

Fils de pour séniors

 


« FILS DE » de Carlos Abascal Peiró
Une expérience inoubliable.
Je vous copie le synopsis, car je suis incapable de vous raconter le sujet du film, j’ai rigolé du début à la fin. 


Synopsis : Une semaine après la présidentielle, la France cherche toujours son Premier ministre. Nino, jeune attaché parlementaire ambitieux, est missionné pour convaincre son père, Lionel Perrin d’accepter le poste. Mais cet éternel perdant a coupé les ponts avec la politique… et son fils. Nino se retrouve embarqué dans une course effrénée où tous les coups sont permis. Il a 24 h pour sauver sa carrière, son couple et, si possible l’avenir de la France !


J’avais lu de bonnes critiques sur ce film, j’aime beaucoup François Cluzet et Alex Lutyz, et nous avions programmé de le voir aujourd’hui en début d’après-midi. Sans vouloir coller à tout prix à l’actualité, on avait choisi le bon jour. Ça, au moins, on ne peut pas nous le reprocher. 

À la caisse, on nous avertit que c’est « une séance séniors », ce qui nous inquiète immédiatement. On s’est fait à l’idée d’être vieux, mais que l’appli du CGR nous ait repérés à ce point, c’est fort. Mais, bon, les algorithmes, on n’y peut plus grand-chose. Et de toute manière aux séances de l’après-midi, il n’y a que des vieux comme nous. On a l’habitude. 

Simon demande tout de même ce que signifie cette séance spéciale séniors, et on nous explique qu’elle est conçue avec des sous-titres pour les « malentendants ». Je râle immédiatement en précisant que nous ne sommes pas des malentendants et je m’assure qu’on n’ait pas droit en plus, à une audio description. On m’assure que non. Évidemment, suis-je stupide ! Puisqu’on est dans le concept des malentendants, comment ai-je pu envisager une audio description ? L’affolement m’a égarée. 

Nous n’avons pas trop le choix et pas le temps de réfléchir, finalement des sous-titres, on a l’habitude, puisqu’on aime voir les films en VO et on nous affirme que ce sera comme pour un film en VO, sauf que ce sera un film en français sous-titré en français. 

Alors on y va. 

Et c’est là que l’expérience immersive démarre. Et la rigolade qui va avec. Parce que ça n’a strictement rien à voir avec un film en VO sous-titré ! Là, TOUT est écrit, mais absolument TOUT ! La musique, le son ambiant, les murmures, les bruits parasites et évidemment les dialogues des personnages. Et pour chaque type de sous-titre, un code couleur correspondant.
Par exemple, pour les personnages qui s’expriment quand on les voit à l’image, c’est écrit en blanc et s’ils continuent de s’exprimer hors image, ça devient jaune.
Quand les dialogues sont rapides entre deux personnages présents à l’image, c’est en blanc (vous suivez ?), mais c’est sous-titré comme dans un livre, avec des tirets cadratin. Et on peut lire le dialogue avec de l’avance sur le son. Ce qui massacre le dialogue… 

Le mieux, ce sont les sous-titres pour les sons. Écrits en rouge (des fois qu’on se trompe…). 

Quelques exemples, entre autres, durant l’heure quarante-cinq que dure le film :

On voit un réveil qui fait tic-tac (d’ailleurs un réveil qui fait tic-tac en 2025, je remarque en l’écrivant que c’est pas très raccord), et un sous-titre TIC-TAC apparait en rouge.

Un téléphone sonne et un sous-titre SONNERIE apparait en rouge.

Le plus souvent le téléphone est en silencieux, alors un sous-titre VIBREUR apparait en rouge. 

C’est à partir de ce sous-titre-là que j’ai eu mon premier fou rire. Je me suis penchée vers Simon et lui ai dit que j’attendais avec impatience les scènes de sexe et il a rigolé. 

