samedi 27 juillet 2024

La cérémonie


 Vendredi 26 juillet 2024, 19 h 30. Cérémonie d’ouverture des JO de Paris. 

Je n’étais pas partie enthousiaste et je suis arrivée au bord des larmes.Je ne suis partie nulle part et ne suis arrivée nulle part, je suis restée sur mon canapé durant quatre heures. Et pourtant j’étais ailleurs. Il a fallu qu’ils se dépassent pour que je décolle, car j’avais d’emblée adopté la posture « ils vont nous faire un spectacle de beaufs » et comme en plus, c’était Macron qui nous l’avait vendu mardi soir avec ses sourires complices et faux cul, c’était mal parti. 

Et en plus, il pleuvait, mais là, j’étais plutôt contente que le petit roi n’ait pas la météo de son côté. Il peut dissoudre à qui mieux mieux, mais la météo, ça lui échappe encore. Hier, la pluie avait cet aspect rassurant, elle se jouait des désirs de notre roi.  

Céline Dion ne m’emballait pas trop non plus, je reste assez indifférente à ses prestations, mais je savais que l’une de mes amies trépignait depuis que le nom de son idole avait été prononcé dans les pronostics, alors j’avais fini par espérer qu’elle se produise. Pour mon amie. Juste pour elle, pour qu’elle soit émue devant son écran. Mon scepticisme bougon a lâché en à peine trente minutes. J’ai cette qualité, je ne reste pas campée sur une mauvaise impression, je ne demande qu’à me faire emporter par le bonheur.Hier soir, c’était bien plus que du bonheur, c’était de la créativité, de l’audace, de l’impertinence, de la solidarité, de la parité, de l’inclusivité dans un flot de musique et de lumière. C’était tellement inattendu que je me suis surprise à penser : « Mais les organisateurs sont moins bornés que l’image d’eux qu’ils nous donnaient à voir. » J’avais presque honte de les avoir jugés si rapidement. 

Après tout ce que Aya Nakamura s’était ramassé depuis le printemps, je n’avais pas envisagé une telle réponse. Et ils l’ont fait. 

L’Académie française, la garde républicaine et Aya Nakamura en marche, somptueusement altière et fière.  
La claque à l’extrême droite. 

Les drag queens et les transgenres, ils l’ont fait aussi dans une mise en scène d’un culot incroyable. La cène ! 

Il était temps que nous venions leur dire devant le monde entier qu’ils existent et qu’ils ont leur place dans notre société n’en déplaise à l’extrême droite — qui a encore détesté — et aux évêques qui se sont étouffés d’indignation. Ces derniers feraient d’ailleurs bien de la mettre en veilleuse depuis les révélations de la semaine dernière sur leur saint abbé. 

Plus la cérémonie avançait en glissant sur la Seine — tant de Seine, de scène et de cène ! —, et plus j’aimais la pluie dont le reflet des gouttes sublimait les images, le piano qui dégoulinait comme un film indien sous la mousson, les flaques qui giclaient sous les talons des mannequins queers, les athlètes hilares emballés dans des ponchos de plastique transparent pour ne pas ruiner leur tenue de gala, tout me semblait à l’unisson d’un « oui, il pleut, mais on s’en fout, on veut faire la fête et on la fera. On a des choses à dire et on les dira. Même sous des trombes d’eau. » 

Céline Dion a chanté pour mon amie. 
Je suis allée me coucher heureuse.
La France avait courageusement montré au monde entier que l’on avait le droit d’être différent et impertinent avec grâce. 



mercredi 24 juillet 2024



Il y a eu Depardieu. 
Lui, on savait depuis un moment que c’était un gros porc, il ne s’en cachait plus, il en faisait sa marque de fabrique et ça faisait rigoler tout le monde. Sauf ses victimes. 
Il parait que c’est un très bon acteur et c’est probablement vrai, mais moi, je n’arrivais plus à voir cet acteur formidable derrière le gros dégueulasse qui copinait avec Poutine et tous les dictateurs de la planète. 
Alors quand son comportement immonde a été dévoilé, j’ai été révoltée qu’il ait humilié des femmes en leur mettant la main aux fesses ou aux seins, en proférant des propos orduriers.  
J’ai été révoltée qu’il ait violé des femmes.  
J’ai été révoltée que sa grossièreté ait pu faire rire son entourage 
J’ai été révoltée que l’on puisse prendre sa défense, que l’on puisse lui trouver des excuses, que l’on puisse l’absoudre sous prétexte que dans Cyrano il est vraiment exceptionnel.
Mais cet homme est un acteur, il ne représente rien et n’existe que par son public, alors mon mépris à son égard ne va pas au-delà. 
Je ne lui accorde aucune présomption d’innocence sinon cela vaudrait pour présomption de mensonge à l’égard des victimes. 
La justice fera, je l’espère, son travail.

