Nous regardions une minisérie sur Arte —, un début engageant, deux premiers épisodes qui accrochaient, mais les deux suivants très décevants —, quand soudain, il y a eu une étincelle bleue, un bruit de pétard mouillé (un vrai pétard de 14 juillet, pas l’autre) et l’écran est devenu noir. On n’a pas cherché à comprendre si elle était réparable, elle avait quinze ans et on a admis qu’elle avait fait son temps, la vieille était morte.
Le lendemain samedi, Simon est parti chez Darty. Je ne l’ai pas accompagné, j’étais engagée sur une expo de peinture.
On savait ce qu’on voulait, on avait anticipé la mort de la vieille depuis déjà un an, il suffisait de trouver quelle enseigne avait en stock le modèle qu’on avait repéré et surtout dans la bonne dimension. En effet, notre télé est placée sur une étagère de la bibliothèque, encastrée entre des rangés de livre et je refuse de sacrifier des livres pour quelques centimètres d’écran supplémentaire. À l’ère des télés géantes, vouloir acheter une 42 pouces est ridicule, c’est acheter une télé lilliputienne, ce que le vendeur s’est bien chargé de faire comprendre à Simon. Il n’y avait plus qu’un modèle 42 pouces en stock, celui en expo et quand Simon a demandé s’il était vraiment neuf, le vendeur lui a répondu : « Il n’a jamais servi, ces petites télés, on ne les allume jamais ! » Et dans la foulée, il a aussi pu lui dire que, pour cette raison, il ne lui consentirait aucune remise. Mais ça, c’était parce que Simon avait décliné toutes ses offres d’assurance, d’abonnements, etc. Il a pris uniquement le forfait « livraison, installation et reprise de l’ancien matériel. »
Hier, jeudi, c’était la livraison. Avant que les livreurs arrivent, Darty nous a appelés pour nous dire que les livreurs avaient oublié de prendre les accessoires… On ne sait pas bien ce que sont ces accessoires puisqu’ils nous assurent que la télécommande n’en fait pas partie, elle sera livrée avec la télé. Ouf.
Les livreurs arrivent une demi-heure plus tard, la télé sommairement enveloppée de plastique-bulle dans les bras du plus grand, le chef. Il la pose entre les livres et nous demande : « Il est où est le câble pour la TNT ? »
Il avait suffi d’une question pour que je comprenne que nous étions vieux. Et c’est terrible que l’on vienne vous le dire ainsi.
Je lui ai répondu que nous n’avions pas de râteau sur le toit, qu’on avait un décodeur.
Il a fait : « OK, passez-moi le câble HDMI. », ce qu’on a fait, mais le câble ne lui allait pas, il aurait fallu un câble en or ! On comprend que c’est du plaqué et que c’est indispensable pour le fonctionnement optimum de notre télé que soit dit en passant, il était prêt deux minutes plus tôt à brancher sur la TNT. Par bonheur, ils ont des câbles en or dans le camion, il suffit de leur en acheter un, ce que l’on fait sans rechigner pour que tout fonctionne bien.
Déjà qu’on venait de se prendre la remarque que l’on n’avait pas de prise dédiée pour la télé et qu’ils ne pourront donc pas valider l’installation sur une multiprise, on ne veut pas d’embrouille pour une histoire de câble.
Une fois le câble en or branché, le chef me montre le fonctionnement de la télécommande qu’il résume à deux boutons, la mise en route et la navigation entre les chaînes.
Pour les vieux, faut simplifier.
Je me risque à lui parler Bluetooth, il me regarde étonné et s’affole lorsque je lui explique qu’on a choisi cette marque de télé parce qu’ils sont les seuls à proposer deux canaux de Bluetooth distincts. Je lui demande de me montrer, il ne sait pas, il redouble d’affolement et je le rassure : « Je me débrouillerai, je trouverai. »
Je me dis que ça risque de me prendre du temps pour trouver parce qu’il se trouve, que, dans les accessoires manquants, il y a le manuel d’utilisation de la télé. Ils nous expliquent que ce n’est pas leur faute. Ils se concertent, et je les entends dire : « C’est encore la blonde ! » Le chef nous confirme que c’est toujours la blonde qui leur fait les sales coups. Je lui dis que je suis d’accord, mais pas que pour les téloches.
Il me redemande si j’ai bien compris la mise en route et la navigation entre les chaines. Je lui confirme que j’ai compris, j’ai l’impression d’être à l’EHPAD. J’aimerais bien qu’il m’explique toute la partie connectée de la télé, puisque c’est tout de même ce qui est nouveau, mais il est persuadé que j’ignore toute cette évolution numérique, la fameuse fracture. D’ailleurs, pour reposer la mienne, celle de mon ménisque, je me suis assise sur le bout du canapé et c’est ce que le chef interprète comme le signal que la vieille est fatiguée. Il dit à son assistant : « Ramasse le bulle, on y va ! »
Au moment où ils passent la porte d’entrée, Simon leur fait remarquer qu’ils oublient de prendre la vieille — pas moi —, l’ancienne télé qui est posée contre le mur.
Juste avant de nous quitter, le chef nous supplie de bien les noter lorsque nous recevrons le questionnaire de satisfaction, je lui réponds que je sais qu’il faut mettre soit 10, soit zéro pour que ça compte dans leur dossier — entre les deux, ce n’est pas pris en compte —, mais qu’ils ne se fassent pas de souci, je leur mettrai un 10. Il part en me disant : « Merci » et il ajoute : « Quand même, vous vous y connaissez…»
#Darty