samedi 29 juin 2024

Mes chers différents

 

Nicolas Petisoff ©️Julie Glassberg



Aujourd’hui et demain, veille et jour de vote, je ne vais pas parler politique. 

Je vais parler des différences.

Je vais vous présenter des "différents" :  Sonia, Magali et Nicolas. 


Sonia, quarante et un ans, la plus jeune des différents. Et aussi la plus petite. Elle mesure 123 cm, sans ses échasses. Ça, c’est elle qui l’ajoute toujours, le coup des échasses. Pour la décrire, la comparaison la plus facile c’est de vous dire, Mimi Mathy et ensuite vous allez directement penser à Fort Boyard. C’est comme ça, c’est inévitable. C’est un réflexe normal. Je viens d’évoquer Mimi Mathy et je ne peux m’empêcher de penser à ma belle-mère qui à chaque apparition de Mimi Mathy dans le Théâtre de Bouvard, commentait par un : « Elle est quand même mignonne la petite naine ! » J’aurais voulu lui signaler qu’elle commettait un pléonasme de taille et éventuellement oser lui demander pourquoi elle la trouvait mignonne « quand même ». Je n’ai jamais rien dit et j’ai entendu cette remarque durant des années, avant le JT du 20 heures, lorsque nous allions dîner chez elle. J’aurais pu oublier, mais dès que je vois Sonia, c’est plus fort que moi je repense à ma belle-mère. D’ailleurs elle aurait voté pour qui ma belle-mère, la femme du peuple, l’ouvrière qui abhorrait les salauds de patrons ? 

Donc la différence de Sonia, c’est d’être naine. 

C’est déjà un bon gros dossier pour démarrer dans la vie et jusque-là on pourrait la penser à égalité avec Mimi Mathy à quelques centimètres près : neuf en plus pour Mimi, et comme dit Sonia, à notre niveau de hauteur, neuf centimètres, ça compte.

Pour épaissir le dossier, Sonia est arabe. 

Bien brune, bien frisée, bien typée, bien identifiée. 

Pour faire déborder le dossier, Sonia a été abandonnée puis adoptée. 


La deuxième amie, c’est Magali, quarante-quatre ans. 

D’elle, on pourrait dire qu’elle n’a que des différences !  

Magali est noire typée indienne, c’est ainsi qu’elle se décrit et qu’on la voit. 

Elle est lesbienne. Elle ne s’en cache pas et l’affirme haut et fort. 

C’est une militante écologiste, féministe, militante de la cause LGBTQIA+ et de la lutte antiraciste. 

Elle vit à Hénin-Beaumont ce qui peut être assimilé à une forme de handicap quand on sait que Magali s’est présentée à des élections face à Marine Le Pen. 

Magali a été abandonnée au Sri Lanka, puis adoptée par une famille française. 

Depuis cette semaine, elle, qui se sent tellement française, envisage de récupérer sa nationalité sri lankaise pour se payer le luxe d’être officiellement binationale, pour être militante jusqu’au bout et acter sa double identité. 


Mon troisième ami bourré de différences, c’est Nicolas. Nicolas Petisoff.

Comédien, metteur en scène, il a quarante-cinq ans. 

Homosexuel revendiqué et fier de son orientation sexuelle. Je l’ai rencontré sur scène et je l’ai aimé immédiatement. 

La voilà sa différence : être pédé. Ah oui ! Vous croyez qu’on ne peut pas dire « pédé » ? Mais si ! Quand on ne leur met pas sur la gueule, on peut ! Allez leur demander, ce n’est pas du tout une injure quand on les aime. Et moi, je les ai toujours aimés. Ce sont des hommes dont je n’ai pas peur, je peux passer l’après-midi vautrée sur un lit avec l’un d’entre eux à regarder la téloche sans appréhender qu’il s’approche de moi et me touche. Ce sont les seuls hommes que j’embrasse sans crainte. 

Nicolas est blanc. Il a cette chance. 

Mais, bon, faudrait pas croire non plus… Nicolas a été abandonné puis adopté. 


Depuis le 9 juin à 21 h, j’entends leurs frayeurs. 

Est-ce qu’ils vont devoir vivre dans une France où la xénophobie et l’homophobie ne seront plus seulement banalisées, mais institutionnalisées ? 

Que vont devenir les spectacles vivants et la culture en général ? 

Et la littérature ? La liberté des mots ? Ma liberté. 

Ce samedi 29 juin, vingt jours après la dissolution de notre démocratie et veille du premier tour des législatives, je pense à Sonia, Magali et Nicolas, je pense à toutes celles et tous ceux qui sont différents et qui seront visés par la haine. 

Je pense aux femmes qui seront elles aussi les premières à payer le prix de l’ordre et de la morale. 

Je pense à ma fille. Je ne pense plus qu’à elle. Comment et pendant combien de temps vais-je pouvoir la protéger et la rassurer ? 

C’est effrayant. 