Aujourd’hui, il y a l’abbé Pierre. 
Lui, on savait depuis des années que c’était un grand homme, un bienfaiteur de l’humanité, un humaniste, un saint pour certains.  
Je n’ai que méfiance pour ce genre de personnage, car j’ai été élevée dans le culte de l’adoration des saints et déjà enfant, je ne croyais plus aux saints. Mais l’abbé Pierre, dans ma famille c’est l’équivalent de Charles de Foucauld. J’ai d’ailleurs tendance à les confondre et depuis que j’ai lu qu’en 1961, l’abbé Pierre avait été envoyé faire un petit séjour de convalescence sous couvert de retraite spirituelle à Béni Abbès, je confonds encore plus l’abbé et l’ermite béatifié en 2005. Faudrait peut-être pas trop qu’on fouille sur lui non plus. 
Depuis mercredi dernier, depuis les révélations sur les agressions sexuelles commises par l’abbé Pierre, j’ai fait une nouvelle dégringolade. 
Je n’étais pas révoltée, j’étais effondrée. 
Je replongeais à la fois dans mon enfance et dans le viol. 
J’ai lu tous les commentaires qui disaient que ce n’était pas possible, pas lui… Et pourquoi donc ces femmes avaient-elles attendu si longtemps pour parler?? J’ai erré dans le souvenir des mots de ma mère qui dit que si une femme se fait violer, c’est qu’elle l’a bien cherché. 
J’ai erré dans mes souvenirs d’enfance où l’on m’a élevée dans les interdits sexuels et l’adoration des saints martyrs. 
J’ai erré dans un labyrinthe de principes établis et martelés. 
Les garçons qui font de la voile sont des garçons bien. 
Les filles doivent se protéger des pulsions des garçons. 
Les garçons qui font du scoutisme sont des garçons bien. 
Les filles qui ont les oreilles percées sont vulgaires. 
Les filles qui couchent avant le mariage sont des traînées. 
Et au milieu de tout ça, il y a l’abbé Pierre. Le saint homme. Je ne vais pas mentir, j’aurais pu y croire, dans le fond il était un peu gauchiste, un peu contestataire, un peu emmerdant pour les politiques et c’était séduisant à mes yeux. 
Mais c’est sans compter sur ma méfiance pour tout ce qui est recommandé par l’Église catholique ; l’abbé Pierre, Charles de Foucauld, mère Theresa ou même Gandhi, je fais un pas de côté et, soupçonneuse, j’observe. J’ai le souvenir de journées de retraites avant la communion solennelle — qu’il faut appeler « la profession de foi » si l’on est de vrais chrétiens — durant lesquels le curé en charge d’une colonie de jeunes adolescentes disait publiquement à des filles de douze ans qu’il les trouvait jolies.  
J’ai le souvenir de découvertes pas très chastes dans des placards familiaux. 
J’ai tout ça en tête, je ne suis jamais allée voir « L’hiver 54 » et je me demande si Lambert Wilson a incarné le personnage en sachant sa réalité ou si lui aussi s’est fait berner. C’est bien entendu moins grave que de se faire violer ou agresser, mais ça doit tout de même ressembler à une trahison. 

L’homme pieux est mort. 
Il parait que ça lui donnerait l’absolution, une sorte de prescription. 
Il parait aussi qu’il aurait fait son premier miracle en redonnant la parole à des femmes muettes depuis des décennies… c’est la blague imbécile et indécente qui circule sur les réseaux sociaux. 
Il parait que les femmes sont des pleureuses qui se victimisent, qui minaudent... (sic). 
Ces femmes racontent toutes la même histoire, des histoires de seins, de langue dans la bouche, de fellation, d’actes qui auraient duré jusqu’à son extrême vieillesse. 
Leurs témoignages ont confirmé ma méfiance.
Leurs témoignages ont redonné vie à mes souvenirs.
Leurs témoignages m’ont fait dégringoler. 

Depardieu, ça faisait longtemps qu’on savait que c’était un porc alors que l’abbé Pierre on nous l’avait présenté comme un homme vertueux.
C’est ce qui est différent parce que c’est un mensonge qu’ils savaient tous. 

dimanche 21 juillet 2024

Les monologues du vagin

 

Les monologues du vagin. 

Je suis allée les voir sur scène hier. Cela fait vingt-sept années consécutives que cette pièce se joue chaque samedi soir au théâtre des 3T à Toulouse.

J’avais fait quelque chose de sans doute inhabituel, j’avais lu les textes des monologues quelques semaines auparavant. Juste le texte, rien que le texte, sans rien imaginer. Je voulais commencer avec l’enchainement des mots imprimés sur du papier. Je voulais qu’il n’y ait aucune voix, aucun geste, aucun sourcillement, qu’il n’y ait rien qui aurait pu influencer ma lecture.
Lorsque j’ai refermé le livre, je savais que je n’avais eu accès qu’à la moitié des monologues, il me manquait toute l’autre partie, celle du metteur en scène, celle des comédiennes, celle qui n’appartient plus à l’auteur.
Cet instant me fascine, car il s’agit alors de passer sa création à un autre, puis à d’autres, puis à des spectateurs.
Quand l’auteur a placé un point d’exclamation avec une intention qu’il avait pensé judicieuse, le metteur en scène peut décider de l’ignorer poliment pour en faire une interrogation que le comédien va interpréter dans une inclinaison de tête discrète ou dans une démonstration de surprise appuyée. C’est ainsi que j’imagine ce passage à la vie d’un texte imprimé à la scène. C’est ce que j’attendais en m’asseyant hier soir face à la petite scène du théâtre.

