Le blog de Veronique Piaser-Moyen, une femme artiste qui se raconte au quotidien avec humour et émotions.
lundi 30 décembre 2024
Tandem patriarcal
samedi 28 décembre 2024
Mais vieillir, oh, oh vieillir -02
Je pensais avoir exorcisé la vieillesse en l’écrivant, mais une page n’aura pas suffi. Il faudrait sans doute en faire un roman tant la matière est riche, mais c’est trop triste, je préfère écrire des romans où les personnages ont encore la vie devant eux et l’amour en eux.
Le mois des vœux se profile et j’ai préparé ma carte comme je le fais chaque année depuis des décennies. J’y tiens à cette carte que je crée, je m’y accroche bien plus qu’aux vœux eux-mêmes en me persuadant que c’est uniquement parce que j’envoie une œuvre personnelle que les vœux se réaliseront.
Cette semaine, j’ai finalisé ma création et, sans rien vous en dévoiler, elle n’est pas franchement joyeuse, mais comment envoyer des petits chatons enturbannés qui dansent dans la poudreuse alors qu’il y a l’Ukraine, Mayotte, Gaza et des otages et que je n’ai même pas osé vous souhaiter Hannouka. Là, il est encore temps si j’en ai le courage.
Et toujours pour que mes vœux aient une chance de se réaliser, je m’efforce d’envoyer un maximum de mes cartes par la poste, dans une vraie enveloppe avec un vrai timbre.
C’est là que l’histoire de la vieillesse me retombe dessus.
Je n’ai plus de timbres et je vais donc à la poste me ravitailler en vignettes. Je pense que c’est au moment de cette prise de décision que j’ai commis une erreur, j’aurais pu aller au guichet acheter un carnet de vrais timbres qui auraient été d’ailleurs plus élégants sur l’enveloppe, mais je me dirige vers le distributeur automatique et je commande seize vignettes d’affranchissement.
Si je me souviens si précisément du nombre des vignettes, c’est que l’imprimante de l’automate met environ cinq secondes à imprimer chaque vignette. Et il vous fait le décompte avec une petite roue qui tourne pour chaque vignette. Inutile de préciser qu’au bout de la deuxième vignette, j’ai regretté d’en avoir commandé seize !
Plantée devant la borne, j’attends patiemment et, quand arrive la seizième, j’ai le sentiment d’avoir gagné au loto. Il me reste à demander une facture, l’écran me propose de passer en mode professionnel, tout semble soudain s’accélérer dans le bon sens jusqu’au moment où je me retrouve à devoir taper tous les chiffres de ma carte Pro que, par chance, j’ai pensé à glisser dans ma poche en partant de chez moi. Taper ou écrire des chiffres représente toujours une tâche ardue pour mon cerveau, qui n’enregistre aucun chiffre dans l’ordre, même en les recopiant. En me concentrant, je parviens à taper les douze chiffres de ma carte Pro et l’écran m’annonce que tout est OK, ma facture est envoyée dans ma boite mail.
J’avais atteint une satisfaction que certains qualifieraient de nirvana, quand je sens surgir derrière moi un bras qui me bouscule et une main qui se projette et appuie sur l’écran qui se réinitialise. Stupéfaite, je découvre une employée de la poste collée contre moi et à qui je demande ce qu’elle vient de faire. Elle bafouille un peu et se retourne vers la grande salle en me désignant un employé chargé de l’accueil : « C’est lui ! » Et face à mon ahurissement, elle précise : « C’est lui qui vous a signalée ! », et elle repart sans demander son reste quand je lui réponds que je suis tout simplement en train de passer commande de vignettes et de demander une facture.
J’ai eu mes vignettes d’affranchissement, mais pas la facture. En intervenant sur l’écran, l’employée avait annulé l’opération en cours.
