mercredi 1 octobre 2014

L'Algérie et ces pays où nous n'irons plus.

1988 Le Mzab.

Nous imaginions que nos voyages nous porteraient toujours plus loin, que nous reviendrions sur ces lieux qui nous avaient fascinés pour les explorer encore un peu, pour les voir encore, pour les revoir sans leur dire adieu.
  Mais aujourd’hui, tout a basculé dans le mauvais sens et nous savons que nous ne retournerons sans doute jamais en Algérie. Et sans doute jamais en Tunisie, au Maroc, en Égypte, au Kurdistan, en Indonésie…
  Ce ne serait pas si grave que cela d’abandonner des projets de voyage (ce sont juste des rêves d’enfants gâtés qui seront un peu moins gâtés) et cela ne mériterait sûrement pas de venir se plaindre si ce n’était pas une vraie douleur.
  
  Depuis l’année dernière, chaque après-midi, Simon scanne nos diapos de voyage de 1982 à l’époque où je suis passée au numérique. Des cartons de dias qui dormaient dans le garage et qu’il a décidé de trier, puis de numériser pour redonner une vie à nos souvenirs familiaux.
  Quand je rentre dans son bureau et que mon regard se pose sur l’écran de son Mac, je me retrouve dans le Sahara, dans le Hoggar, en Arménie, au Kurdistan à frôler les frontières de l’Iran et de l’Irak, en Indonésie… Les images se superposent, se succèdent au fil des après-midi et je réalise que ce temps est terminé, que ces souvenirs vont devenir des « collectors ».
  
  Depuis la semaine dernière, je repense plus intensément à l’Algérie.
  Rien ne nous destinait à aimer l’Algérie et le Sahara.
  Quand je dis « rien ? », c’est que nous n’avons ni Simon ni moi de racines dans ce pays et que nos motivations pour le découvrir n’étaient qu’un appel du désert.
  Oui, Charles de Foucauld nous a déjà fait le coup, mais, chez nous, rien de mystique, rien de religieux ni de fanatique, uniquement une fascination très laïque pour cet univers désertique.
  Nous ne sommes religieux ni l’un ni l’autre, mais l’Islam n’était pas « une religion épouvantail » à nos yeux, au moins au début de nos voyages en 1982. Je crois que, bien au contraire, nous en avions une représentation empreinte de tolérance et de paix. Je sais que cela peut sembler bizarre de lire cela, mais c’est réellement de cette manière que nous vivions cette religion et elle ne représentait en rien la moindre menace pour nous.
  Et c’est dans cet état d’esprit, c’est-à-dire en toute liberté et en confiance que, pendant presque quinze années, nous avons voyagé en Algérie et dans les autres pays du Maghreb.
  Nous connaissions les dangers inhérents à nos périples.
  Perdre la piste était le pire des risques et nous avons mangé et fait manger à nos enfants des tonnes de poussière de sable à coller des convois de camions pour ne pas perdre le ruban de piste parfois invisible.
  Nous avons désensablé notre véhicule sous des soleils de plomb.
  Nous avons mangé de pain trempé dans l’huile des conserves de sardines.
  Nous avons planté, ivres de fatigue, des tentes qui, à l’époque, n’étaient pas labellisées Quechua.
  Nous avons dormi chez des habitants que nous ne connaissions pas.
  Nous avons vécu un bonheur brut et simple.
  Nous avons eu le sentiment d’offrir ces traversées à nos enfants.
  Nous n’avons jamais imaginé courir le moindre danger terroriste.
  
  Et puis les années sont passées, les choses ont changé.
  Elles n’ont pas changé dans le bon sens.
  Au fil des guerres intérieures entre clans, des attentats, nous comprenions qu’il allait devenir de plus en plus difficile de repartir dans les sables du Sahara.
  
