mercredi 15 octobre 2014

Mon amoureux

La première photo à la MJC de St Egrève.
J'ai 15 ans en septembre, je rentre en seconde au lycée Stendhal à Grenoble et je tombe amoureuse.
Les garçons de mon âge ne m'intéressent pas, j'en ai testés deux ou trois et j'ai laissé tomber. Je les trouve jeunes et insipides.
Je suis amoureuse de mon amoureux.
Il est beaucoup plus âgé que moi car entre 15 et 25 il y a 10. Dix années qui représentent déjà tout un trajet de vie.
Sur le chemin du lycée, il me guette au coin de la rue de la République et attrape ma main qu'il glisse dans la sienne et m'emporte pour  un après midi d'école buissonnière.
Il m'offre des petits bouquets de violettes que je glisse dans mon sac et que je pose le soir sur mon bureau dans ma chambre. 
Il m'appelle  petite fille, petite fée en me citant René Char et des histoires de fougères.
Il me parle de Camus et de Céline et m'emmène au cinéma voir des films politiques qui me terrorisent.
Il achète une garde robe de princesse pour sa petite fée.
C'est l'amour fou, c'est mon amoureux.
La journée, je suis la petite fée de mon amoureux et le soir je suis la fille ainée d'une famille bourgeoise catholique.
J'arrive assez bien à gérer cette sorte de double vie. La double vie de Véronique ...
On va dire que tant que mes parents ne se doutent de rien ou de pas grand chose, je vis heureuse sans arrière pensée, sans crainte.

Et puis forcément, il y a un jour où les parents découvrent que leur enfant vit pour un autre. Je ne vivais pas avec mon amoureux mais je vivais pour lui.
Je crois que pour des parents surtout si c'est la première fois, c'est un moment important et bouleversant dans leur vie de parents de comprendre et d'accepter que leur enfant aime une autre personne.
Pour mes parents ça été un grand choc. Ils ont été vraiment très bouleversés.
Je ne me souviens même pas comment ils ont été mis au courant de ma relation avec mon amoureux, peut être que c'est moi tout simplement qui l'ai amené à la maison ? Peut être que quelqu'un leur a soufflé que leur fille était au bras d'un garçon dans les rues de Grenoble ?
Ce que je sais c'est qu'un jour ils ont su. 

Et ils m'ont dit qu'ils n'aimaient pas du tout que j'ai un amoureux.
Ce que je sais aussi, c'est que ce n'était pas vraiment le fait que je sois amoureuse qu'ils n'aimaient pas, ce qu'ils n'aimaient pas c'était mon amoureux.
Je le sais parce qu'ils me l'ont dit. C'est surtout ma mère qui me l'a dit car ma mère était le porte parole parental.
Un jour elle m'a dit que cet homme n'était pas du tout le type d'homme auquel ils avaient rêvé de me marier. Pour moi, ils avaient plutôt envisagé un fils de médecin, de notaire ou d'avocat. Pour le fils de notaire, ils ont d'ailleurs immédiatement fait une tentative assez grossière que j'ai démontée en quelques semaines.
Et elle me sermonnait en me disant que je leur faisais énormément de peine, oui une peine immense et quasiment insurmontable car mon amoureux n'était pas catholique.
C'était le pire que je pouvais leur faire.
C'est à ce moment du sermon du porte parole parental que je l'entends me dire : -Heureusement qu'en plus il n'est pas noir !
Je reprends mes esprits et visualise mon amoureux : Il n'est effectivement pas noir.
Muriel Robin vendait encore des chaussures dans le magasin familial de Saint Etienne et n'avait encore jamais joué le sketch du noir sur une scène. Ma mère la précédait de 18 ans et avait nettement moins d'humour.

Donc il n'est pas noir mon amoureux, mais il présente quand même outre sa laïcité un énorme défaut : c'est un prolo.
Le prolo catho, il aurait peut être eu sa chance.
Le catho noir, déjà un peu handicapé.
Le prolo noir et laïque, je n'ose imaginer.
Là, je leur proposais un prolo laïque et fils d'immigré (mais blanc).

Ce que je sais aussi, c'est que ni ma mère ni mon père, quand il osait prendre la parole, n'ont jamais prononcé ce mot : prolo ou prolétaire. Tout simplement parce que nous n'employions pas ce mot dans ma famille. C'est un mot que je n'avais quasiment jamais entendu prononcer sauf par les maoïstes du lycée.
Je ne sais même pas comment on en parlait des prolétaires, on disait  des "gens pas très distingués ... de gens un peu peuples ... ".
Ce n'était pas très important car on ne parlait jamais d'eux.
ils n'existaient pas.

