Nous déménageons et depuis deux mois nous trions nos affaires.
Nous nous sommes séparés de beaucoup de choses inutiles ou qui n’allaient plus avoir leur place dans le nouveau logement. On a revendu ce que l’on pouvait revendre, car nous avions besoin d’argent et on a donné ce qui n’avait pas trouvé preneur.
Il restait une table qui n’intéressait personne, alors on a demandé à Emmaüs de passer la récupérer.
Le gros manque de chance, c’est qu’il y a des travaux dans une maison voisine et que notre rue est barrée depuis plus d’une semaine, et ce, jusqu’au 1er avril. Cela n’est jamais arrivé depuis plus de quatre ans que nous habitons ici et ça arrive pile quand on déménage. Ça n’est pas trop grave, on a prévenu le déménageur que lundi prochain il devrait faire une marche arrière pour repartir.
Je reviens à Emmaüs dont le passage était prévu pour ce matin et qu’il a fallu aussi prévenir que notre rue était barrée, mais qu’ils pouvaient quand même venir chercher notre table. On n’a pas osé trop insister sur la marche arrière qu’ils devraient faire.
Hier, il a fallu prendre notre courage pour descendre la table au rez-de-chaussée, car Emmaüs demande que l’on dépose les meubles dans la rue.
On a commencé par le plateau en verre que l’on est parvenu à apporter au bas de notre escalier en colimaçon sans le briser.
Et ensuite, on s’est occupé de toute la structure en métal qui était super lourde et qui tournait à peine dans la cage d’escalier dont on essayait de ne pas labourer les murs en pensant au futur propriétaire qui a quand même payé plusieurs milliers d’euros et auquel on ne veut pas laisser une cage d’escalier complètement ruinée.
On y est arrivé.
On s’est jeté sur le canapé pour récupérer.
Jno en boite encore.
Mais on y est arrivé.
Ce matin on s’est levé tôt pour sortir la table dans la rue. Jno ne voulait pas louper Emmaüs et il ne m’a pas laissé m’habiller, j’ai fait la manipulation en pyjama.
Ce coup-ci, c’était assez simple, une distance très courte sur du plat.
Et c’était fini, on pouvait de nouveau se jeter sur le canapé.
Jno est parti à la boulangerie, il boitait toujours.
Quand il est rentré cinq minutes plus tard, la baguette sous le bras, il m’a dit :
— La table n’y est plus ! Tu as vu le camion d’Emmaüs ?
— Non, je n’ai rien vu.
Et là, on s’est regardés, chacun dans un profond questionnement et Jno m’a dit :
— Je vais voir.
Il est parti dans la rue, toujours en boitant. Moi je le suivais, toujours en pyjama.
Il est rapidement entré dans la cour intérieure de la maison en travaux. Je suis arrivée sur ses talons pour voir notre table qui trônait au milieu de la cour.
Les trois mecs qui étaient là, à côté de la table, ont eu l’air surpris de notre arrivée imprévue. On leur a demandé ce que faisait notre table dans leur cour et qu’en quelque sorte, ils nous l’avaient volée, qu’elle ne leur était pas destinée, qu’elle était devant chez nous pour Emmaüs.
Leur réponse a été époustouflante :
— Vous ne l’aviez pas étiquetée !!!!
On a essayé de leur dire que ça ne nous était pas venu à l’idée de mettre une étiquette précisant qu’il ne fallait pas voler la table, mais en vain.
L’un des trois, qui semblait être le chef du chantier, avait décidé que nous avions tort. Le type de raisonnement dont nous avons l’habitude depuis maintenant quatre ans, on est super entraînés à avoir tort.
J’ai néanmoins senti pendant quelques instants, les limites d’un basculement en leur faveur, je me suis vue en pyjama et pantoufles à pompons et Jno qui boitait toujours, c’était compliqué, comme on dit.
Mais il devait nous rester un semblant de dignité, car ils ont rapidement capitulé et nous ont dit :
— Elle n’était pas étiquetée, mais on va vous la rendre.
Et ils ont empoigné notre table et ils ont refait le trajet dans la rue, jno, et moi en tête de procession, l’un qui boite et l’autre en pyjama et pantoufles à pompons.
Depuis son balcon, la voisine qui ressemble à la Janine de Reiser n’en a pas loupé une miette.
Une heure plus tard, Emmaüs est passé récupérer notre table.