dimanche 29 juin 2025

Une journée en rattrape une autre

 



Une journée en rattrape une autre.
C’est toujours ce qu’on se dit ou que les autres vous disent, mais ça ne fonctionne jamais. Cela fait belle lurette que je ne rattrape plus rien, que je laisse couler et dégouliner jusqu’à la nausée. 

Nous avions vécu, hier, une soirée qui était à l’image de ce que l’on peut vivre de plus triste au théâtre, des comédiens qui n’incarnaient pas leur personnage, et pas un seul qu’on aurait pu trouver un peu meilleur que ses comparses. Ils étaient pourtant nombreux sur le plateau, à grimacer et à hurler un texte que souvent ils n’articulaient pas. J’en étais gênée pour eux et surtout préoccupée à trouver comment quitter la salle sans leur faire encore plus de peine que celle qu’il nous renvoyait par leur médiocrité. À leur défense, parce qu’il faut toujours adoucir ses critiques, le texte était sans relief et il aurait fallu des comédiens hors pair pour l’interpréter et parvenir à nous émouvoir. 

Par bonheur, un entracte inattendu est arrivé (il fallait bien faire tourner la buvette), et j’ai pu dire à Simon : « Ouf, on va pouvoir se sortir de ce piège et tu verras la deuxième mi-temps de la finale du Top 14. » Il ne s’est pas fait prier. Toulouse a gagné. 


Aujourd’hui, c’était la journée qui rattrape l’autre. 

Par le plus grand des hasards, nous nous sommes retrouvés à acheter deux billets pour un spectacle qui était joué au musée Ingres Bourdelle. On y était allé pour revoir calmement l’expo temporaire consacrée à Rodin et Bourdelle et, arrivés à la billetterie, on découvre qu’un spectacle est proposé dans la chapelle. Pourquoi pas ? On demande rapidement de quoi il retourne, on nous répond, harpe et acrobatie. J’hésite à cause d’hier soir, mais Simon a déjà pris deux billets et me dit, on y va. 

Des chaises sont disposées dans la chapelle face au Vœu de Louis XIII, le grand tableau rescapé de la cathédrale. Je suis contente de le voir, c’est là que j’avais prévu de faire un atelier d’écriture qui était programmé pour jeudi prochain et, depuis ma déprogrammation, je n’avais pas eu le courage de remettre un pied au musée. Je suis heureuse de me trouver au pied de ce tableau qui me confirme que je ne suis pas rancunière, mais que je ne pardonne pas. C’est avec Simon Wiesenthal que j’ai appris les limites du pardon. Avec ma famille aussi. 

Dans la zone dédiée à ce qui semble être la scène où les acteurs vont se produire, on peut voir une harpe et, sur le côté, une barrière Vauban sur laquelle un homme en veste se tient, observant les spectateurs s’installer. Il doit faire une température de 40° dans Montauban, et je trouve sa tenue décalée, même si le musée est climatisé. Et puisqu’il est question de barrière Vauban dans ce billet, j’en profite pour signaler à un adjoint, un conseiller municipal ou pourquoi pas à madame la maire de Montauban, à l’un d’entre eux qui pourraient me lire, on ne sait jamais, que nous avons maintenant en permanence à côté de la porte d’entrée ou du garage de notre immeuble en plein centre historique de Montauban, une barrière Vauban qui semble être entreposée à vie. Il y en a d’autres, dispersées un peu partout dans le centre-ville. Ce n’est pas très raccord avec l’image que l’on veut donner aux touristes…

Je reviens au spectacle du musée qui démarre avec quatre personnages, le type en blouson, la harpiste, la harpe et la barrière Vauban (oui, la barrière Vauban est bien un personnage, ce n’était pas un prétexte pour pouvoir parler de la nôtre). La harpiste joue et le type la regarde, accoudé à la barrière et il commence à se balancer, à se pencher, à incliner la barrière. Le spectateur derrière moi se penche également, mais sur sa femme et je l’entends dire : « Il exagère quand même ! » Et plus le type joue avec sa barrière, bouscule la harpiste et plus le spectateur s’énerve jusqu’au moment où il réalise que c’est un comparse. 

Et tout s’emballe, la complicité de l’acrobate sur sa barrière avec la harpiste est d’une intelligence rare. Ils ne disent pas un mot, mais tout est parfaitement et brillamment  écrit : elle joue, il escalade, elle joue, il joue avec ses cheveux, elle joue, il la chatouille, elle joue, il la fait tourner, elle joue, il se couche sur elle, elle joue et il l’exaspère, elle le gifle. Elle joue et il danse, elle joue et il gravit les barreaux de la barrière Vauban pour se dresser devant le chef-d’œuvre de Ingres, il se fond dans l’œuvre. 