  Fin 2002, nous avions demandé à Titania ce qui lui ferait plaisir pour fêter ses 18 ans, puisqu’elle a eu l’idée amusante de naître un 1er janvier.
  Elle n’a pas réfléchi longtemps et nous a dit :
   « J’aimerais retourner dans le Sahara, car j’étais petite quand on y allait et je n’en ai pas de souvenirs précis. »
  Son souhait nous comblait et nous embarrassait à la fois, car déjà, en 2002, ce n’était plus un voyage facile, même si cela ne l’avait jamais été.
  Elle voulait revoir le désert ? Alors, nous allions lui offrir le vrai désert, la traversée mythique que nous n’avions jamais faite ; la transversale Djanet-Tamanrasset. 
  Nous avons acheté un voyage organisé en convoi de plusieurs véhicules au départ de Djanet pour rejoindre Tam en huit jours.
  C’était un compromis qui nous semblait sécurisant. Il n’était plus question de partir en solo. 
  
  Une belle transversale comme nous l’espérions, comme nous l’attendions.
  Un anniversaire au pied des dunes.
  Mais aussi des moments intrigants, comme ces bolides qui passaient en roulant à tombeau ouvert en frôlant notre convoi. Quand nous demandions à nos guides et chauffeurs qui étaient ces cinglés que nous avions à peine le temps de distinguer, ils nous répondaient en évoquant de la contrebande.
  Ils étaient mal à l’aise et on comprenait qu’il était inutile d’insister et de vouloir comprendre.
  
  Dans les derniers jours de notre traversée, juste avant d’arriver dans le massif du Hoggar, nous avions croisé des touristes allemands qui voyageaient dans un camping-car incroyablement équipé. J’avais eu l’impression d’une véritable forteresse roulante, très haute de caisse, carrosserie en aluminium comme un food truck américain. Le truc très moche, mais très efficace et très cher.
  J’avais discuté avec eux, un couple d’une cinquantaine d’années. Ils voyageaient sur plusieurs mois et traversaient le Sahara en solo.
  Je ne me souviens pas les avoir enviés malgré le luxe un peu ostentatoire de leur véhicule et le confort dont ils semblaient disposer à l’intérieur. J’aimais bien l’idée que nous avions trimballé nos mômes dans le Sahara à bord d’une 4L, puis d’un modeste Toyota, mais je ne leur ai pas dit.
  Nous sommes remontés dans notre 4 X 4 avec notre chauffeur et les avons laissés repartir dans leur bunker à roulettes en leur souhaitant une bonne continuation comme on dit en français, mais je leur ai dit en anglais : « Take care » et je trouve que cela a nettement plus de sens et cela en prendra réellement dans les semaines qui ont suivi à la lecture de la presse.
  
  « (…) Entre le 22 février et le 23 mars 2003, six groupes de touristes sont enlevés avec leurs véhicules dans le désert, près d’Illizi : trente-deux personnes au total, dont seize Allemands, dix Autrichiens, quatre Suisses, un Néerlandais et
un Suédois. Ils vont vivre une odyssée éprouvante, qui coûtera la vie à une femme, victime d’une insolation. 
  Pendant des semaines, les médias, les responsables politiques et les familles des otages spéculent sur l’identité des ravisseurs. Officiellement, ni leur identité ni leurs revendications ne sont connues.
  Les otages seront libérés en deux fois, le 13 mai et le 18 août 2003 (….)
  http://www.algeria-watch.org/fr/aw/gspc_etrange_histoire_partie_2.htm
  
  « (…) Dix-sept otages (10 Autrichiens, 6 Allemands et un Suédois) avaient été libérés le 13 mai. Fin juin, une otage allemande est morte des suites d’une insolation.
  Les 32 otages européens faisaient partie de plusieurs groupes de touristes. Ils voyageaient par leurs propres moyens et sans guide dans le Sahara algérien, zone incontrôlable qui couvre plus de 2 millions de km2.
  La série d’enlèvements a été imputée à l’Algérien Amari Saïfi, dit Abderrezak le para, qui aurait sa base en Algérie et serait le numéro 2 du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) d’Hassan Hattab. (…)
  www.ladepeche.fr/article/2003/08/18/132508-les-otages-europeens-du-sahara-seraient-liberes.html
  
  Le couple des Allemands faisait partie de ces otages.

1988 Le Hoggar

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