samedi 26 novembre 2016

La baleine blanche était noire.


Ce billet est dédicacé à mon fils Dylan.

On ne saura jamais si David Hamilton était coupable des viols dont il est accusé par des femmes qui ont témoigné contre lui, puisque ce matin nous avons appris qu’il s’est suicidé.
Et ce qui est terrible c’est que nous ne saurons jamais et que pour ces femmes, la justice ne sera jamais rendue et qu’elles vont sentir le doute planer pour le reste de leurs jours.
Je n’en sais rien moi-même quant à la culpabilité ou non de cet homme.
Je sais que je n’aime pas ses photos que je trouve très malsaines et que la liberté des années 70 et 80 ne peut fournir aucun alibi pour ces images.
C’est ce que j’avais écrit il y a quelques semaines quand Flavie Flament avait fait ses déclarations à la presse et c’est ce que j’ai de nouveau écrit ce matin à l’annonce du suicide de David Hamilton.

Rien n’a changé pour moi et je m’en serais tenue à ces mots si je n’avais lu des propos mettant en cause les parents des jeunes filles et leur responsabilité quant à ce qui avait pu arriver à leurs filles respectives. Des propos affirmant que les parents sont coupables.

Si nous sommes sensibles Jean-Noël et moi à ce type de commentaires, c’est que nous nous sommes trouvés il y a environ 30 ans dans la peau de ces parents.
J’avais eu l’occasion d’en parler publiquement avec Dylan qui avait lui aussi livré ses souvenirs.
L’époque des années 80 était sans doute bien différente et nous étions moins méfiants, moins informés, moins protecteurs et bien plus naïfs.
Une association Nantaise « La baleine blanche » proposait alors  d’emmener des enfants pour une année de vie sur un bateau autour du monde. Nous avions eu connaissance de ce projet associatif par Libé qui leur avait consacré un long et élogieux article qui nous avait mis en totale confiance.
C’était aussi très à la mode et dans l’esprit de « Libres enfants de Summerhill ».
Nous avons alors proposé à Dylan qui devait avoir 13 ans environ, de partir avec eux. La machine s’est rapidement mise en marche avec l’accord du chef d’établissement pour l’année scolaire à venir et nous avons contacté les responsables de l’association pour inscrire Dylan à ce tour du monde.
Je ne me souviens plus exactement de tous les détails de ce projet mais je garde à l’esprit notre enthousiasme et notre fierté à voir notre fils y  participer.
Il était prévu que les enfants soient sélectionnés par l’association avant le départ.
Je crois aussi me souvenir que ce stage d’immersion de trois jours a eu lieu dans le sud de la France, peut-être les Cévennes … Dylan doit se souvenir.
Nous avions donc emmené notre fils à ce stage et l’avions laissé pour ces trois jours.
J’ai sans doute dit ou fait sentir à Dylan qu’il ne faisait aucun doute pour moi qu’il serait sélectionné. Je le voyais déjà sur le pont du voilier de La Baleine Blanche…
Et puis nous sommes revenus le récupérer à l’issu de ce stage de sélection.
Nous avons été reçus par le président de l’association, un homme d’une trentaine d’années, qui nous a dit que notre fils n’avait pas passé les sélections.
Je n’ai pas de souvenirs précis de cet entretien qui remonte à maintenant trente ans, mais je sais que je n’avais aucune sympathie pour cet homme que nous avions déjà rencontré et dont je n’arrivais pas à cerner la personnalité. À ce moment-là, j’ai pensé que finalement, c’était peut-être mieux de conclure ainsi.
Nous sommes rentrés chez nous (Grenoble à l’époque) et Dylan ne disait rien à l’arrière de la voiture. Tassé et enfermé dans son mutisme.
Je pensais qu’il était déçu et plus tard il m’a dit : - J’avais peur de vous avoir déçus.
Et puis on n’en a plus parlé.
On a oublié car dans le fond ce n’était pas si important que ça pour nous les parents.