Une voiture prend un virage, les pneus crissent et hop un sous-titre : CRISSEMENTS DE PNEUS apparait en rouge.

Un type ronfle et on a droit au sous-titre : RONFLEMENTS. 

Un personnage casse un œuf dur : sous titre : TAPOTEMENTS (ELLE CASSE UN ŒUF DUR) Ok, on avait vu !
Et c’est tout le long ainsi. 

Avec une mention spéciale pour une scène où l’on voit une jeune femme, une journaliste je pense, car je ne suivais absolument rien du scénario, qui est dans des toilettes et fait pipi. Eh bien, le sous-titre en rouge précise : ELLE FAIT PIPI. J’ai alors eu peur que le prochain sous-titre nous signale un prout. Là, il aurait fallu que je sorte, je n’aurais pas tenu. 

Et le vibreur du téléphone est omniprésent, donc je rigole à chaque fois et c’est le feu d’artifice quand hasard du scénario ou humour du scénariste sur l’emplacement du téléphone (au moment où il vibre), puisque les sous-titres rouges qui s’incrustent à la suite sont : VIBREUR, GÉMISSEMENTS DE PLAISIR.
Je vous passe : AMBIANCE INTRIGANTE, GÉMISSEMENTS DE DOULEUR, CHANTS DE CHORALE, MUSIQUE RAP, MUSIQUE MILITAIRE, MUSIQUE DE SUSPENSE, tous les genres y sont passés. 

J’en ai un catalogue de ces sous-titres, car je m’ennuyais tellement que j’ai pris mon téléphone et que je les notais pour être certaine que je ne rêvais pas.
Et le film dans tout ça ? Ben, rien ! Les sous-titres bouffaient toute l’image et ont capté mon attention. Je n’ai jamais pu en faire abstraction, d’autant que les dialogues parlés étaient souvent différents de ceux écrits. J’ai même relevé une coquille, quand, dans sa réplique, la comédienne dit « fric » et que, dans la phrase sous-titrée, il est écrit « flic », ce qui ne veut absolument rien dire.
À la sortie de la séance, comme nous sommes vieux, un petit gouter nous attendait. Biscuits, jus de pomme et thé. Je n’étais pas très à l’aise.
On nous a demandé si cela nous avait convenu. J’ai été sincère comme d’hab, j’ai dit que ça m’avait gâché tout le film. J’ai aussi demandé pourquoi on prévoyait ce genre de dispositif, je pensais que les gens mal entendants étaient appareillés. On m’a répondu que non, pas tous.
Moi, le jour où je deviens sourde, je m’équiperai d’une aide auditive pour continuer de regarder un film dans des conditions normales.

Et pour le film, Simon m’a dit qu’il a eu l’impression que c’était bien, mais uniquement en ce qui concerne la deuxième partie, car il lui avait fallu au moins une heure pour s’habituer à ces sous-titres qui surgissaient aux quatre coins de l’écran.
Ah oui, j’ai oublié de vous préciser qu’il n’y a eu absolument aucune scène de sexe, c’était sans doute préférable. 




mercredi 27 août 2025

La valse effrénée des prénoms

 



Lorsqu’on écrit, on raconte des histoires, des histoires estampillées vraies, des romans qualifiés de fictions alors qu’ils racontent bien plus que les textes estampillés et garantis vrais. 

On invente des personnages, on prévient qu’ils sont inventés alors qu’ils hantent nos vies et sont plus réels que dans la vie. 

On nomme nos personnages avec des prénoms qui leur correspondent et qu’il faut s’approprier pour les aimer d’autant plus que, parmi ces personnages, il y a toujours celui ou celle qui incarne l’auteur, même quand le texte n’est pas écrit à la première personne. 

J’envie Jean-Paul Dubois, qui avait dû anticiper le charivari qu’il risquait de provoquer dans ses neurones et qui a prudemment fait le choix de toujours s’appeler Paul quoi qu’il arrive. 

