Alain Delon est mort.
On savait qu’il allait mourir. Surtout depuis que Belmondo était mort, je ne sais pas vous, mais pour moi, ça avait été immédiat, dès la mort de Belmondo annoncée, j’avais pensé à Delon en me disant, ce sera le deuxième et c’est con parce que j’ai toujours préféré Belmondo. Comme quoi le physique, hein ?
Le premier film dans lequel j’ai vu Delon jouer, c’est « Borsalino » avec Belmondo. J’étais une petite ado et mon souvenir de ce film, ce n’est ni Delon ni Bébel, c’est Denis, le copain qui m’avait invitée au cinéma. C’était la première fois que j’allais seule au cinéma avec un garçon et je n’avais aucune idée de ce qui pouvait motiver un garçon à emmener une fille au cinéma. Pour moi, si on va au cinéma, c’est pour regarder un film. J’avais passé la séance les yeux rivés sur l’écran sans jamais attendre la moindre diversion de la part de mon copain au point qu’il n’y en a eu aucune. L’avais-je découragé en faisant preuve de ma seule passion cinéphile ? Avait-il lui aussi le cinéma chevillé au corps au point de rester bras croisés, le dos droit sur son fauteuil ? Le fait est qu’il n’a rien tenté et qu’on s’est fait « Borsalino » chastes comme un couple fatigué.
Pourtant tous les voyants étaient au vert, les parents de Denis m’aimaient beaucoup et sa grand-mère faisait une cagnotte en vue de notre mariage. Du côté de mes parents, les voyants devaient un peu clignoter, car la famille de Denis était de gauche, son père syndicaliste à la SNCF, ils passaient leurs vacances en RDA, le pays du diable rouge.
Physiquement, Denis n’avait rien d’un adonis, cheveux bouclés et un peu dodu, il était le sosie de Joe Dassin. On était loin d’Alain Delon.
Jusqu’à ce moment de l’histoire, on peut supposer que j’étais l’amie d’un type qui était le sosie de Joe Dassin parce que je n’avais rien d’autre à me mettre sous la dent pour aller siffler sur la colline et que si j’avais rencontré Alain Delon, j’aurais laissé Denis siffler tout seul. C’est une supposition qui aurait fait rêver toutes les filles, sauf moi puisque je l’avais presque rencontré. Le frère de ma meilleure amie aurait pu se faire passer pour Alain Delon, la même silhouette, le même regard bleu dans une visage fin auréolé d’une tignasse brune de sauvage. Séducteur invétéré, toutes les filles se pâmaient dans ses bras, sauf moi ! Il ne me plaisait pas, je ne lui trouvais rien d’autre qu’une beauté glaçante, je lui préférais mon petit Joe Dassin un peu enveloppé et si peu entreprenant.
J’aurais pu oublier le don Juan aux yeux de saphir qui lui aussi s’appelait Alain — ça ne s’invente pas —, mais chaque fois que je voyais Delon au cinéma, il me rappelait la beauté glaçante de l’Alain de mon adolescence et l’arrogance de ceux qui proclament, je suis beau.
Delon est mort et j’aurais pu m’en moquer totalement s’il ne m’avait pas de nouveau rappelé l’autre Alain qui savait lui aussi qu’il était irrésistible, celui qui faisait tomber toutes les filles dans ses bras, sauf moi.
Lundi soir, j’ai regardé « Plein soleil » à deux doigts de m’ennuyer. Des acteurs insipides qui jouaient comme des pieds, une bande sonore qui ponctuait chaque action d’un coup de cymbales et un scénario qui trainait en longueur. Même Marie Laforêt n’avait pas l’air de Marie Laforêt.
J’ai bien observé Alain Delon, je me suis imaginée en situation et je me suis dit : « Bof… non ! »