Il y a quatre ou cinq ans, je vois qu’une chaine de télé diffuse un documentaire sur l’association de La Baleine Blanche et je me dis : - Tiens, on va voir ce qu’ils sont devenus.
Et j’ai vu l’horreur sous mes yeux. Jean-Noël a vu aussi.
Le documentaire ne racontait pas l’épopée joyeuse d’une douzaine d’enfants faisant le tour du monde sur deux voiliers mais les abus sexuels dont ils avaient été victimes dans le huis clos d’un bateau …
Soudain nous réalisions vers quoi nous avions précipité notre enfant.
La honte nous a saisis au souvenir de nos espoirs à voir Dylan partir en mer avec eux, la honte d’avoir eu envie de nous sentir fiers que notre enfant soit choisi.
La nuit a été longue avant que je ne puisse en parler avec Dylan et lui demander s’il savait, ce qu’il savait et ce qui avait pu se passer pendant le stage de sélection. 
Dylan m’a raconté que lors du stage, il avait bien senti qu’il ne ferait pas l’affaire et qu’il était mis de côté. Je ne sais pas vraiment ce qu’il a compris ou pas pendant ces trois jours.
Je l’écoute me parler et me raconter trente ans plus tard que oui, il a su ce qui se passait sur les bateaux. Il avait eu l’occasion de rencontrer un des enfants sélectionnés qui lui avait parlé.
À nous ses parents, il n’a jamais rien dit, rien lâché pendant trente ans.
Il me dit que lorsque nous sommes venus le rechercher au stage, il avait eu peur de nous décevoir.
Des enfants arrivés à l’âge adulte ont porté plainte et il y a eu procès et condamnation du Président de l’association.
Nous, Jean-Noël et moi, parents responsables, ne comprenons toujours pas comment nous avons pu aller jeter notre enfant dans la gueule du loup, dans les mains du prédateur sexuel.
Nous sommes tout à fait conscients qu’à l’époque nous aurions été heureux et fiers que notre fils parte sur un voilier de La Baleine Blanche.
Nous sommes toujours ébranlés de réaliser qu’il s’en est fallu d’un cheveu qu’il ne soit embarqué dans un drame.
Nous avions été mis en confiance par une presse enthousiaste, par l’ambiance d’une époque libre.
Nous savons que ce jour-là, nous n’avons pas su mesurer le risque et que sans doute on peut nous qualifier de parents inconscients.
Aujourd’hui, je n’ai eu de cesse de regretter et de le dire à Dylan, de lui expliquer comment nous avions pu nous faire embarquer dans autant d’escroquerie.
Aujourd’hui je n’ai de cesse d’y repenser et de demander pardon à Dylan pour notre désinvolture.
Nous n’avons jamais cherché à dire que nous avions eu raison.
Aujourd’hui où j’entends que ce sont les parents des enfants abusés qui sont responsables et coupables, j’avais besoin de raconter une nouvelle fois cette sale aventure.

Ce sont les escrocs et les prédateurs sexuels qui sont coupables.
Les enfants sont abusés, leurs parents le sont aussi.

1 commentaire:

  1. Je me souviens et chaque fois qu'il est question de la Baleine Blanche, je pense à Dylan et vous et suis heureuse que Dylan, probablement alertê peut être sans le savoir mais je pense aussi parce que ses parents êtaient én arrière fond, ait fait en sorte de n'être pas sélectionné. L'idéologie de l'époque envers l'éducation libérée, la confusion entre la sexualité infantile et la sexualité adulte ont produit des dérives perverses terribles que nous mesurons après coup. C'est vrai que des parents sont aussi abusés, comme leur enfant. Mais je sais aussi ou plutôt je perçois aussi à travers des rêcits de patients différents que des parents s'abusent aussi. Il y a des circonstances où il n'est tout simplement pas possible que les parents, l'entourage familial, ne puissent pas s'interroger. Ils ne sont pas coupables, mais ils ne sont pas toujours innocents non plus tout à fait. Mais les vrais coupables, les salopards, les empoisonneurs sont les violeurs et les pédophyles.

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