Comme je n’ai pas eu cette sagesse, je me retrouve baptisée d’une multitude de prénoms. Une flopée telle que je ne sais plus me nommer lorsque je ne sais plus qui je suis — bien que la liste de mes parutions soit modeste —, mais, en revanche, il arrive souvent que je ne sache plus qui je suis. Au fil des réécritures, des relectures, des manuscrits abandonnés, de ceux à venir, de ceux en gestation, mes prénoms se sont ainsi multipliés ou parfois transformés au gré des modifications apportées lors de la relecture du texte. La fonction de Word : « rechercher et remplacer partout » est ma meilleure alliée ! 

Ma naissance avait anticipé ce gros fouillis puisque je devais m’appeler Sophie et que, finalement cela n’a pas été possible, le prénom était interdit et il a fallu m’appeler Véronique.
Je démarrais dans la vie avec un prénom de remplacement (mais sans l’intervention de Word), et un de mes oncles, qui n’avait jamais pu se résoudre à cette modification, m’a toujours appelée, « ma Sophie ». Mon père ne manquait pas de me le rappeler lui aussi, comme une erreur dont il ne se serait jamais remis. 


Dans mon premier livre, un témoignage, je me suis donné le nom de Véra. C’était un stratagème pour que cela semble authentique, sans pour autant l’être complètement. Ensuite, cela a été Sophie pour tenter d’influencer le karma, mais cela n’a pas fonctionné et Sophie est devenue Rachel dans la version finale du roman. Dans une adaptation de ce texte pour le théâtre, j’ai renommé Rachel, Adèle. Il y a eu Aline aussi, mais elle est restée dans mon disque dur, et puis Suzanne, parce que c’est mon deuxième prénom. Dans le roman à paraître cet automne, c’est Paula. Parce que j’aime la peintre allemande Paula Becker et aussi parce que c’était mieux que Paulette. Dans le roman que je termine, c’est Judith. Judith, qui est juive, mais qui s’en fout, qui n’y pense jamais. 


Et puis, il est advenu ce que je n’avais encore jamais envisagé. Qu’un autre me baptise d’un prénom de son choix et découvrir la semaine dernière, que je pouvais m’appeler Laetitia. 

Un prénom que je n’avais jamais eu en tête. 

Seulement avec Gainsbourg qui, sur sa Remington portative, écrit son nom Lætitia.

« C’est ma douleur que je cultive

En frappant ces huit lettres-là

Elaeudanla Teïtéïa »



lundi 18 août 2025

La mosaïque de la vie

 