C’était le miracle de l’après-midi, sans doute que le vœu s’était exaucé et qu’une journée peut en rattraper une autre. Il va falloir que je me décide à y croire de nouveau, puisqu’une harpiste et un circassien, une harpe et une barrière Vauban sont venus me dire que c’était possible. 


https://spectacle-resonances.fr/
https://lacompagniesinguliere.fr/equipe/thomas-bodinier/



lundi 16 juin 2025

La Croix du 13 juin 2025


 En réponse à l’article « Faire famille » de Fabienne Lemahieu, La Croix du 13 juin 2025


Non, nous n’avons pas l’impression d’être des voleurs d’enfants ! 

Ceux qui ont volé ces enfants, ce sont ceux qui nous ont escroqués en nous laissant penser qu’ils étaient orphelins, qu’ils avaient été abandonnés, qu’ils n’avaient plus de parents et qu’il n’y avait pas d’autre solution pour eux qu’une adoption hors de leur pays d’origine. 

Nous nous étions entourés de toutes les garanties et avions fait confiance aux institutions et aux états concernés, mais depuis maintenant sept ans, nous savons que les adoptions internationales sont tachées d’irrégularités qui peuvent être qualifiées de trafics d’enfants et qui, pour certaines, relèvent de la disparition de personne et de crime contre l’humanité. Nous n’avons pas des « impressions » comme un ministre a aimé nous le dire pour nous mettre au pas, nous possédons des preuves que nous sommes allés chercher à la fois dans le pays d’origine de notre enfant et en France. Ce ne sont pas des impressions. 

Alors on peut, comme certains l’ont fait sans aucun scrupule, établir une hiérarchie et déclarer qu’une adoption irrégulière n’est pas une adoption illégale et que s’il manque uniquement le consentement de la mère biologique dans un dossier d’adoption, on peut s’en arranger. Moi, je ne m’en arrangerai jamais : comment considérer que l’absence du consentement de la mère biologique ne serait qu’une petite irrégularité du dossier ? Comme une erreur sur un acte d’état civil ou une absence totale d’existence sur les registres d’état civil du pays de naissance de l’enfant ne serait pas répréhensible, alors qu’il est maintenant établi que cet « oubli » constitue un premier pas dans le processus d’un trafic d’enfant en vue d’une adoption, surtout quand on sait que cet enfant aura besoin d’un passeport pour sortir de son pays et il faudra que l’on m’explique comment on peut produire un passeport pour une personne qui n’existe pas sur les registres d’état civil de son pays et que, par la suite, un visa sera apposé sur ce que l’on peut appeler « un vrai-faux passeport ». 

Et si, comme je le lis dans l’article paru dans le journal La Croix du 12 juin 2025, « L’immense majorité des adoptants ont agi dans le respect des règles et dans l’intérêt de l’enfant, avec les informations dont ils disposaient à l’époque », cela n’empêche pas aujourd’hui, avec les connaissances que nous avons et à la vue des enquêtes faites par nos voisins européens, de reconnaître que les intermédiaires sur place ont volé des enfants, forcé des mères à abandonner leur enfant dans un but uniquement mercantile. 

Aujourd’hui, je lis qu’il y a des parents qui sont certains que rien n’est illégal, puisqu’ils avaient fait valider leur dossier par le ministère des Affaires étrangères et qu’ils étaient « très pointilleux ». Nous avions tous fait vérifier nos dossiers par un ministère très pointilleux, c’est sur place que c’était bien moins pointilleux et nous savons maintenant que ce ministère « très pointilleux » savait parfaitement comment les adoptions se déroulaient sur place et que ce n’était absolument pas pointilleux, même lorsque les intermédiaires étaient des religieuses. 

Cette reconnaissance du trafic d’enfants, dans le cadre des adoptions internationales, que nous demandons n’a jamais été une démarche à l’encontre des personnes adoptées et, bien au contraire, je suis persuadée que nous poursuivons le même but bien que des parents laissent sous-entendre que, par notre action, nous nous attaquerions à leurs enfants et que ce n’est pas parce « qu’on souffre qu’il faut éclabousser tout le monde. »

