Blueberry. Christophe Blain |
Pour exposer ses peintures, il faut en passer par toute une série de formalités que je supporte de moins en moins. Je passerai rapidement sur le fait qu’il faut payer pour être exposé alors que nous devrions toucher un droit de représentation. Ce sujet ouvre régulièrement la porte aux débats, on peut dire que c’est récurrent, que la colère des artistes s’exprime régulièrement, mais que ça n’a jamais rien changé, puisqu’à quelques rares exceptions près, il faut toujours payer pour accrocher ses œuvres.
J’ai maintenant appris à accepter sans rechigner l’étape du chèque à rédiger à l’ordre de l’organisation de l’événement.
Depuis le début de l’année, le COVID faisant moins peur, les appels à candidatures reviennent dans ma boîte. Ce week-end, j’ai eu le courage de postuler pour l’un de ces événements, salons, expositions ou biennales, de toute façon, ils me demandent la même chose.
Et c’est là que la machine infernale se met en marche et que je déraille.
Pour les premières lignes du règlement, en principe, ça va. On me demande d’envoyer une sélection de mes œuvres et j’obtempère sans discuter, même si je me demande chaque fois à quoi sert la plate-forme internet sur laquelle je mets toutes mes œuvres en ligne et pour laquelle je paie un abonnement. Ensuite arrivent les questions : est-ce que je veux faire une démo en public, est-ce que je veux proposer des stages ? Et parfois, ils n’ont pas peur de demander si je peux faire du gardiennage sur le lieu de l’expo.
À partir de ces questions, je reste le stylo en suspens au-dessus du formulaire. Je me demande comment et où je vais me loger, de combien va augmenter le poste des dépenses et si je peux prendre le risque de dépenser encore de l’argent. Et comme je ne sais pas ce que je dois faire, je fais ce qu’on appelle « une cote mal taillée », je mets des petites croix un peu au hasard sur le calendrier proposé par l’organisateur en espérant que je ferai des ventes pour financer toutes ces dépenses qui se profilent.
Et puis arrive le moment qui m’assomme définitivement, le dernier tiret des pièces à fournir qui précise : « Merci de nous faire parvenir un texte en français présentant votre œuvre, votre façon de peindre et ce qui vous tient à cœur en 1500 signes maximum. »
C’est le coup de grâce, « ma façon de peindre » ou « dire ce qui me tient à cœur » c’est le moment où je ne sais plus si j’ai envie de pleurer ou de hurler. Ou les deux ensemble.
Et c’est ce qui est arrivé dimanche dernier, j’étais arrivée à surmonter psychologiquement toutes les premières étapes, mais, quand l’histoire du texte de présentation avec le truc « qui me tient à cœur » est arrivée j’ai hurlé :
« Mais je n’ai rien à écrire sur ma peinture, il n’y a pas de littérature à faire, il y a juste à la regarder ma peinture pour savoir ce qui me tient à cœur ! »
Et j’ai jeté le dossier de candidature dans ma corbeille, à mes pieds, sous le bureau.
J’avais tout oublié jusqu’à ce mardi où, en me levant j’allume la radio calée sur France Inter et j’entends Augustin Trapenard, qui discute avec Christophe Blain le talentueux auteur de bandes dessinées qui a ressuscité Blueberry. À mes yeux, c’est un acte qui le place au rang de dieu de la bande dessinée.
« Là, c’est un texte que vous avez écrit ce matin qui est un texte sur l’art de raconter des histoires, vous qui êtes, on le rappelle auteur, donc scénariste également. Ce texte j’aimerais que vous nous le lisiez, lui dit Augustin Trappenard.
— Monsieur, vous m’avez demandé d’écrire un texte court concernant éventuellement mon humeur, ma préoccupation du moment. Un genre de chronique que je vais devoir lire à ce micro. En somme, vous me demandez de faire quelque chose qui ressemble à votre métier. En conséquence de quoi, je vous demanderai à mon tour de vouloir bien me faire un dessin. Alors, tenez, voilà un crayon, un carnet. Allez-y, il vous reste une minute trente », lui a répondu Christophe Blain.
J’ai hurlé, de rire cette fois, en retenant ma tartine beurrée sur laquelle je venais d’étaler une bonne couche de confiture de mûres.
Je me suis laissé aller à un fou rire dans lequel j’ai libéré toutes mes colères
Je n’étais plus seule.
Sources : France Inter.Boomerang. Augustin Trapenard Christophe blain. Mardi 18 janvier 2022