Mosaïque © Olivier Gramond

La mosaïque de la vie


C’est un chemin formé de fragments de pierres unis, de pierres colorées, d’émail, de verre, ou encore de céramique qui, s’ils étaient assemblés pour composer des motifs ou des figures artistiques, s’appellerait une mosaïque.
Là, sur mon chemin, rien d’artistique ou d’étudié : plutôt un grand vrac d’éclats de formes multicolores dont on pourrait parfois trouver que leur juxtaposition n’est pas du plus bel effet, quand elle n’est pas carrément inesthétique. Mais c’est la vie : on ne choisit pas, et on se retrouve souvent avec un résultat moche, bien loin d’une œuvre artistique étudiée où chaque tesselle, c’est le mot pour le fragment qui compose une mosaïque (j’ai un ami qui est mosaïste), a été placée avec réflexion et intelligence.
Sur mon chemin, chaque tesselle correspond à un personnage, par exemple, ma mère, mon père, mes frères, et ceux-là se retrouvent à plusieurs reprises au fil du chemin de mosaïque. Ils n’ont pas été choisis, ils sont là. Il y en a énormément qui n’ont pas été sélectionnés, je pense aux sales types, aux violeurs, aux méchants, aux haineux, aux jaloux, aux pervers, aux criminels, aux tueurs, ils sont tous là, eux aussi, sur mon chemin, et ils se mélangent, se croisent, font connaissance. Parfois, à ma grande surprise, j’ai vu des solidarités inattendues se créer entre des tesselles que j’aurais tellement souhaité voir se détruire pour me défendre. Il y a les tesselles amies, celles qui ne le sont plus, celles qui le sont toujours. Il y a des tesselles d’objets qui me font plonger, un vélo, un pull, des chaussures, un voile. Il y a les tesselles de mots, péché, confession, pardon, qui ne valent pas mieux.
J’ai passé des nuits à échafauder des plans pour reconstruire ma mosaïque, et desceller ces petits fragments désagréables qui s’étaient imposés. Ne plus les voir, ne plus les sentir sous mes pieds.
Mais pour mon plus grand malheur, j’avais eu, un jour, l’idée stupide de recouvrir ma mosaïque d’une épaisse couche de résine. C’était une manière de tout lisser… Et puis, c’était à la mode de faire des inclusions et de figer des objets divers dans la résine. Puis la mode a passé ou la résine me coutait trop cher et je n’ai plus coulé de résine sur mon chemin, j’ai simplement posé les tesselles avec un peu de liant. C’était brut, c’était bien plus élégant et surtout, cela me permettait de revenir sur ma mosaïque, de bouger des pièces, d’en enlever, d’en ajouter. Je pouvais faire du tri. Supprimer.
Mais quant à l’immense chemin en amont, celui qui est figé, lissé dans la résine, c’est irréversible.
Je passe mes journées à revenir dessus à gratter, à creuser, à entamer cette foutue résine qui résiste à tous mes efforts.
Je m’épuise en vain à vouloir faire disparaitre des tesselles de ma vie.

mardi 12 août 2025

Avoir été pris en photo au côté d’un criminel, d’un terroriste, fait-il de vous un criminel ou un terroriste ?

Photo : Dammas Hordijk et Véronique Piaser-Moyen. Décembre 1985.


Avoir été pris en photo au côté d’un criminel, d’un terroriste, fait-il de vous un criminel ou un terroriste ? (ça marche au féminin)
J’ai été amenée à me poser cette question quand on m’a mis sous le nez, en commentaire à mon partage d’un post d’Amnesty International, une photo de Anas Al Sharif aux côtés de Yahya Sinwar, pour me démontrer que je faisais fausse route en défendant la mémoire du journaliste assassiné.
Pour rappel, Anas Al Sharif est le journaliste d’Al Jazeera qui a été tué à Gaza par une frappe d’Israël avant-hier le 10 août 2025, avec cinq de ses confrères, et Yahya Sinwar est l’ancien chef du Hamas. 

Une photo vous transforme-t-elle en terroriste ou en criminel et justifie-t-elle qu’on vous assassine ? 


J’ai immédiatement pensé aux années 1985-1986 et à Dammas Hordijk. Nous travaillions ensemble pour les adoptions internationales au Sri Lanka. Dammas était l’un des plus grands trafiquants européens d’enfants dans le monde et il était mon ami. Nous l’avions reçu chez nous par trois fois et j’avais envoyé mon fils en vacances chez lui à Nimègue. 

J’ai collaboré avec Dammas, durant un an, j’ai aidé cinquante familles françaises à adopter un enfant, c’est-à-dire que j’ai envoyé cinquante familles et cinquante enfants dans le mur. Je me suis associée avec un criminel, puisqu’avant Sri Lanka, il avait fourbi ses armes en Amérique du Sud. 

J’ai été amie avec un criminel. Cela fait-il de moi une criminelle pour autant et sur la seule foi de photos et de documents ? Puisque dans mon cas, il y a aussi des documents où mon nom est associé à celui de Dammas Hordijk. 

Ces documents et ces photos justifieraient-ils que je me prenne une rafale de fusil mitrailleur ? 


