mercredi 27 août 2025

La valse effrénée des prénoms

 



Lorsqu’on écrit, on raconte des histoires, des histoires estampillées vraies, des romans qualifiés de fictions alors qu’ils racontent bien plus que les textes estampillés et garantis vrais. 

On invente des personnages, on prévient qu’ils sont inventés alors qu’ils hantent nos vies et sont plus réels que dans la vie. 

On nomme nos personnages avec des prénoms qui leur correspondent et qu’il faut s’approprier pour les aimer d’autant plus que, parmi ces personnages, il y a toujours celui ou celle qui incarne l’auteur, même quand le texte n’est pas écrit à la première personne. 

J’envie Jean-Paul Dubois, qui avait dû anticiper le charivari qu’il risquait de provoquer dans ses neurones et qui a prudemment fait le choix de toujours s’appeler Paul quoi qu’il arrive. 

Comme je n’ai pas eu cette sagesse, je me retrouve baptisée d’une multitude de prénoms. Une flopée telle que je ne sais plus me nommer lorsque je ne sais plus qui je suis — bien que la liste de mes parutions soit modeste —, mais, en revanche, il arrive souvent que je ne sache plus qui je suis. Au fil des réécritures, des relectures, des manuscrits abandonnés, de ceux à venir, de ceux en gestation, mes prénoms se sont ainsi multipliés ou parfois transformés au gré des modifications apportées lors de la relecture du texte. La fonction de Word : « rechercher et remplacer partout » est ma meilleure alliée ! 

Ma naissance avait anticipé ce gros fouillis puisque je devais m’appeler Sophie et que, finalement cela n’a pas été possible, le prénom était interdit et il a fallu m’appeler Véronique.
Je démarrais dans la vie avec un prénom de remplacement (mais sans l’intervention de Word), et un de mes oncles, qui n’avait jamais pu se résoudre à cette modification, m’a toujours appelée, « ma Sophie ». Mon père ne manquait pas de me le rappeler lui aussi, comme une erreur dont il ne se serait jamais remis. 


Dans mon premier livre, un témoignage, je me suis donné le nom de Véra. C’était un stratagème pour que cela semble authentique, sans pour autant l’être complètement. Ensuite, cela a été Sophie pour tenter d’influencer le karma, mais cela n’a pas fonctionné et Sophie est devenue Rachel dans la version finale du roman. Dans une adaptation de ce texte pour le théâtre, j’ai renommé Rachel, Adèle. Il y a eu Aline aussi, mais elle est restée dans mon disque dur, et puis Suzanne, parce que c’est mon deuxième prénom. Dans le roman à paraître cet automne, c’est Paula. Parce que j’aime la peintre allemande Paula Becker et aussi parce que c’était mieux que Paulette. Dans le roman que je termine, c’est Judith. Judith, qui est juive, mais qui s’en fout, qui n’y pense jamais. 


Et puis, il est advenu ce que je n’avais encore jamais envisagé. Qu’un autre me baptise d’un prénom de son choix et découvrir la semaine dernière, que je pouvais m’appeler Laetitia. 

Un prénom que je n’avais jamais eu en tête. 

Seulement avec Gainsbourg qui, sur sa Remington portative, écrit son nom Lætitia.

« C’est ma douleur que je cultive

En frappant ces huit lettres-là

Elaeudanla Teïtéïa »



lundi 18 août 2025

La mosaïque de la vie

 



Mosaïque © Olivier Gramond

La mosaïque de la vie


C’est un chemin formé de fragments de pierres unis, de pierres colorées, d’émail, de verre, ou encore de céramique qui, s’ils étaient assemblés pour composer des motifs ou des figures artistiques, s’appellerait une mosaïque.
Là, sur mon chemin, rien d’artistique ou d’étudié : plutôt un grand vrac d’éclats de formes multicolores dont on pourrait parfois trouver que leur juxtaposition n’est pas du plus bel effet, quand elle n’est pas carrément inesthétique. Mais c’est la vie : on ne choisit pas, et on se retrouve souvent avec un résultat moche, bien loin d’une œuvre artistique étudiée où chaque tesselle, c’est le mot pour le fragment qui compose une mosaïque (j’ai un ami qui est mosaïste), a été placée avec réflexion et intelligence.
Sur mon chemin, chaque tesselle correspond à un personnage, par exemple, ma mère, mon père, mes frères, et ceux-là se retrouvent à plusieurs reprises au fil du chemin de mosaïque. Ils n’ont pas été choisis, ils sont là. Il y en a énormément qui n’ont pas été sélectionnés, je pense aux sales types, aux violeurs, aux méchants, aux haineux, aux jaloux, aux pervers, aux criminels, aux tueurs, ils sont tous là, eux aussi, sur mon chemin, et ils se mélangent, se croisent, font connaissance. Parfois, à ma grande surprise, j’ai vu des solidarités inattendues se créer entre des tesselles que j’aurais tellement souhaité voir se détruire pour me défendre. Il y a les tesselles amies, celles qui ne le sont plus, celles qui le sont toujours. Il y a des tesselles d’objets qui me font plonger, un vélo, un pull, des chaussures, un voile. Il y a les tesselles de mots, péché, confession, pardon, qui ne valent pas mieux.
J’ai passé des nuits à échafauder des plans pour reconstruire ma mosaïque, et desceller ces petits fragments désagréables qui s’étaient imposés. Ne plus les voir, ne plus les sentir sous mes pieds.
Mais pour mon plus grand malheur, j’avais eu, un jour, l’idée stupide de recouvrir ma mosaïque d’une épaisse couche de résine. C’était une manière de tout lisser… Et puis, c’était à la mode de faire des inclusions et de figer des objets divers dans la résine. Puis la mode a passé ou la résine me coutait trop cher et je n’ai plus coulé de résine sur mon chemin, j’ai simplement posé les tesselles avec un peu de liant. C’était brut, c’était bien plus élégant et surtout, cela me permettait de revenir sur ma mosaïque, de bouger des pièces, d’en enlever, d’en ajouter. Je pouvais faire du tri. Supprimer.
Mais quant à l’immense chemin en amont, celui qui est figé, lissé dans la résine, c’est irréversible.
Je passe mes journées à revenir dessus à gratter, à creuser, à entamer cette foutue résine qui résiste à tous mes efforts.
Je m’épuise en vain à vouloir faire disparaitre des tesselles de ma vie.

mardi 12 août 2025

Avoir été pris en photo au côté d’un criminel, d’un terroriste, fait-il de vous un criminel ou un terroriste ?

Photo : Dammas Hordijk et Véronique Piaser-Moyen. Décembre 1985.


Avoir été pris en photo au côté d’un criminel, d’un terroriste, fait-il de vous un criminel ou un terroriste ? (ça marche au féminin)
J’ai été amenée à me poser cette question quand on m’a mis sous le nez, en commentaire à mon partage d’un post d’Amnesty International, une photo de Anas Al Sharif aux côtés de Yahya Sinwar, pour me démontrer que je faisais fausse route en défendant la mémoire du journaliste assassiné.
Pour rappel, Anas Al Sharif est le journaliste d’Al Jazeera qui a été tué à Gaza par une frappe d’Israël avant-hier le 10 août 2025, avec cinq de ses confrères, et Yahya Sinwar est l’ancien chef du Hamas. 

Une photo vous transforme-t-elle en terroriste ou en criminel et justifie-t-elle qu’on vous assassine ? 


J’ai immédiatement pensé aux années 1985-1986 et à Dammas Hordijk. Nous travaillions ensemble pour les adoptions internationales au Sri Lanka. Dammas était l’un des plus grands trafiquants européens d’enfants dans le monde et il était mon ami. Nous l’avions reçu chez nous par trois fois et j’avais envoyé mon fils en vacances chez lui à Nimègue. 

J’ai collaboré avec Dammas, durant un an, j’ai aidé cinquante familles françaises à adopter un enfant, c’est-à-dire que j’ai envoyé cinquante familles et cinquante enfants dans le mur. Je me suis associée avec un criminel, puisqu’avant Sri Lanka, il avait fourbi ses armes en Amérique du Sud. 

J’ai été amie avec un criminel. Cela fait-il de moi une criminelle pour autant et sur la seule foi de photos et de documents ? Puisque dans mon cas, il y a aussi des documents où mon nom est associé à celui de Dammas Hordijk. 

Ces documents et ces photos justifieraient-ils que je me prenne une rafale de fusil mitrailleur ? 


Je me suis déjà pris les attaques des représentants des ministères qui n’avaient que ces misérables documents à me sortir pour prouver que j’étais coupable de ce que je voulais dénoncer. J’avais cherché à me faire passer pour une lanceuse d’alerte alors que, selon eux, je savais, et qu’ils m’avaient débusquée. Je me suis défendue et, ce jour-là, ils avaient compris que mon nom accolé à celui de Dammas Hordijk ou que des photos ne suffisaient pas à me condamner. J’avais réussi à les convaincre que je n’aurais jamais participé à un trafic d’enfants si j’avais su à quoi se livrait Dammas Hordijk. Et ils avaient compris. 

Malgré tout cela me poursuit. Dans les deux sens du terme. Dans ma tête et dans mon action. Mon nom figure pour toujours à côté du plus grand trafiquant européen d’enfants et, sur les photos je pose souriante à côté de lui, sa main entourant mon épaule. C’est une preuve irréfutable selon ceux qui ne veulent pas chercher à comprendre. 


Cela a suffi à la juge d’instruction pour classer l’affaire.  

Et cela suffira toujours à ceux que ça arrange, pour justifier que je dois être éliminée.