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"Comment avouer son amour quand on n'a pas le mot pour le dire ?"
Spectacle de Nicolas Petisoff et Denis Malard à Avignon du 4 au 21 juillet.
https://lebureaudesparoles.fr/spectacles/comment-avouer-son-amour-quand-on-ne-sait-pas-le-mot-pour-le-dire/ 




dimanche 23 juin 2024

Alice

 


Elle s’appelle Alice. 
Je la rencontre tous les matins où je vais boire un café à l’Agora sur la place Nationale. Elle y est attablée devant la page des mots croisés de la Dépêche et du Parisien, sauf le mardi, jour de fermeture de l’Agora où elle se replie au Marakana. 
Rien ne semble pouvoir la faire déroger à son rituel et je l’envie.

Il y a quelques mois, j’en ai su un peu plus sur elle. C’est elle qui nous avait interpelés et je m’étais autorisée à la questionner. Le bic en l’air, elle nous avait demandé : « Je bute sur un mot : sandove, ça veut dire quoi ? Ce ne serait pas un mot d’informatique ? Vous, vous devez savoir ! » On avait réfléchi, mais moi si on ne prononce pas exactement comme il faut, je ne comprends pas et c’est Jean-Noël qui avait immédiatement réagi en lui disant : « C’est sandow, c’est un tendeur ! » et elle avait replongé le nez dans sa grille en acquiesçant : « Ben oui ! C’est tendeur. Il me manquait le d ! Merci ! »

C’est ce jour-là que nous avions entamé une petite discussion et que j’ai appris qu’Alice avait quatre-vingt-dix ans, qu’elle venait à pied tous les jours, depuis chez elle, un peu plus de deux kilomètres aller-retour, qu’elle faisait des mots croisés depuis ses dix-huit ans et que quand elle ne faisait pas de mots croisés elle consacrait sa vie à Dieu. Je n’en ai pas su bien plus, seulement que la solution à tous nos problèmes passait par Dieu. Elle était formelle sur ce point, bien plus que pour le sandove récalcitrant. 

Ce matin, quand Jean-Noël m’a trainée sur la place Nationale pour y boire un café, Alice y était aussi, comme tous les jours. Elle avait toujours l’air aussi heureuse. Comme si de rien n’était alors que pour moi, tout y était et du mauvais côté. 
Nous nous sommes dit bonjour selon nos habitudes. Je dis : « Bonjour Alice ! » et elle me répond : « Bonjour madame ! » 

Ce matin, je lui ai demandé si je pouvais la prendre en photo, juste ses mains sur la grille des mots croisés, elle m’a demandé pourquoi je voulais la prendre en photo et je lui ai expliqué que j’écrivais des billets et qu’aujourd’hui j’allais écrire un billet sur elle. Elle m’a dit : « Vous pouvez bien prendre ma tête aussi, je n’ai rien à cacher ! » et elle a posé immobile. Puis elle a repris sa grille, souriante. 

Est-ce que ce n’est pas Alice qui a raison puisqu’elle a l’air si heureuse et insouciante ?

Je ne veux pas savoir pour qui elle va voter dimanche, peut-être pour Dieu. 
La seule chose qui m’inquiète, c’est le matin où je ne verrai plus Alice à la terrasse de l’Agora. 


mercredi 12 juin 2024

LE SEUL ET UNIQUE BON PLAN HONNÊTE POUR SE METTRE EN AVANT.


Pour faire la une, il suffit d’annoncer la dissolution de l’Assemblée nationale le soir d’un résultat de scrutin d’élections européennes. 

Pour faire la une, il suffit de se réclamer du gaullisme et de rallier le Pen.

Pour faire la une, on peut aussi péter en direct en pleine interview sur France Info.

C’est ce que j’ai découvert hier soir, les faits dataient de 2023 et m’avaient totalement échappé. Comme le prout en direct. 

Ces trois propositions — nous pouvons le vérifier depuis dimanche soir — fonctionnent parfaitement. Elles provoquent la même réaction de sidération, puis vous propulsent dans toutes les conversations, tous les JT de France et d’Europe et vous permettent de faire des milliers de vues sur internet. Ce sont des propositions alléchantes pour occuper la première place dans l’actualité ou sur internet. 

J’y ai donc réfléchi. 

La première proposition est une trahison. La trahison de celui pour lequel j’avais voté en pensant faire barrage à ceux auxquels il ouvre grand la porte. 

La deuxième proposition est tellement odieuse pour la démocratie que je n’y céderais évidemment jamais. J’ai les paroles de l’Aziza en tête : « Petite brune enroulée d’un drap court autour de moi. Ses yeux remplis de “pourquoi ” cherchent une réponse en moi (…) laisse glisser les mauvais regards qui pèsent sur toi. L’Aziza ton étoile jaune c’est ta peau, tu n’as pas le choix, ne la porte pas comme on porte un fardeau. Ta force c’est ton droit. »

La troisième proposition, celle du pet qui vous échappe en direct, est certes, la plus triviale, mais la seule qui soit honnête, car elle ne fera pas de mal à la démocratie, elle ne mettra personne en danger, elle ne provoquera pas de crise d’angoisse, elle ne bousillera aucun projet, elle ne détruira pas des espoirs, elle ne nuira à personne parce que c’est juste un pet, mais elle peut faire des milliers de vues sur internet.

C’est donc le seul bon plan pour se mettre en avant.
https://www.dailymotion.com/video/x8qjp7p