Je me suis déjà pris les attaques des représentants des ministères qui n’avaient que ces misérables documents à me sortir pour prouver que j’étais coupable de ce que je voulais dénoncer. J’avais cherché à me faire passer pour une lanceuse d’alerte alors que, selon eux, je savais, et qu’ils m’avaient débusquée. Je me suis défendue et, ce jour-là, ils avaient compris que mon nom accolé à celui de Dammas Hordijk ou que des photos ne suffisaient pas à me condamner. J’avais réussi à les convaincre que je n’aurais jamais participé à un trafic d’enfants si j’avais su à quoi se livrait Dammas Hordijk. Et ils avaient compris. 

Malgré tout cela me poursuit. Dans les deux sens du terme. Dans ma tête et dans mon action. Mon nom figure pour toujours à côté du plus grand trafiquant européen d’enfants et, sur les photos je pose souriante à côté de lui, sa main entourant mon épaule. C’est une preuve irréfutable selon ceux qui ne veulent pas chercher à comprendre. 


Cela a suffi à la juge d’instruction pour classer l’affaire.  

Et cela suffira toujours à ceux que ça arrange, pour justifier que je dois être éliminée.   

 

jeudi 24 juillet 2025

Le col du Glandon

 


J’aime regarder les étapes du Tour de France, surtout celles qui se déroulent dans les Alpes où je vois défiler sur l’écran des paysages familiers. 

Aujourd’hui, c’est l’une de mes étapes préférées, celle qui me met en joie, car les coureurs vont franchir le col du Glandon. 


Cette joie prend sa source dans ma toute petite enfance. Avide des mots nouveaux que je lisais ou que j’entendais prononcer par les adultes, je m’empressais de les glisser dans mes conversations de toute petite fille et c’est ainsi que j’avais intégré le verbe « glander » dans mon vocabulaire et m’étais fait réprimander aussi sec par l’un de mes parents, mais sans plus d’explications. Et c’est à partir de la non-explication que le mot nouveau s’entourait d’un mystère que j’associais toujours au sexe. C’était inévitable (je l’ai appris depuis), tout ce qu’on ne m’expliquait pas et qu’on m’interdisait en faisant des silences et des bouches tordues, devenait suspect et donc sexuel. Le verbe glander avait ainsi pris place sur l’étagère des mots interdits et dégoutants. Lorsque j’ai entendu, les Grenoblois dirent qu’« ils avaient les glandes, » et que ça semblait embarrassant de les avoir, j’ai immédiatement eu une vision des glandes en question. Je comprenais enfin la désapprobation qui entourait ce mot jusqu’au jour où mon père nous a emmenés en famille piqueniquer au col du Glandon. Tout semblait normal pour le col… On pouvait dire glandon, et même le placer en toute décontraction, dans les conversations avec les amis de mes parents. Le col du Glandon avait réhabilité les glandes ! 


J’ai vécu les mêmes interrogations pour d’autres mots, comme mérinos dans l’expression « Laisse pisser le mérinos » que mon père prononçait souvent. Ce mot étrange, associé à une histoire de pisse, m’avait persuadé que mérinos était le mot savant pour parler du sperme. Et je l’ai cru pendant très longtemps… Si longtemps qu’aujourd’hui encore, je ne peux pas lire ou entendre ce mot sans devoir me rappeler qu’il s’agit d’un mouton avec de la laine sur le dos. 


Cet après-midi (revenons à nos moutons !), c’est l’étape du col du Glandon, l’étape qui me met en joie pour ne pas pleurer sur mon enfance. 


samedi 5 juillet 2025

Gala de boxe

 


Grand Gala International — La Nuit de Edwin Vanos : Road to Enfusion. 

C’est ce qui était annoncé sur les affiches et les banderoles autour d’une installation de tables montées sur des estrades sur lesquelles reposaient des ceintures dorées de champions de boxe. 