Il n’est pas question de souffrance, et surtout pas de la nôtre, il est question de justice, de reconnaissance et de réparation. C’est ce que nous demandons à l’état français et à ses différents gouvernements depuis maintenant plus de six ans. Nous avons rencontré des représentants d’institutions et de ministères, nous avons écrit plus d’un millier de courriers à des politiques, à des élus et nous n’avons reçu pour résultat qu’un silence assourdissant quand cela n’était pas des injonctions de nous taire. Dans ce silence méprisant, la seule personne, qui nous a entendus, écoutés, reçus, accompagnés avec bienveillance et sérieux, c’est Valérie Rabault que nous avions interpelée en tant que Présidente du groupe socialistes et apparentés. Valérie Rabault a travaillé avec nous pour soumettre une proposition de résolution visant à demander une enquête parlementaire et, après des mois de travail, cette discussion avait été mise à l’agenda de l’assemblée pour le 20 juin 2024. La dissolution est arrivée le 9 juin et la proposition de résolution n’a plus jamais été remise à l’agenda depuis. Valérie Rabault n’a pas été réélue députée et, un an plus tard, aucun député n’a encore repris le dossier malgré les centaines de courriers que nous avons faits depuis. Nous ne comprenons pas ce silence que nous interprétons comme du mépris pour ne pas avoir à soupçonner des complicités. 

Nous pouvons paraître des militants courageux pour certains ou de vieux entêtés pour d’autres qui attendent que nous disparaissions pour évacuer le problème et cessions d’éclabousser tout le monde de notre volonté de faire reconnaître la réalité d’un trafic d’enfants dans les adoptions internationales. Mais pour l’instant, nous sommes toujours là et nous demandons que la proposition de résolution soit remise à l’agenda de l’Assemblée nationale. 


mercredi 4 juin 2025

 


C’ÉTAIT JUSTE UNE PHOTO !


En 1988, l’Église catholique avait décidé de réactualiser son image en médiatisant leur campagne de don appelée le denier du culte. « C’est une contribution libre et volontaire demandée à tous les catholiques. C’est la seule source de rémunération des prêtres et des laïcs salariés travaillant pour l’Église. » Source Wikipédia.

Cette modernisation reposait sur une vaste campagne nationale dans les lieux de culte sous forme d’affiches et de flyers. 

Jusque-là, je peux affirmer que je n’étais pas concernée, sauf qu’évoluant dans le milieu de la photo, on nous avait demandé à Simon et à moi de poser pour l’affiche qui représentait un jeune couple. Il y avait d’autres affiches, je me souviens de celle avec un étudiant, celle avec des gens âgés, celle avec un curé. Les slogans étaient différents et s’adaptaient à chaque public visé. Pour « notre » affiche, c’était : « Nos parents donnaient déjà… Donnons ! » C’était bien la seule chose qui était véridique, car, pour le reste c’était juste une photo, un peu comme pour des personnages de roman. 

Nous avions accepté ce que nous considérions donc uniquement comme une figuration, parce que c’était bien rémunéré. C’était un job comme un autre. Depuis mes quinze ans, je posais souvent devant les objectifs des photographes, Simon beaucoup moins, mais il avait accepté puisqu’il fallait un couple. 

Je garde un souvenir décontracté de la séance de photos, je me souviens qu’on nous avait demandé de nous habiller « bon chic, bon genre » sans exubérance.

L’histoire aurait pu s’arrêter là et je pense que je l’aurais oubliée, mais c’était sans compter que nous allions nous retrouver exposés à l’incroyable. 

Dès la sortie de l’affiche, le journal télévisé avait fait un sujet sur le lancement de la campagne qu’il qualifiait d’audacieuse. Nous n’avions pas la télé, mais dès le lendemain matin, je ne pouvais plus sortir sans me faire dévisager. Simon, de son côté, se retrouvait en réunion de travail face à des gens qui lui disaient : « On a l’impression de vous avoir vu, mais on ne sait plus où… », il ne répondait rien. 

Ma mère, après avoir découvert qu’en plus d’être des imposteurs, nous étions des escrocs, m’avait dit qu’elle espérait bien que nous avions reversé notre cachet au denier du culte. 

La prof d’histoire du collège de mes enfants m’avait dit qu’elle avait vécu un moment mémorable. Elle avait organisé une sortie avec sa classe de 4e pour visiter une église du 12e siècle et, alors qu’elle leur décrivait l’intérieur de l’église, la nef et ses chapelles, elle s’était retournée pour découvrir qu’elle parlait toute seule, tous ses élèves s’étaient regroupés à l’entrée de l’église et commentaient l’affiche du denier du culte punaisée sur la porte en se marrant : « Venez voir madame ! Ce sont les parents de Gaël et Thomas ! » 

L’histoire avait duré longtemps, leur campagne avait été prévue pour un an, mais des années plus tard, on nous en parlait toujours. 

La plus sidérante des réflexions qui était revenue à mes oreilles, c’était : « Quand même, on pensait qu’ils étaient juifs… »

C’était en 1988, il n’y avait pas de réseaux sociaux. Le bouche-à-oreille était déjà bien destructeur.