Nous étions mal assis, les gens mangeaient et buvaient durant le spectacle. C’était entre « Le café de la gare » et le grand théâtre du Caire où le public circule entre les rangs et discute durant toute la représentation. Je me suis dit que j’aimais bien, que ça me rappelait Rufus, les matchs d’impro avec lancer de pantoufles, mais que ça me faisait un peu peur aussi, car je venais pour vivre le texte, le redécouvrir mis en scène et interprété.
J’ai vite oublié la mauvaise chaise et les rondelles de chorizo et de rosette qui garnissaient les plateaux des spectateurs de la rangée de devant et j’ai plongé direct dans un vagin accueillant. 

Trois comédiennes complices et rieuses — je suis certaine qu’elles se faisaient rire mutuellement—m’ont emportée dans ce texte dont je buvais les phrases, les répliques, les points d’exclamation qui pouvaient bien avoir été transformés en interrogation, peu importe. J’ai même remarqué le moment où un passage a été éludé, celui où il est question de faire comprendre que les mutilations génitales infligées aux petites filles dans certains pays, n’ont rien à voir avec « une circoncision féminine » comme elles en sont parfois qualifiées, mais bien à de véritables mutilations sexuelles. Là, j’ai été certaine que le texte écrit que j'avais lu était bien plus explicite et décrivait par le détail à quoi ces mutilations correspondaient sur les organes génitaux masculins et que le metteur en scène avait sauté une ligne. Je connaissais le texte à ce point-là et je me suis dit mince, il manque des mots. Mais peu importe, c’est le travail du metteur en scène de juger que parfois il est plus fort de ne pas faire dire quelques mots. 

Quand la salle riait, souvent je n’ai pas ri. 
Souvent, j’ai eu les larmes aux yeux. 

Tout ce gâchis sur le corps des femmes, tout ce temps qu’il faut pour réparer, tout ce temps qui va être nécessaire pour faire changer une société patriarcale. 

Souvent, j’ai ri. C’était le rire du bonheur, celui de voir trois femmes heureuses, trois femmes libres et complices qui jouaient en nous parlant de nos vagins sans comédie ni faux-semblants.


lundi 8 juillet 2024

Mes chers différents 2


Mes chers différents, 

Il y a dix jours, à la veille du premier tour, je vous consacrais un billet pour alimenter le blog de nos vies dissoutes. Je vous avais choisis parce que vous êtes mes amis, parce que vous êtes différents et que vous faites partie de ceux qui ne seront jamais épargnés par le regard et le jugement des autres.
Naine, frisée, noire, un peu moins noire, lesbienne, pédé, comédien, auteur, metteur en scène, militant, militante. Chacun d’entre vous possède au moins l’une de ces différences, parfois deux, parfois trois et même quatre, si je réfléchis bien. La différence que vous possédez en commun, c’est d’appartenir au monde des adoptés.
Si la vie ne vous a pas fait de cadeau au départ, vous avez tous su composer avec vos différences, vous avez su en tirer quelque chose. 

Sonia parvient à se faire des Brushings époustouflants qui effacent toutes ses boucles. Devant la caméra, elle se transforme en p’tite sœur lubrique de la Voie lactée et elle a même fait un bébé toute seule.
La nuit Sonia rêve qu’elle court un 100 mètres sur des échasses.
Un jour, elle siègera à l’Assemblée nationale, elle l’a promis à son père. 

Magali est une héroïne de roman. Un jour elle est partie à la recherche de sa famille du Sri Lanka et elle a découvert qu’elle était la fille d’un homme célèbre durant la guerre civile, un homme intègre et admiré.   Quand elle ne sillonne pas le Sri Lanka, Magali est une militante de la cause LGBTQIA+, engagée aux côtés des Verts.
La nuit, Magali rêve qu’elle gagne les élections contre Marine Le Pen.
Un jour, elle siègera à l’Assemblée nationale.

Nicolas est homosexuel. Sa vie différente, il l’écrit, la met en scène et la joue. Sa vie devient ainsi la vie de tous les autres différents qui ne se sentent plus différents. Nicolas me téléphone et me dit que non, je ne suis pas différente. Il m’affirme que je suis libre et que je dois le rester.
La nuit, Nicolas rêve que son dernier spectacle s’est fait démolir dans une critique de «Valeurs Actuelles».
Un jour, il jouera dans la cour d’honneur du Palais des papes. 

Ma différente, ma petite,
La tornade brune ne t’emportera pas. L’orage est passé.   
C’était un sale coup de vent qui nous a tous fait peur, mais nous savons bien que quand « le vent se lève, il faut tenter de vivre. » 

Mes chers différents, ma petite différente, vous pouvez reprendre votre souffle et vivre.