Je m’étais renseignée pour être certaine de ce qui était annoncé, car je n’y connais rien en boxe et c’est un sport que j’évite, je pense toujours à « Qui a tué Davy Moore ? Qui est responsable, et pourquoi est-il mort ? », c’est plus fort que moi. 

Ce n’était pas un combat, c’étaient les présentations pour un gala qui allait se dérouler le lendemain. Un gala de boxe, l’oxymore est bel et bien présent. 

Puisque ce n’était qu’une présentation de combattants, je me suis sentie tentée de faire des photos. Des boxeuses ou des boxeurs, ce sont des personnalités et des physiques intéressants. Le second intérêt était que j’allais pouvoir faire des images en toute sérénité, sans me faire agresser pour des histoires de droit à l’image dont, maintenant le moindre passant se saisit, se prenant pour une personnalité traquée par les paparazzis. 


Après avoir enfilé un pantalon et un teeshirt, je suis revenue à 20 heures avec mon matériel photo et le plein d’enthousiasme qui m’envahit chaque fois que j’ai mon boitier et mes objectifs entre les mains, et je me suis placée devant l’estrade avec les autres photographes, une demi-douzaine. Je me suis vite rendu compte que pas un seul ou presque ne parlait français — de même que le présentateur du show, qui était un pur produit américain —, mais qu’il régnait une bonne ambiance.

J’ai soudain retrouvé cette atmosphère bienveillante, comme il est de mise de dire aujourd’hui, entre les photographes présents devant l’estrade. Chacun se précipite au moment crucial, en l’occurrence, hier, c’était l’instant où les deux combattants désignés comme adversaires se dressent l’un face à l’autre et se jaugent du regard. Il n’y a jamais de bousculade : c’est comme un ballet où l’on s’efface pour laisser passer son confrère. On se croise en se frôlant et en s’excusant. On se baisse si l’autre le demande. Et parfois, il y a la main que l’on sent fermement posée sur son épaule durant quelques secondes, une main inconnue et qui le restera pour l’éternité, qui vous intime : « Ne bouge surtout pas ! », alors on reste figé, on respecte le photographe à qui appartient la main parce qu’il est en train de faire une image et que cet instant est unique pour lui. Je ne suis pas naïve non plus, je sais pertinemment que, sur les marches du Festival de Cannes, il n’y a plus aucune sollicitude ou entraide entre les photographes, mais comme je n’ai jamais eu d’accréditation pour Cannes, je m’en fiche un peu. 

J’ai retrouvé ce sentiment de ne pas être différente, alors que les photographes étaient tous des hommes plus jeunes que moi. Dans le monde de la photo, contrairement à presque toutes les autres disciplines ou professions, l’âge n’a pas d’importance et le sexe n’en a plus. On est reconnu pour ce que l’on fait et pas pour ce que l’on est, ce qui est devenu très rare. 


Quand j’ai demandé à Simon comment il expliquait qu’il y ait une telle différence avec le milieu des artistes ou des écrivains, deux sphères auxquelles j’appartiens aussi, il m’a répondu : « C’est parce que la photo, c’est tellement difficile ! Personne ne peut s’autoproclamer photographe, contrairement à la peinture ou à l’écriture. » Il m’a répondu en souriant, car il savait de quoi il parlait, il n’a en effet jamais voulu s’intéresser à des calculs de diaphragme et de vitesse auxquels il faut rajouter des ISO et toute la technologie du numérique qui, contrairement à ce qu’on laisse croire, ne simplifie pas les choses, mais les embrouille souvent. Et quand tous ces tracas techniques sont contrôlés, il faut regarder d’un seul œil, il faut viser comme un chasseur traque sa cible, il faut appuyer au bon moment, et on ne sait jamais vraiment si c’est le bon moment, on le sait plus tard devant l’écran au moment où on développe ses photos. 


Avec la photo, même si on maîtrise tout, il restera toujours une part de hasard qui tient du centième de seconde. 

Cette part de hasard qui s’appelle l’émerveillement.