dimanche 19 décembre 2021

C'était juste un tweet

 


Ce jeudi 16 décembre en fin de matinée, nous avons appris par un tweet de la MAI (Mission de l’Adoption Internationale) qu’une mission de travail allait être mise en place au premier trimestre 2022 sur les adoptions illicites à l’étranger.
Un tweet de quelques mots et un enregistrement de 45 secondes.

Il est nécessaire de remettre dans le contexte cet enregistrement issu du débat public au sénat de la loi sur la protection de l’enfance. (Protection des enfants, procédure accélérée).

Madame Michèle Meunier demande un rapport sur la pénurie des familles d’accueil et désire alerter sur le déficit d’attractivité du métier d’assistant familial, Adrien Taquet lui répond par un avis défavorable en lui disant que la DRESS mène une grande enquête et que les résultats seront publiés fin 2021, début 2022. Madame Michèle Meunier lui répond : 

— Très bien. 

Et c’est là que tout devient incroyable, Adrien Taquet reprend la parole et dit : 

— Je pensais que vous alliez défendre un amendement sur l’accès

aux origines…….

Madame Michèle Meunier répond :

— Article 45 !

Adrien Taquet continue comme suit : 

— Sachez que sur les adoptions illicites à l’étranger, nous mettrons en place, avec les ministères de la Justice et des Affaires étrangères, une mission de travail au premier trimestre 2022, sur le modèle de ce qui avait été fait pour les enfants de la Creuse, afin d’apporter des réponses à ces enfants devenus grands désormais »

C’est par l’enregistrement de cet échange ubuesque que nous avons appris la mise en place d’une enquête sous la forme d’une mission ministérielle sur les adoptions illicites.
Que s’est-il passé pour qu’Adrien Taquet aborde soudain le problème des adoptions illicites qu’il avait soigneusement contourné lors des débats sur le projet de loi sur l’adoption les 20 et 21 octobre dernier au sénat?
C’était comme s’il se tapait le front de la main en disant : «Mince ! J’oublie toujours de vous en parler, mais là, pendant que j’y pense, il faut que je vous dise, au fait, pour les adoptions illicites, on va faire quelque chose ! »
Plus je me le répète, et plus je me dis qu’on a de la chance qu’il y ait soudain repensé.

Vous imaginez qu’il soit ressorti de la séance et qu’en arrivant chez lui, soudain en se brossant les dents avant de se mettre en pyjama, il se doit dit : "Et merdouille de merdouille, ça m’est encore sorti de la tête pour l’enquête sur les adoptions illégales !!! “
Plus je regarde le tweet et plus je me dis qu’on l’a échappé belle. On a vraiment eu du bol que ça lui soit subitement revenu hier soir .
Je me demande vraiment ce qui a pu se passer pour que ça lui revienne à ce moment-là, le moment où tout le monde dort et où même en imaginant qu’on ne dorme pas, on est plutôt devant une série Netflix que devant la retransmission d’un débat public au sénat.
J’ai regardé le tweet plusieurs fois pour être certaine, pour me persuader que malgré une réponse qui ne répondait pas à la question et qui arrivait hors contexte, c’était bien la réponse que nous attendions depuis trois ans, mais qu’elle arrivait très discrètement sans se faire remarquer, juste un petit tweet, un cui-cui. 

Et après, j’ai pleuré.
Je n’ai fait que sangloter durant toute la journée et une partie de la nuit.
J’ai immédiatement compris que cette première victoire avait un goût amer.
Je n’avais jamais envisagé quelle serait ma réaction le jour où j’apprendrais qu’enfin ‘ils’ ouvraient une enquête, mais je crois que dans le fond j’étais certaine que je serais heureuse alors que jeudi, c’était exactement le contraire, tout le malheur du monde m’est tombé sur les épaules. 

La nausée de ces vies foutues que jamais rien ne pourra réparer.
L’image d’un fléau.
Nos vies sacrifiées.
Il n’y avait rien à fêter, car il n’y aura plus jamais de fêtes. 

