Ils sont innocents.
Ils sont innocents puisqu’ils n’ont pas été inculpés et qu’aucune plainte n’a été déposée contre eux.
C’est comme ça, c’est la présomption d’innocence et je me félicite de vivre dans une démocratie, j’en suis même heureuse. J’ai entrevu la vie dans un pays sans démocratie et j’ai pris la mesure de son absence.
Alors ils sont innocents et on ne lapide pas des innocents.
Je suis de celles qui pensent qu’ils ne doivent pas être totalement innocents, car j’ai connu le harcèlement sexuel et je sais qu’on le subit sans rien dire, sans rien dénoncer.
Je me rappelle le grand studio photo de Grenoble où je travaillais. Le vendeur-chef qui me poursuivait dans l’arrière-magasin pour me parler de ma bouche sensuelle. Un matin, alors que j’étais encore en manteau et que je passais devant lui pour me rendre aux vestiaires, il m’a appelée et m’a dit : « Venez, Véronique, j’ai quelque chose à vous montrer. » Je m’approche de son bureau, il ouvre un tiroir et en sort un tube de rouge à lèvres et me dit : « C’est pour vous si vous acceptez d’en mettre sur vos lèvres. »
Et il y a eu le jour où je servais un client, debout derrière le haut comptoir. Je sens des mains qui caressent mes jambes et remontent très haut sur mes cuisses, jusqu’à mon sexe.
Je me retourne et me baisse pour découvrir l’immonde vendeur-chef accroupi à mes pieds et qui murmure : « Comme j’aime le printemps quand les femmes enlèvent leurs bas. »
Je l’ai attrapé par son pull et l’ai fait se relever pour prendre le client à témoin de ce qu’il me faisait. Je crois que le client n’a rien compris et que la crevure n’a même pas eu honte.
J’avais vingt-cinq ans et je n’ai évidemment rien dit à personne. Je suis certaine que mes collègues présents ce jour-là ont vu la scène, mais n’en ont rien dit.
Je me souviens aussi de mon passage en intérim dans une grande entreprise de nettoyage — les négriers modernes — et du jour où le directeur m’a proposé de me sauter sur son bureau. Ce sont ses termes exacts.
Je me souviens de la visite à Simon dans son bureau et dans son dos, son adjoint qui me faisait par gestes des allusions sexuelles sans équivoque. Je n’en ai rien dit à Simon.
Comment lui raconter que le type dont il était l’adjoint avait des problèmes avec sa bite ? Je le ressentais comme ça crûment avec toute la vulgarité qu’il avait exprimée à mon égard.
Je me souviens du député-maire de ma commune pour lequel j’avais réalisé l’affiche de campagne et qui m’a proposé, quand il a été sénateur, d’être son attachée parlementaire. Cette proposition n’a duré que le temps de la proposition qui lui a succédé dans les semaines suivantes : « Nous irons souvent à Paris ensemble et nous dormirons à l’hôtel. Mais je ne réserverai qu’une seule chambre. »
Je n’ai jamais été attachée parlementaire.
Tous ces harceleurs sont innocents puisque je ne me suis jamais plainte et que je me suis tue.
Mais moi, je sais que ce sont des salopards et qu’ils sont coupables.
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