La concession automobile
Nous appliquons maintenant à la perfection notre thérapie contre les coups durs, les coups qui mettent à terre avant de vous y mettre dessous. C’est comme toute méthode, il suffit de s’y mettre, de s’entraîner intensivement pour devenir rapidement des pros.
Vendredi, Jno m’a dit à la manière de Jon dans Titania, pour se changer les idées, samedi on va aller voir des voitures dans les concessions de Montauban. Il m’a expliqué des histoires de moteurs thermiques et électriques, il m’a parlé de financements et je lui ai répondu que c’était une bonne idée. Je me suis dit aussi que dans l’échelle des coups durs, celui de cette semaine devait être haut sur son échelle d’appréciation, car normalement on se contente de petits achats et le pire qu’on a fait, c’est un canapé en une heure à Ikéa. Là, une voiture, il a placé le curseur très haut, on est dans un gros besoin thérapeutique. C’est ce qui m’est venu à l’idée sur le coup et qui m’a un peu fait peur. Je me suis demandé ce qu’il allait nous rester pour la suite, un avion?? Et là, j’ai dessiné virtuellement dans ma question, un smiley qui fait de gros yeux étonnés. Je suis revenue rapidement à : «c’est vraiment une sacrée bonne idée d’aller passer notre après-midi de samedi dans les concessions automobiles de la périphérie de Montauban» et je l’ai redit à Jno qui a semblé surpris à la fois de ne pas avoir à insister et heureux de mon empressement à lui redire, ce qui a dû renforcer chez lui le sentiment d’avoir eu une bonne idée. Il sait pourtant que je n’ai jamais ressenti aucun intérêt pour les voitures mis à part les Porsche Carrera – c’est donc dire que mon intérêt n’est pas dangereux et nourrit uniquement mon imaginaire – mais il ne m’a pas questionnée. Il est soudain tellement embarqué dans son projet que je n’ose pas lui avouer que mon intérêt se porte uniquement sur les gérants des concessions automobiles ou leurs vendeurs puisque dans le roman que j’écris actuellement, l’un des personnages est gérant d’une concession automobile. Je me dis qu’il a dû oublier, mais que ça va lui revenir, forcément. Hier après-midi, nous sommes donc allés dans les concessions automobiles que Jno avait sélectionnées selon les critères qu’il m’avait expliqués et qui n’étaient pas ma préoccupation première, ma seule hâte étant – je vous l’ai expliqué – de rencontrer des vendeurs pour vérifier si mon personnage était juste ou s’il fallait que je modifie mon texte.
Dans la première concession qui était assez importante en surface, la déception a été immense, les quatre vendeurs étaient derrière leur bureau, chacun dans un coin, concentrés comme de bons élèves. Ils étaient très jeunes et ne correspondaient absolument pas à mon personnage et en plus, l’un des vendeurs était une vendeuse ce qui a contribué à me déstabiliser totalement en me faisant, en plus, honte. Nous avons fait le tour des voitures présentées, Jno m’a dit, elles sont moches ces voitures. Je lui ai dit oui, on dirait des requins et on est ressortis.
Dans la deuxième concession, il y avait moins de vendeurs, seulement deux, mais aucun ne correspondait à mon personnage. Moi, j’ai écrit et imaginé quelqu’un qui a du charme, et ils n’en avaient pas. Ils avaient trop d’accent aussi et ça m’empêchait de les mettre dans mon personnage. Nous sommes ressortis rapidement, ils n’avaient même pas semblé s’apercevoir que nous étions entrés. Je ne me souviens pas comment étaient les voitures, si elles avaient de gueules de requins ou de dauphins.
Dans la troisième concession, il n’y a personne d’autre que le gérant qui semble nous attendre. Je sais immédiatement que c’est lui, tout correspond, l’âge, les yeux clairs et les cheveux blancs. Il nous a présenté la voiture que Jno cherche, il nous a tout expliqué. Ensuite nous nous sommes installés face à lui dans son bureau et il nous a simulé la reprise de notre véhicule, l’acquisition de la nouvelle voiture, la boîte automatique, le choix des couleurs. Je l’écoutais attentivement, je le scrutais et j’ai résisté à lui demander comment il s’appelait. Lorsqu’il s’est levé pour aller vers un véhicule, fermer une portière restée ouverte, j’ai eu le temps de me saisir de l’une de ses cartes de visite et j’ai dit en aparté à Jno, c’est dommage, il ne s’appelle pas Arno. Jno ne m’a rien répondu, j’ai compris qu’il n’avait jamais pensé au personnage de mon roman, j’ai compris qu’il avait vraiment le projet de changer de voiture. Le gérant de la concession qui s’appelle en réalité Jean-Paul sur sa carte de visite, a dû remarquer que je buvais ses paroles en le fixant, alors il nous dit en s’excusant un peu, je parle énormément. Je lui réponds immédiatement, mais non?! Vous savez, ça fait plutôt du bien de discuter comme cela, ça faisait longtemps que ça ne nous était pas arrivé. Il me dit en riant, vous avez raison, on vient de passer une période difficile?! et il reprend le fil de ses explications. Je saisis un prétexte pour retourner à notre voiture qui est sur le parking, j’ai besoin de prendre l’air pour revenir dans la réalité et j’ouvre la porte vitrée qui était déjà ouverte et me jette sur la paroi, vitrée elle aussi, de son bureau. Moment de stupeur pour tout le monde et retour à toute allure dans la réalité pour moi qui ai juste eu le temps de freiner avant de percuter la vitre.
Nous nous quittons après avoir pris rendez-vous pour faire un essai de voiture mardi prochain. Je pourrai reprendre mon observation et Jno achètera peut-être une voiture.
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