De retour chez moi, j’ai filé à la salle de bain, là où Simon m’a installé trois miroirs, un de face et deux de côté. Je me suis bien regardée, de face, de dos, de profil pour me remettre en situation ou plutôt dans la situation de l’employé qui avait signalé la vieille cliente en difficulté devant le distributeur.
C’étaient peut-être mes cheveux ramassés à la va-vite dans une pince, c’était peut-être cette vieille parka qui me donne des allures de réfugiée kosovare, c’était peut-être mon genou qui me fait encore légèrement boiter, c’était peut-être tout. Ce tout qui donne le signal de la vieillesse et des clichés qui y sont associés.
Durant leur formation d’employé des postes, après avoir écrit sur leur front « La poste », on dit aux stagiaires : « Dès qu’il y a une vieille ou un vieux qui se présente à un distributeur, ne le quittez pas des yeux et jetez-vous sur lui au moindre signe de défaillance. »
samedi 21 décembre 2024
Mais vieillir, oh, oh vieillir
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Autoportrait |
Je suis devenue vieille lorsque je suis venue vivre à Montauban. Ça fait deux ans et demi.
C’est arrivé d’un coup.
Jusque-là, je passais les années en m’amusant, en glissant doucement vers cette vieillesse inéluctable, mais que j’imaginais loin de moi.
Mais, le passage à Montauban a agi comme un révélateur, j’y rencontrais des inconnus qui me découvraient et qui me disaient que j’étais vieille. Ils ne me l’ont pas dit directement, quoiqu’on m’ait déjà fait le coup, il y a plusieurs années en arrière, dans un salon où un couple avait acheté un de mes tableaux et avait demandé à me rencontrer, ce que j’avais bien entendu accepté. Le tableau était une grande peinture et j’avais prévu de leur offrir un de mes livres d’artiste. À l’heure du rendez-vous, je m’étais avancée vers eux, un couple d’une soixantaine d’années et le monsieur m’avait accueillie par un : « Ah ! Mon Dieu, on ne vous imaginait pas aussi vieille ! » Je ne m’étais même pas sentie obligée d’être polie malgré les dénégations de sa femme qui en avaient fait des caisses pour rattraper l’irrattrapable en m’expliquant que ma peinture était si dynamique qu’ils n’avaient pu imaginer que ce soit une artiste de mon âge qui en était l’auteur… Je les avais laissés en plan en gardant mon cadeau sous le bras.
Depuis cet avertissement qui remonte à au moins quinze ans, j’avais oublié, j’avais baissé la garde. Je n’entendais que Simon, celui qui m’appelle sa petite fille vieille et qui me dit que je suis une petite merdeuse.
En arrivant à Montauban, j’ai compris la dureté de ne pas rester vivre sur les lieux où l’on a été jeune, là où j’étais une jeune mère de famille, une jeune photographe, une jeune demandeuse d’emploi, une jeune grand-mère, une jeune militante, une jeune patiente, une jeune citoyenne, là où les autres me regardaient avec en arrière-plan l’image d’une femme encore jeune.
Désormais, je suis vieille. Direct.
Et ce n’est pas tant que d’être vieille, je savais que c’était inéluctable, mais que ce soit des étrangers qui viennent me le dire, c’est insupportable.
Lorsque je tends ma carte de mutuelle dématérialisée sur l’écran de mon iPhone et que l’on me dit doucereusement : « On va vous faire une impression papier, ce sera plus pratique pour vous », lorsque je paie avec mon téléphone et qu’on me dit : « Vous êtes moderne pour votre âge », lorsque le vendeur de fruits et légumes m’apostrophe : « Petite mamie », je réplique que je ne me sens pas concernée.
Je sais que mes cheveux ont blanchi, que mon corps a changé, que mes mains disent mon âge, mais c’est mon affaire devant le miroir.