C'est sûr qu'à côté du fils de notaire catho, il ne pesait pas lourd mon amoureux prolétaire.
Et ils me l'ont dit qu'il ne pesait rien et que j'allais l'oublier vite fait bien fait.
En écrivant ces mots je me dis que mes parents auraient dû naitre Indiens. Un mariage arrangé avec une famille de même caste, c'était leur idéal, avec en bonus la fille qui part s'installer dans la belle famille. Le seul bémol aurait évidemment été la dot ...
Mais comme ils ne sont pas Indiens, ils se sont réunis avec leurs amis et ils ont prié pour moi, pour mon salut comme ils disent.
Ils ont cherché auprès de leurs amis des idées pour m'éloigner de mon amoureux.
Je ne sais pas pourquoi ils sont venus me raconter une de ces idées qui consistait à m'envoyer un an en Angleterre. L'ami bien intentionné leur avait affirmé que j'oublierai ainsi mon amoureux.
Le projet n'a jamais vu le jour et je ne sais pas pourquoi mais j'imagine que cela avait un coût financier et dès qu'on parlait dépense d'argent dans  ma famille, ça sentait le cramé.
Et puis l'Angleterre en 1971 n'était peut être pas la meilleure idée à soumettre à mes parents pour me mettre à l'abri. Mary Quant, les Beatles et les Stones, ce n'était pas très catholique. 
Je suis donc restée à Grenoble dans ma famille et surveillée de très près.
Ce n'était même plus ma personne qu'on surveillait, c'était seulement ma vertu. C'était même devenu leur idée fixe, ils ne me parlaient plus que de ça.
J'en étais arrivée à les trouver obscènes et obsédés.
Je me suis affolée en sentant que plus rien ne comptait pour eux que leur réputation vis à vis de leurs amis, leur zâââââmis ... J'étais observée, surveillée, traquée.

J'ai dit à mon amoureux qu'il fallait se marier.
J'ai dit à mes parents que nous allions nous marier.
Ils n'ont pas hésité longtemps, ma proposition les soulageait et allait leur permettre de tirer un trait sur cette histoire. C'est sur ce genre de réaction que là encore je les trouve très Indiens. 

Les préparatifs ont commencé et comme ça les démangeait de conclure l'histoire, on a vite programmé le mariage pour le 20 janvier.
Et je les ai laissés tout décider, tout choisir. Le lieu, la bouffe, les invités, mon témoin, ma coiffure, mon horrible robe. Tout leur allait du moment que ça ne coutait pas trop cher.
La seule chose qui m'appartenait et que j'avais choisi, c'était mon amoureux.
Laissez le moi ... laissez le moi mon amoureux.

Trois semaines avant la date du mariage, je m'aperçois que je suis enceinte.
Je n'en ai pas été triste, il me semblait au contraire que c'était plus sécurisant et que comme ça ils ne pourraient vraiment plus reculer. C'était presque une joie après tout ce qui s'était passé.
Je me suis donc débrouillée pour que ma mère le sache immédiatement.
Sa réaction a été à la mesure de son humiliation vis à vis des ses zââââââmis ...
Je savais que je ne comptais plus, qu'elle n'avait plus que sa réputation à sauver.
Au milieu de mes sanglots, j'ai tout de même entendu cette phrase incroyable : -Avant de te marier devant Dieu il faudra aller confesser ton péché.
Ils m'ont déposée devant l'église Saint Louis à Grenoble.
Je suis entrée par la grande porte et ressortie par une autre sur le côté et suis allée faire un tour aux Nouvelles Galeries de la place Grenette.
Le 20 janvier 1973 j'ai épousé mon amoureux.
J'avais juste 17 ans, j'étais mineure alors c'est mon père qui à ma place, a dit oui à l'officier d'état civil qui célébrait notre mariage.

Souvent, je dis à mon amoureux qu'il faudrait qu'on se marie enfin un jour car moi, je n'ai jamais dit oui.

1 commentaire:

  1. Magnifique témoignage. Oh oui, faites-le, remariez-vous et profitez de votre oui à vous !
    eMmA MessanA www.emmacollages.com

    RépondreSupprimer