Elle s’appelle Alice.
Je la rencontre tous les matins où je vais boire un café à l’Agora sur la place Nationale.
Elle est attablée devant la page des mots croisés de la Dépêche et du Parisien, sauf le mardi, jour de fermeture de l’Agora où elle se replie au Marakana.
Rien ne semble pouvoir la faire déroger à son rituel et je l’envie.
Il y a quelques mois, j’en ai su un peu plus sur elle. C’est elle qui nous avait interpelés et je m’étais autorisée à la questionner.
Le bic en l’air, elle nous avait demandé :
« Je bute sur une définition : sandove, c’est quoi ? Ce ne serait pas un mot d’informatique ? Vous, vous devez savoir ! »
On avait réfléchi, mais moi, si on ne prononce pas exactement comme il faut, je ne comprends pas et c’est Simon qui avait immédiatement réagi en lui disant :
« C’est sandow, c’est un tendeur ! », et elle avait replongé le nez dans sa grille en acquiesçant : « Ben oui ! C’est tendeur. Il me manquait le d ! Merci ! »
Grâce à ce d manquant, nous avions entamé une petite discussion.
J’avais appris qu’Alice avait quatre-vingt-dix ans, qu’elle venait à pied chaque jour, depuis chez elle, un peu plus de deux kilomètres aller-retour, qu’elle faisait des mots croisés depuis ses dix-huit ans et que, quand elle ne faisait pas de mots croisés, elle consacrait sa vie à Dieu.
Je n’en ai pas su bien plus, seulement que la solution à tous nos problèmes réside en Dieu. Elle était formelle sur ce point, bien plus que pour le sandove récalcitrant.
Ce matin, quand Simon m’a traînée sur la place Nationale pour y boire un café, Alice y était aussi, comme tous les jours. Elle avait toujours l’air aussi heureuse. Comme si de rien n’était alors que pour moi, tout y était, et du mauvais côté.
Nous nous sommes dit bonjour selon nos habitudes. Je dis : « Bonjour Alice ! » et elle me répond : « Bonjour Madame ! »
Ce matin, je lui ai demandé si je pouvais la prendre en photo, juste ses mains sur la grille des mots croisés, elle m’a demandé pourquoi je voulais la prendre en photo et je lui ai expliqué que j’écrivais, et qu’aujourd’hui j’allais écrire un billet sur elle. Elle m’a dit : « Vous pouvez bien prendre ma tête aussi, je n’ai rien à cacher ! » et elle a posé immobile. Puis elle a repris sa grille, souriante.
Est-ce que ce n’est pas Alice qui a raison, puisqu’elle a l’air si heureuse et insouciante ?
Je ne veux pas savoir pour qui elle vote, peut-être pour Dieu.
La seule chose qui m’inquiète, c’est le matin où je ne verrai plus Alice à la terrasse de l’Agora.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire