Aujourd’hui 25 novembre, c’est la journée internationale pour l’élimination des violences faites aux femmes.
Assise dans la salle d’attente de l’Oncopole, je me dis que c’est le bon jour.
Quelques minutes auparavant, je venais de me dire que depuis les dix années où je les avais désertés, ils avaient eu le temps de comprendre qu’on ne peut pas faire attendre des patients, des malades, sur une ligne de chaises en plastique qui répercutent en écho angoissant le moindre frémissement de vos voisins d’infortune.
La date de ce jour spécial consacré aux violences faites aux femmes me donne du courage.
Ma décision est prise quel que soit le verdict pour mon sein et je m’apprête à l’annoncer et à la défendre face au médecin qui va me recevoir, un médecin qui porte le prénom de Bérénice et qui est radiologue/oncologue. Je ne sais rien de plus. Je souhaite qu’elle soit à mon écoute, qu’elle soit expérimentée, qu’elle soit souriante, qu’elle soit jolie serait un plus que certains jugeront futile, mais qui a toujours eu son importance pour moi dans mes rencontres avec les blouses blanches.
Elle est tout ça. Et elle n’a pas de blouse blanche.
Je sais que je vais pouvoir lui parler et elle m’écoute. Il le faut bien, puisque, sur le formulaire que l’on m’avait donné à remplir dans la salle d’attente, la ligne « antécédents médicaux et chirurgicaux » mesurait 1 cm et demi de hauteur. Pas plus. J’avais dit à Simon : « Je fais comment ? », il avait rigolé et m’avait répondu : « Ils n’ont qu’à consulter ton dossier médical partagé, tout est dedans, je te le tiens à jour. » Et il avait haussé les épaules.
Donc, ma Bérénice, elle était devant une ligne vide et elle me dit : « Je vois que vous allez bien, mis à part le sein. » Je lui ai répondu que je ne pouvais pas inscrire ma réponse à leur question dans une case haute de 1 cm et demi et j’ai ajouté : « Je préfère me taire, à force ça me fait honte d’avoir besoin d’une feuille A4 pour résumer mon parcours. » Elle a compris, elle a pris une feuille A4 et m’a dit avec son sourire qui éclaboussait toute la pièce : « Je vous écoute. »
Ensuite, elle a été rassurante. J’ai effectivement un truc étrange dans le sein, des calcifications qui se développent sur la cicatrice interne et leur particularité est de « pointer comme des nouilles qui cherchent à sortir » selon l’expression de Bérénice, un peu voyoute comme elle. Quand elle m’a montré l’écran, j’ai plutôt vu des stalagmites. Celles qui montent, contrairement à celles qui tombent, les stalactites, et qui m’ont rappelé mes cours de sciences et mes visites dans les grottes de Sassenage quand j’étais enfant.
« Ce n’est pas forcément grave, mais je vais tout de même vous faire une biopsie pour lever le doute d’une récidive de cancer », me dit-elle. Quand je lui demande ce qu’il va advenir de ces « nouilles stalagmites » qui cherchent la porte de sortie, elle me répond qu’elles ne renonceront pas à l’évasion et elle ajoute que c’est quand même assez rare de voir évoluer une cicatrice de cette manière. J’ai l’habitude que mon corps déconcerte les médecins, mais je me dis que, jusqu’au bout, j’y aurais droit.
Et justement, pendant qu’elle range son matériel et que l’infirmière dédiée au pansement est pratiquement debout sur mon sein pour arrêter le saignement et éviter l’hématome, je dis à Bérénice que je ne souhaite plus conserver mes seins jusqu’au bout. Elle évoque timidement la notion d’amputation et je lui réponds libération. Elle n’hésite plus, elle ne cherche pas à me convaincre. Elle me regarde droit dans les yeux et me dit : « Je vous comprends. »
Je suis rentrée chez moi et j’ai envoyé un mail à mon chirurgien plasticien. Parce que figurez-vous que, dans mon parcours et dans mon réseau de médecins, je me paie le luxe d’avoir un chirurgien plasticien !
C’était bien que tout cela arrive un 25 novembre, le jour où l’on voudrait rappeler à ceux qui ne l’entendent toujours pas que la liberté des femmes ne peut pas être dictée par des stéréotypes de séduction véhiculés par une société patriarcale.

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