Nous appliquons maintenant à la perfection notre thérapie contre les coups durs, les coups qui mettent à terre avant de vous enterrer. C’est comme toute méthode, il suffit de s’y mettre, de s’entraîner intensivement pour devenir des spécialistes.
Samedi, Simon m’a dit à la manière de Jon dans « Ma fille, je ne savais pas… » :
« Pour se changer les idées, on va aller voir des voitures dans les concessions de Montauban. »
Il m’a expliqué des histoires de moteurs thermiques et électriques, il m’a parlé de financements et je lui ai répondu que c’était une bonne idée. Je me suis dit aussi que, dans l’échelle des coups durs, celui de cette semaine devait être haut sur son échelle d’appréciation, car normalement on se contente de petits achats et le pire qu’on a fait, c’est acheter un canapé en une heure à Ikéa. Là, une voiture, il a placé le curseur très haut, on est dans un gros besoin thérapeutique. C’est ce qui m’est venu à l’esprit et qui m’a un peu fait peur. Je me suis demandé ce qu’il allait nous rester pour la suite. Un avion ? Et là, j’ai dessiné virtuellement à la suite de ma question, un smiley qui fait de gros yeux étonnés.
Je suis revenue rapidement à : « C’est vraiment une sacrée bonne idée d’aller passer notre après-midi de samedi dans les concessions automobiles de la périphérie de Montauban » et je l’ai redit à Simon, qui a semblé à la fois surpris de ne pas avoir à insister et heureux de mon empressement, ce qui a dû renforcer chez lui le sentiment d’avoir eu une bonne idée.
Il sait pourtant que je n’ai jamais ressenti le moindre intérêt pour les voitures mis à part les Porsche Carrera — c’est donc dire que mon intérêt n’est pas dangereux et nourrit uniquement mon imaginaire —, mais il ne m’a pas questionnée.
Il est soudain tellement embarqué dans son projet que je n’ose pas lui avouer que ma curiosité se porte uniquement sur les gérants des concessions automobiles ou leurs vendeurs, puisque, dans le roman que j’écris, l’un des personnages est gérant d’une concession automobile. Je me dis qu’il a dû oublier, mais que ça va lui revenir, forcément.
Nous sommes donc allés dans les concessions automobiles que Simon avait sélectionnées selon les critères qu’il m’avait expliqués et qui n’étaient pas ma préoccupation, ma seule hâte étant — je l’ai expliqué — de rencontrer des vendeurs pour vérifier si mon personnage était juste ou s’il fallait que je modifie mon texte.
Dans la première concession qui était assez grande, la déception a été immense, les quatre vendeurs étaient derrière leur bureau, chacun dans un coin, concentrés comme de bons élèves. Ils étaient très jeunes et ne correspondaient absolument pas à mon personnage. En plus, l’un d’entre eux était une femme, ce qui m’a complètement déstabilisée, car je n’avais jamais envisagé qu’un tel métier puisse être exercé par une femme. Nous avons fait le tour des voitures présentées, Simon m’a dit : « Elles sont moches ces voitures. » Je lui ai dit : « Oui, on dirait des requins », et on est repartis.
Dans la deuxième concession, il y avait moins de vendeurs, seulement deux, mais aucun ne correspondait à mon personnage. Moi, j’ai écrit et imaginé quelqu’un qui a du charme, et ils n’en avaient pas. Ils avaient trop d’accent aussi et ça m’empêchait de les imaginer dans mon personnage. Nous sommes ressortis rapidement, ils n’avaient même pas semblé s’apercevoir que nous étions entrés. Je ne me souviens pas comment étaient les voitures, si elles avaient de gueules de requins ou de dauphins.
Dans la troisième concession, il n’y a personne d’autre que le gérant qui semble nous attendre. Je sais immédiatement que c’est lui, tout correspond, l’âge, les yeux clairs et les cheveux en broussaille. Il nous a présenté la voiture que Simon cherchait, il nous a tout expliqué. Ensuite, nous nous sommes installés face à lui dans son bureau aquarium, et il nous a simulé la reprise de notre véhicule, l’acquisition de la nouvelle voiture, la boîte automatique, le choix des couleurs. Je l’écoutais attentivement, je le scrutais et j’ai résisté à lui demander comment il s’appelait. Lorsqu’il s’est levé pour aller vers un véhicule, fermer une portière restée ouverte, j’ai eu le temps de me saisir de l’une de ses cartes de visite et j’ai dit en aparté à Simon, c’est dommage, il ne s’appelle pas Arno. Simon ne m’a rien répondu, j’ai compris qu’il n’avait jamais pensé au personnage de mon roman, j’ai compris qu’il avait vraiment le projet de changer de voiture.
Le gérant de la concession, qui s’appelle en réalité Jean-Paul sur sa carte de visite, a dû remarquer que je buvais ses paroles en le fixant, alors il nous dit en s’excusant un peu : « Je parle énormément. » Je lui réponds immédiatement : « Mais non ! Vous savez, ça fait plutôt du bien de discuter comme cela, ça faisait longtemps que ça ne nous était pas arrivé. » Il me répond en souriant : « Vous avez raison, nous venons de passer par des moments difficiles ! » Et il continue ses explications. Je saisis un prétexte pour retourner à notre voiture qui est sur le parking, j’ai besoin de prendre l’air pour revenir dans la réalité.
Je reviens en me jetant sur la paroi vitrée de son bureau aquarium. Moment de stupeur pour tout le monde et retour à toute allure dans la réalité pour moi, qui ai juste eu le temps de ralentir avant de m’éclater sur la vitre.
Nous nous quittons après avoir pris rendez-vous pour faire un essai de voiture mardi prochain.
Je pourrai reprendre mon observation et Simon achètera peut-être une voiture.
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