Les monologues du vagin.
Je suis allée les voir sur scène hier. Cela fait vingt-sept années consécutives que cette pièce se joue chaque samedi soir au théâtre des 3T à Toulouse.
J’avais fait quelque chose de sans doute inhabituel, j’avais lu les textes des monologues quelques semaines auparavant. Juste le texte, rien que le texte, sans rien imaginer. Je voulais commencer avec l’enchainement des mots imprimés sur du papier. Je voulais qu’il n’y ait aucune voix, aucun geste, aucun sourcillement, qu’il n’y ait rien qui aurait pu influencer ma lecture.
Lorsque j’ai refermé le livre, je savais que je n’avais eu accès qu’à la moitié des monologues, il me manquait toute l’autre partie, celle du metteur en scène, celle des comédiennes, celle qui n’appartient plus à l’auteur.
Cet instant me fascine, car il s’agit alors de passer sa création à un autre, puis à d’autres, puis à des spectateurs.
Quand l’auteur a placé un point d’exclamation avec une intention qu’il avait pensé judicieuse, le metteur en scène peut décider de l’ignorer poliment pour en faire une interrogation que le comédien va interpréter dans une inclinaison de tête discrète ou dans une démonstration de surprise appuyée. C’est ainsi que j’imagine ce passage à la vie d’un texte imprimé à la scène. C’est ce que j’attendais en m’asseyant hier soir face à la petite scène du théâtre.
Nous étions mal assis, les gens mangeaient et buvaient durant le spectacle. C’était entre « Le café de la gare » et le grand théâtre du Caire où le public circule entre les rangs et discute durant toute la représentation. Je me suis dit que j’aimais bien, que ça me rappelait Rufus, les matchs d’impro avec lancer de pantoufles, mais que ça me faisait un peu peur aussi, car je venais pour vivre le texte, le redécouvrir mis en scène et interprété.
J’ai vite oublié la mauvaise chaise et les rondelles de chorizo et de rosette qui garnissaient les plateaux des spectateurs de la rangée de devant et j’ai plongé direct dans un vagin accueillant.
Trois comédiennes complices et rieuses — je suis certaine qu’elles se faisaient rire mutuellement—m’ont emportée dans ce texte dont je buvais les phrases, les répliques, les points d’exclamation qui pouvaient bien avoir été transformés en interrogation, peu importe. J’ai même remarqué le moment où un passage a été éludé, celui où il est question de faire comprendre que les mutilations génitales infligées aux petites filles dans certains pays, n’ont rien à voir avec « une circoncision féminine » comme elles en sont parfois qualifiées, mais bien à de véritables mutilations sexuelles. Là, j’ai été certaine que le texte écrit que j'avais lu était bien plus explicite et décrivait par le détail à quoi ces mutilations correspondaient sur les organes génitaux masculins et que le metteur en scène avait sauté une ligne. Je connaissais le texte à ce point-là et je me suis dit mince, il manque des mots. Mais peu importe, c’est le travail du metteur en scène de juger que parfois il est plus fort de ne pas faire dire quelques mots.
Quand la salle riait, souvent je n’ai pas ri.
Souvent, j’ai eu les larmes aux yeux.
Tout ce gâchis sur le corps des femmes, tout ce temps qu’il faut pour réparer, tout ce temps qui va être nécessaire pour faire changer une société patriarcale.
Souvent, j’ai ri. C’était le rire du bonheur, celui de voir trois femmes heureuses, trois femmes libres et complices qui jouaient en nous parlant de nos vagins sans comédie ni faux-semblants.
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