J’ai tellement pleuré que Jno est venu me dire : 
 — Ne me laisse pas tomber maintenant.
Je lui ai dit qu’il n’y aurait jamais de victoire, seulement un espoir de reconnaissance.
Je lui ai dit :
— Crois-tu que les Arméniens ont fait la fête et lancé des cotillons le jour où la France a reconnu le génocide de leur peuple ? ‘ 
Après, je me suis souvenue avec horreur qu’entre le jour où l’ONU avait reconnu le génocide arménien ça avait encore pris seize ans pour que la France vote la loi et ça ne m’a pas calmée. 

Combien de temps encore pour pouvoir enfin entendre des excuses ?
Combien de réponses hors contexte ?
Combien de ‘Bon sang, j’allais oublier de vous dire!’ ?
Combien de sacrifices encore dans nos vies bousillées ?
Combien de tweets ?


mercredi 15 décembre 2021

Aurélien



Aurélien est venu nous voir. 

Il m’avait annoncé son intention de venir nous voir l’année dernière et puis je n’avais plus eu de nouvelles. Je ne lui avais rien demandé, j’avais attendu qu’il revienne vers moi. 

Aurélien, c’est une histoire de petits bracelets –, ceux qui ont lu Titania, le reconnaîtront –, mais c’est bien plus qu’une histoire de petits bracelets, c’est l’histoire d’un frère et d’une sœur volés à leurs parents dans la campagne sri lankaise, c’est l’histoire d’un trafic immonde qui nourrissait l’adoption internationale sous couvert de bonnes intentions et sous couvert d’autres intentions bien moins louables et bien plus criminelles. 

Aurélien ne s’appelle pas Aurélien. 

Il ne s’appelle Aurélien que dans Titania puisque j’ai choisi de rebaptiser tous les personnages qui se situent en France, mais de laisser leurs noms véritables aux crapules et aux criminels sri lankais qui ne méritent pas d’être protégés même morts et surtout encore vivants pour les rares qui le sont encore. 

Au moment où j’ai écrit le passage sur Aurélien et les petits bracelets, je lui avais mis un message pour lui demander quel nom il aimerait porter dans mon livre – je réalise que c’est le seul auquel j’ai demandé de choisir son pseudonyme –, il m’avait dit qu’il allait réfléchir puis là encore, n’avait pas donné suite. J’avais alors pris seule la décision de le baptiser Aurélien, ce prénom à l’allure impériale et romaine lui allait bien. Aragon n’était pas loin non plus. C’est ce que j’avais décidé sans jamais avoir rencontré Aurélien, mais il y avait dans ce choix des concordances qui me convenaient. 

Il y a quelques mois, Aurélien est revenu me mettre des messages. Lors de ces échanges, je lui ai appris qu’il s’appelait Aurélien dans «Titania» et cela a semblé lui convenir. J’étais tout de même inquiète à l’idée qu’il déteste ce prénom, mais il n’a rien objecté. Je me suis sentie rassurée tout en repoussant l’idée qu’il était peut-être extrêmement poli en ne commentant pas mon choix. 

Et puis, il m’a dit qu’il allait venir nous voir, que cette fois-ci, il était décidé. 

C’était au début de ce mois. 

Aurélien était devant notre porte, souriant. Un beau garçon.

Nous avons passé la journée ensemble à l’écouter se raconter, nous raconter tout ce qu’il analysait sans cesse avec justesse et délicatesse. Il parlait sans freins et sans filtres comme si nous nous connaissions et que des années de confiance nous assuraient de nous comprendre. Ce n’était pourtant que quelques heures et cela a fonctionné en années. 

Et puis il a regardé l’heure et nous a dit, il faut que j’y aille. 

Il s’est levé pour aller reprendre son manteau et c’est à ce moment-là que les consignes sanitaires m’ont sauvée d’un moment que je n’aurais pas su contrôler si je ne m’étais pas souvenu qu’il ne faut surtout pas s’embrasser ni se prendre et se serrer dans les bras. 

Les gestes barrières m’ont permis de rester à distance de mon émotion et de lui envoyer ma tendresse du bout des doigts. 

Salut, Aurélien. 

À très vite.