Il y a eu Depardieu.
Lui, on savait depuis un moment que c’était un gros porc, il ne s’en cachait plus, il en faisait sa marque de fabrique et ça faisait rigoler tout le monde. Sauf ses victimes.
Il parait que c’est un très bon acteur et c’est probablement vrai, mais moi, je n’arrivais plus à voir cet acteur formidable derrière le gros dégueulasse qui copinait avec Poutine et tous les dictateurs de la planète.
Alors quand son comportement immonde a été dévoilé, j’ai été révoltée qu’il ait humilié des femmes en leur mettant la main aux fesses ou aux seins, en proférant des propos orduriers.
J’ai été révoltée qu’il ait violé des femmes.
J’ai été révoltée que sa grossièreté ait pu faire rire son entourage
J’ai été révoltée que l’on puisse prendre sa défense, que l’on puisse lui trouver des excuses, que l’on puisse l’absoudre sous prétexte que dans Cyrano il est vraiment exceptionnel.
Mais cet homme est un acteur, il ne représente rien et n’existe que par son public, alors mon mépris à son égard ne va pas au-delà.
Je ne lui accorde aucune présomption d’innocence sinon cela vaudrait pour présomption de mensonge à l’égard des victimes.
La justice fera, je l’espère, son travail.
Aujourd’hui, il y a l’abbé Pierre.
Lui, on savait depuis des années que c’était un grand homme, un bienfaiteur de l’humanité, un humaniste, un saint pour certains.
Je n’ai que méfiance pour ce genre de personnage, car j’ai été élevée dans le culte de l’adoration des saints et déjà enfant, je ne croyais plus aux saints. Mais l’abbé Pierre, dans ma famille c’est l’équivalent de Charles de Foucauld. J’ai d’ailleurs tendance à les confondre et depuis que j’ai lu qu’en 1961, l’abbé Pierre avait été envoyé faire un petit séjour de convalescence sous couvert de retraite spirituelle à Béni Abbès, je confonds encore plus l’abbé et l’ermite béatifié en 2005. Faudrait peut-être pas trop qu’on fouille sur lui non plus.
Depuis mercredi dernier, depuis les révélations sur les agressions sexuelles commises par l’abbé Pierre, j’ai fait une nouvelle dégringolade.
Je n’étais pas révoltée, j’étais effondrée.
Je replongeais à la fois dans mon enfance et dans le viol.
J’ai lu tous les commentaires qui disaient que ce n’était pas possible, pas lui… Et pourquoi donc ces femmes avaient-elles attendu si longtemps pour parler?? J’ai erré dans le souvenir des mots de ma mère qui dit que si une femme se fait violer, c’est qu’elle l’a bien cherché.
J’ai erré dans mes souvenirs d’enfance où l’on m’a élevée dans les interdits sexuels et l’adoration des saints martyrs.
J’ai erré dans un labyrinthe de principes établis et martelés.
Les garçons qui font de la voile sont des garçons bien.
Les filles doivent se protéger des pulsions des garçons.
Les garçons qui font du scoutisme sont des garçons bien.
Les filles qui ont les oreilles percées sont vulgaires.
Les filles qui couchent avant le mariage sont des traînées.
Et au milieu de tout ça, il y a l’abbé Pierre. Le saint homme. Je ne vais pas mentir, j’aurais pu y croire, dans le fond il était un peu gauchiste, un peu contestataire, un peu emmerdant pour les politiques et c’était séduisant à mes yeux.
Mais c’est sans compter sur ma méfiance pour tout ce qui est recommandé par l’Église catholique ; l’abbé Pierre, Charles de Foucauld, mère Theresa ou même Gandhi, je fais un pas de côté et, soupçonneuse, j’observe. J’ai le souvenir de journées de retraites avant la communion solennelle — qu’il faut appeler « la profession de foi » si l’on est de vrais chrétiens — durant lesquels le curé en charge d’une colonie de jeunes adolescentes disait publiquement à des filles de douze ans qu’il les trouvait jolies.
J’ai le souvenir de découvertes pas très chastes dans des placards familiaux.
J’ai tout ça en tête, je ne suis jamais allée voir « L’hiver 54 » et je me demande si Lambert Wilson a incarné le personnage en sachant sa réalité ou si lui aussi s’est fait berner. C’est bien entendu moins grave que de se faire violer ou agresser, mais ça doit tout de même ressembler à une trahison.
L’homme pieux est mort.
Il parait que ça lui donnerait l’absolution, une sorte de prescription.
Il parait aussi qu’il aurait fait son premier miracle en redonnant la parole à des femmes muettes depuis des décennies… c’est la blague imbécile et indécente qui circule sur les réseaux sociaux.
Il parait que les femmes sont des pleureuses qui se victimisent, qui minaudent... (sic).
Ces femmes racontent toutes la même histoire, des histoires de seins, de langue dans la bouche, de fellation, d’actes qui auraient duré jusqu’à son extrême vieillesse.
Leurs témoignages ont confirmé ma méfiance.
Leurs témoignages ont redonné vie à mes souvenirs.
Leurs témoignages m’ont fait dégringoler.
Depardieu, ça faisait longtemps qu’on savait que c’était un porc alors que l’abbé Pierre on nous l’avait présenté comme un homme vertueux.
C’est ce qui est différent parce que c’est un mensonge qu’ils savaient tous.
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