J’ai compris toute seule que j’avais vieilli. C’était quand j’ai trouvé que les autres étaient vieux et que je découvrais qu’ils étaient plus jeunes que moi. C’était quand un homme se retournait sur moi et que je le trouvais vieux et qu’un jour, il n’y a plus eu que les vieux pour se retourner. C’était quand j’ai réalisé que je ne pouvais plus dire que j’étais tombée amoureuse parce que ça horrifiait mon interlocuteur. C’était quand j’ai gardé mes chagrins d’amour pour moi parce que les vieux n’ont plus d’histoire d’amour. La société l’a décidé. L’amour des vieux et entre vieux, c’est repoussant.
C’est tout ça vieillir.
Certains jours, pour me faire rire, je repense aux acquéreurs de ma peinture. Ceux qui m’avaient trouvée vieille. Ils ont dû accrocher le tableau sur un de leurs murs et que disent-ils à leurs amis si ces derniers le remarquent ? C’est une vieille artiste qui peint comme une jeunette… On s’est fait avoir, on a acheté un tableau sans rencontrer l’artiste au préalable et on a eu la déception de notre vie, c’était une vieille dame…
Je ne sais pas et, en plus, je ne me souviens même plus du tableau que je leur avais vendu.
Sauf que c’était un truc de jeune.
lundi 9 décembre 2024
Boucher de Joyce Carol Oates
Joyce Carol Oates, Boucher, traduit de l’anglais (États-Unis) par Claude Seban. Philippe Rey, 480 pp., 25 €
C’est un grand roman effrayant.
Le boucher du roman c’est le Dr Silas Weir, un personnage créé à partir de trois scientifiques américains ayant réellement existé.
Le roman se déroule au milieu du 19e siècle et dépeint dans le détail les expérimentations du Dr Weir sur des femmes internées dans un asile d’aliénées.
« Mon intention était de suivre un plan méthodique : retirer chirurgicalement les organes féminins un par un — ovaires, utérus, clitoris, vulve et autres parties résiduelles du vagin — chez une série de sujets de mon laboratoire ; afin de déterminer lequel, le cas échéant, pouvait être responsable de l’hystérie ». Ainsi parle Silas Weir, qui défend la thèse que, selon lui, si les femmes souffrent de troubles mentaux, c’est parce qu’elles ont un utérus, des organes génitaux (qui le dégoutent) et que l’ablation de ces organes est la solution pour les soulager.
Toutes les femmes sont concernées, les riches comme les indigentes, mais il mène ses expériences et s’exerce sur des femmes sans défense, celles qu’il peut opérer sans anesthésie, sans leur consentement. Peu importe, leur pathologie, il peut décider de leur trancher la langue simplement pour en observer le résultat. Quand il estime qu’il a obtenu des résultats probants, il propose ses services de bon docteur gyno-psychiatre aux maris de la bourgeoisie qui lui livrent leurs épouses et qui lui payent des honoraires.
À toutes ces expérimentations les plus abjectes sur le corps des femmes, vient, presque anecdotiquement, se mêler en toile de fond, le récit des bébés nés de viol, déclarés mort-nés pour être proposés à l’adoption à de riches couples contre un don fait à l’établissement… Le sujet universel dont on ne se débarrasse jamais parce qu’il est une réalité.
Le Dr Weir est d’autant plus diabolique qu’il n’est animé que par le désir de réparer le corps des femmes déchiré par des maternités précoces qui ont provoqué des fistules uro-génitales. Son dégout et sa fascination, doublés de son incompétence, le poussent au pire ou au meilleur.
À la lecture de ce roman, je n’ai pu m’empêcher de penser à toutes les victimes des implants vaginaux à travers le monde. Le parallèle me semble évident, au point que je me demande si Joyce Carol Oates n’a pas mené aussi une recherche sur ce scandale sanitaire actuel.
Avec « Boucher », Joyce Carol Oates nous plonge dans l’horreur de la violence patriarcale dans le milieu médical qui se donne le droit d’utiliser le corps des femmes réduites au silence.
C’est toujours d’actualité et c’est la force de son roman.