Orage sur Brive
Brive, c’est Brive-la-Gaillarde, Brassens, le rugby et la foire du livre. C’est aussi la rencontre avec mon ami Hugo, le photographe de Salvador Allende. Ceux qui me connaissent depuis longtemps savent l’histoire de ma rencontre avec l’histoire du Chili.
Il y aura désormais dans la liste de Brive un item supplémentaire, un orage. J’aurais dû comprendre que la météo serait mauvaise puisque l’alerte rouge avait été annoncée par la SNCF dès l’organisation de mon séjour. Des travaux sur la voix qui venaient bouleverser un projet. Mais, on se dit : «Tant pis, ce n’est pas si grave que ça.» La SNCF a néanmoins bien enfoncé le clou, puisque le TER Montauban-Brive était annoncé à mon départ de Montauban avec vingt-cinq minutes de retard, puis une heure, puis cinq heures, puis deux heures et s’est maintenu à deux heures de retard pour — je le précise à l’intention de ceux qui ne sont pas de la région — moins de deux heures de trajet. Un mauvais jour pour voyager, je me dis que ça arrive et que : «Tant pis, ce n’est pas si grave que ça.» Je vais souvent me le dire que ce n’est pas si grave que ça, mais je ne le sais pas encore.
Durant l’attente du Toulouse—Brive, je fais la connaissance d’un jeune Américain qui visite la France et trouve tout merveilleux, même les retards de la SNCF. Il est charmant, il est intelligent et souriant, il a vingt-quatre ans, il a tout pour lui. Quand il me quitte à Cahors, il me demande s’il peut me prendre en photo, il me prend en photo et me dit : «Vous êtes très belle».
Il s’appelait Davidson.
À l’arrivée en gare de Brive, le propriétaire de mon Airbnb est venu me chercher. Il vient de m’envoyer un message : «Je suis là, une Audi noire, juste devant vous.» Je tourne la tête et vois surgir d’un coupé Audi noir un homme jeune et beau comme une publicité pour Eau Sauvage de Dior. Alors J’adore. Il se saisit de ma valise, m’ouvre la portière. Je suis sa reine. J’étais prête à toucher les étoiles quand un message me ramène brusquement sur terre. Je me dis une nouvelle fois : «Tant pis, ce n’est pas si grave que ça.»
Je me concentre sur mon beau sauvage de Dior qui est en train de m’annoncer qu’il m’a fait une surprise, il m’a surclassée en m’allouant un appartement plus luxueux que celui que j’ai retenu et il me détaille les avantages de cet appartement. J’ai soudain une appréhension, celui que j’ai initialement retenu est au premier étage, je n’ai sélectionné que des appartements sans étage ou presque. Je n’ai pas envie de monter des étages, je n’ai pas envie de loger en hauteur, c’est l’une de mes règles de vie et c’est alors que j’entends mon adonis m’annoncer avec un grand sourire que l’appartement est au deuxième étage. Je me raisonne, un deuxième étage, je devrais supporter et je me dis : «Tant pis, ce n’est pas si grave que ça.»
Ensuite ça se complique un peu avec les clés, une pour la porte sur la rue, une pour le sas d’entrée et une pour la porte de l’appartement. Trois clés que le beau sauvage me met dans la main en me disant, la petite ronde avec des écritures, c’est l’entrée, la triangulaire, c’est le sas, et la Fisher, c’est l’appartement. Il a l’air de compter sur ma mémoire et je ne le dissuade pas, je mémorise.
Je m’installe, mon téléphone sonne comme une alerte météo à l’orage. Je me répète : «Tant pis, ce n’est pas si grave que ça.» Sans me douter que ce sera mon gimmick pour le week-end.
Lorsque je décide de sortir, il fait nuit noire. Les deux heures de retard de la SNCF sont soudain bien réelles et palpables dans les rues de Brive. La foire du livre ferme ses portes et je n’ai plus qu’à rentrer dans mon logement qui se situe à quatre cents mètres. Mais quatre-cents mètres dans une nuit d’encre et sans aucun repère, ça fait loin. Surtout dans ma tête. Google maps me dit que je suis à proximité, mais soudain mon écran s’affole, les applis tremblent et le clavier de l’iPhone ne répond plus. Je crois à une malédiction, quand soudain soulagée, je repère l’entrée de l’immeuble du Aibnb. J’enfile la clé dans la serrure et il ne se passe rien, vraiment rien, puisque la clé ne s’enfile pas. J’insiste. Au souvenir des battements de mon cœur, elle a duré longtemps cette sensation d’être à la rue. Et puis j’ai levé les yeux vers la façade et quand il m’a semblé ne pas reconnaître cet immeuble, j’ai compris que je cherchais à entrer dans une résidence étrangère. J’ai juste eu le temps de filer après avoir vu que l’entrée était sous système de vidéosurveillance.
Quelques mètres plus loin, j’ai croisé une mère de famille à laquelle j’ai demandé de m’indiquer ma rue. Elle m’a répondu qu’elle ne connaissait pas cette rue et je pensais en rester là tout en me disant que cette fois, je ne suis plus du tout encline à me dire : «Tant pis, ce n’est pas si grave que ça.»… La mère de famille a dû me prendre pour une Alzheimer en perdition puisqu’après avoir consulté Google maps, elle m’a montré du doigt la rue suivant en me disant : «C’est juste là !»
Le lendemain matin, les alertes à l’orage se sont succédées sur mon téléphone. J’ai persisté à me convaincre que «Tant pis, ce n’est pas si grave que ça.», mais que j’aurais quand même dû prévoir un ciré breton pour m’abriter.
Le déjeuner est arrivé dans une éclaircie avec les sourires et la gentillesse de mon éditeur. Geneviève, Noah et Régis étaient bien vivants et m’ont fait oublier l’orage qui tournait.
Il tournait, il menaçait et il a éclaté. L’orage.
L’orage m’a traversée comme tous les orages. Cette fois, je ne suis pas arrivée à me dire «Tant pis, ce n’est pas si grave que ça.»
Je suis retournée à mon appartement. Pleine de rage, j’étais sûre de moi, il faisait jour, je reconnaissais la rue. Je suis montée directement à l’appartement et j’ai tourné la clé dans la serrure, la clé sur laquelle est marqué Fisher. Et la clé ne s’est pas enfilée dans la serrure, il n’y avait rien à faire. J’ai vérifié dix fois que c’était la bonne clé. Mon cœur, qui battait déjà à rompre depuis l’orage, maintenant se déchainait. Ce n’est qu’au bout d’un temps interminable à me répéter que là, ça devenait vraiment grave, que la porte s’est ouverte lentement sur le visage d’une jeune femme affolée qui me dévisageait par l’entrebâillement de la porte. Je m’étais trompée d’étage…
Le lendemain matin, mon beau sauvage est revenu me chercher en Audi pour me déposer à la gare.
Mon train était à l’heure.
Je n’ai même plus eu le temps d’avoir peur des trains qui roulent sur les quais.
Je remercie tous les sourires qui m’ont accompagnée à Brive.
Merci à Elias qui durant ces trois jours a veillé sur moi comme un frère.