©Saint-Exupery
« Les
personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toute
ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne
saurait être que fortuite ».
Ce qui veut dire que
quand je parle de mes amants stupides, il est inutile de lancer un avis de
recherche puisque je n’ai jamais eu d’amants stupides vu que je n’ai jamais eu
d’amants. Mais quand je parle de mes enfants, je parle vraiment de mes enfants
vu que j’ai vraiment des enfants, là justement on est dans le cas d’une
ressemblance qui n’est pas fortuite. Il faut donc adapter avec souplesse cette phrase
toute faite aux situations que j'évoque dans mon billet.
Écrire. Le
titre est déjà pris et sans doute
plusieurs fois et peut-être que cette abondance de « Écrire » (je
mets un s ou pas … ) déjà écrits peut m’autoriser à envisager un récit que j’appellerais
« Écrire », cela n'en ferait qu'un de plus.
Je viens encore
d’aller vérifier sur Google que ce titre n’est tout de même pas une idée originale,
Lionel Duroy a évidemment eu l’idée avant moi, (déjà que j’ai l’impression qu’il
m’a piqué « Le chagrin » et je peux le dire car je sais que ce n’est
pas lui qui me fera un procès même d’intention), le titre revient dans des
publications qui sont plutôt du genre Comment écrire un roman en trois jours ?
ou Méthodologie pour écrire un livre.
Il faut sans
doute commencer par là mais pour moi c’est trop tard.
Écrire c’est l’art du sommet que l’on n’atteint jamais, les mots qui s’emboitent
et rythment le souffle de celui qui écrit jusqu’à l’étouffement pour les rendre
au lecteur dans une respiration fluide qui ne laisse jamais suspecter les
apnées de celui qui les a écrits.
Écrire c’est le
mot que j’écris comme des moutons sur des lignes imaginaires pour m’endormir, j’écris
des moutons blancs dans mes nuits noires.
Et je finis par rêver que j’écris qu'il est possible d’écrire sa vie et
celle des autres comme si c’était une liberté autorisée et sans danger.
Chacun de mes enfants est un personnage de roman, chacun d’entre eux est un
véritable héros que je voudrais raconter sans l’inventer ni le transformer. Ils
ne savent pas combien ils m’inspirent et me surprennent par leur capacité à
rendre ma vie plus déconcertante qu’un roman picaresque. Je n’écrirai jamais ce
roman déjanté où j’aurais fait se côtoyer les personnages de Stendhal, Kérouac et
Tolstoï dans une même saga familiale déroutante et touchante. Je n’écrirai pas
ce roman de vies qui ne sont pas les miennes.
Il serait plus envisageable d’écrire et de raconter les hommes que j’ai croisés dans
ma vie. C’est ce que j’écris la nuit quand j’aligne mes mots-moutons sur une
ligne imaginaire.
Pas mal d’entre eux sont déjà morts ce qui représente l’avantage imparable qu’ils
ne seront pas au courant que j’envisage d’écrire sur eux et que je pourrais
donc me permettre quelques petites critiques ou mises au point et carrément me
moquer d’eux sans crainte. Toujours obsédée par l’écriture de mes moutons
blancs dans mes nuits noires, je fais le compte des hommes sur lesquels j’aimerais
écrire, ceux sur lesquels j’ai des choses gentilles à dire, ceux à qui j’aimerais
régler leur compte (ceux-là, tant qu’à faire il faudrait qu’ils soient vivants
pour que mon soulagement à leur régler leur compte soit réel), ceux dont j’aimerais
garder le souvenir et le transmettre, les vivants, les encore vivants, les
morts, je fais des colonnes dans mes lignes, je range les mots-moutons dans des
parcs à mouton, je liquide quelques amants stupides qui ne me valorisent pas,
je classe tous ces hommes dans des chapitres et je m’endors sur leur laine
tondu.
Les mots se
couchent sur la laine de mes moutons
tondus, mes mots sont empêchés.
Quand les moutons de mes nuits noires se sont enfin endormis, je me souviens qu’il
existe une histoire où tout semble plus simple si l’on prend la décision de
dessiner un mouton plutôt que de chercher à l’écrire.
Alors je dessine des moutons, certains sont rouge et noir, d’autres font la guerre
et la paix, d’autres encore sont sur la route.
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