Je ne pensais pas écrire le chapitre deux du billet de «La concession automobile» et c’est comme tout dans la vie, il ne faut pas présumer, il ne faut pas penser, il ne faut pas imaginer, l’incroyable arrive tout seul quand on ne s’y attend pas.
Nous avons donc acheté la voiture, la semaine suivante, ça c’était prévisible. Un achat que nous avons fait sans effusion, sans émotion et ma morgue affichée a provoqué chez le vendeur une espèce de déception que j’ai bien sentie lorsque nous nous sommes quittés après avoir reçu de sa part un apprentissage rapide des diverses fonctions de notre nouvelle voiture qui conduit toute seule et qu’il m’a remis tel un saint Graal, un livret à la couverture rembourrée en faux cuir qui contenait le manuel du véhicule. Il était vraiment déçu que je ne saute pas d’excitation et a remis le couvert avec une bouteille de vin dans une boîte en carton, mais ça m’a juste fait sortir un merci poli. Pauvre vendeur qui avait vendu une voiture sans faire aucun effort, sans déployer d’arguments vaseux, il avait juste dit : «?C’est une voiture qui est bourrée d’alertes sécurité : alerte angles morts, alerte sortie de route, alerte endormissement, alerte rapprochement d’obstacle, etc. Cela ajouté aux dix airbags m’avait convaincue, car je m’étais dit que mourir accidentée au milieu de dix airbags, ça pouvait adoucir la chose et c’est ainsi que Jno s’est retrouvé au volant et moi les mains pleines du manuel du conducteur et d’une bouteille de blanc.
Samedi matin, nous sommes allés comme chaque samedi matin, au marché des producteurs de Montauban avec notre voiture flambant neuf qui dès le départ s’est mise à sonner dans tout l’habitacle. On s’est regardé et on s’est dit, ça doit être une sonnerie de bienvenue, car au bout de quelques mètres, elle ne sonnait plus et on n’y a plus pensé, le silence aurait même pu régner dans la voiture sauf qu’un bruissement incessant m’a vite agacée, surtout quand j’ai repéré qu’il provenait du volant et plus précisément des mains de jno qui frottait la courbure lorsqu’il tournait. Je lui ai fait remarquer et il m’a confirmé que le fuuuuuut fuuuuut énervant provenait bien de ses paumes de main en contact avec le volant. Il m’a dit : “C’est un volant en cuir, c’est pour ça!”. Je lui ai répondu que si c’était du cuir, ça ferait peut-être comme une paire de chaussures, que ça se patinerait et se tairait. J’ai dit ça pour me rassurer, car c’était vraiment un bruit insupportable. Jno a noté mon énervement croissant au fil de la route et m’a dit, doctoral : “C’est parce qu’il faut conduire cette voiture avec des gants”. Je l’ai regardé médusée, car il n’avait pas dit, des gants, il avait dit, des mitaines et je lui ai fait remarquer que l’on parle de mitaines uniquement si l’on évoque un marché de producteurs en plein hiver, mais que pour une voiture, on parle toujours de gants, même si y’a pas les doigts. Et je lui ai aussi fait remarquer que nous n’avions pas acheté un coupé sport et qu’il allait avoir l’air con de conduire avec des gants, même si le volant de sa voiture est en cuir. C’est à ce moment-là qu’on s’est rendu compte qu’on avait oublié de récupérer le badge autouroute Vinci dans notre voiture d’avant, celle qu’on avait laissée en reprise à la concession. Jno m’a dit, on va s’y arrêter et comme ça, on lui demandera pourquoi le volant fait ce bruit de frottement sur la paume de la main.
Arrivés à la concession, le vendeur que l’on avait pris la précaution d’appeler pour le prévenir de notre passage, vient à notre rencontre avec le badge Vinci à la main et tout sourire en avant nous demande : “Alors tout va bien??”, je lui réponds : “Oui, sauf le bruit du volant quand on tourne” et il a blêmi, inquiet puis a dit : “Quel bruit??” et j’ai répondu : “Un genre de fuuuuuuuuut fuuuuuuuut insupportable”. Il fait une tête interloquée et nous a dit : “Faites-moi écouter”. Quand jno a frotté ses mains sur le volant et a dit : "Ecoutez ce bruit?», il s’est laissé aller sur la carrosserie de l’aile en soufflant : «Ah, ce n’est que ça!»
Jno lui a fait remarquer que c’était tout de même très très énervant de se taper un «fuuuuuuuuuut fuuuuuuuut», mais que tant pis, on allait faire un effort. Et nous sommes rentrés chez nous. Le soir, on a fait «reward» sur le film du matin à la concession en se disant que le vendeur avait dû nous prendre pour des vieux cinglés et on riait à en pleurer quand Jno m’a dit :» Et encore pire, s’il savait qu’on a acheté la voiture chez lui uniquement parce que c’était le seul vendeur qui t’avait convenu pour prendre des notes et t’inspirer pour le personnage de ton roman! S’il savait Véro!» Et on avait ri à s’en faire mal au ventre.
Les deux jours suivants, nous avions toujours un bruit d’alerte qui se mettait en route quand on démarrait et qui se taisait ensuite. Le soir, on regardait un peu le manuel qui m’avait été remis comme une sainte Bible et hier, Jno me dit :»Regarde, ils disent que si les pictogrammes sont allumés en orange, il faut vite aller au garage voir un mécano. Mais dans notre voiture, tous les pictogrammes sont toujours en orange et défilent sans que j’y comprenne rien!» Je confirme à Jno que la seule fois où j’ai conduit la voiture, eh bien, c’était tout en orange et que je n’ai senti aucune aide à la conduite alors que j’ai choisi cette voiture, justement pour ces options-là.
Ce matin, nous sommes repassés à la concession pour avoir des explications sur ces pictogrammes allumés en orange et qui défilaient n’importe comment sur l’écran. Notre vendeur était occupé et ne semblait pas avoir envie de prendre de nos nouvelles, nous sommes donc allés directement demander à un mécano de nous donner son avis. Ce dernier est venu à notre voiture, a allumé le moteur d’une pichenette (ça fait partie du package, le démarrage magique) et a dit froidement : «Ce n’est pas normal du tout.» Et il a emmené notre voiture à l’atelier et est revenu au bout de trois minutes nous dire qu’une caméra frontale était défectueuse et qu’il fallait la changer, car les aides à la conduite ne fonctionnaient pas. Entre-temps, le vendeur était sorti de sa boîte en verre (là où j’avais failli m’assommer dans le chapitre précédent) et nous demande ce qui nous amène. Jno lui répond en quelques mots : »Tous les pictogrammes sont à l’orange et votre mécano a diagnostiqué une défaillance de la caméra avant ». Là, le gars, celui qui me sert à prendre des notes pour le personnage de mon roman, a éclaté de rire et a dit : «Quelle bonne blague!» (il était avec un client). On a pu lui expliquer qu’on pouvait être farceurs, mais qu’en l’occurrence, on n’était pas d’humeur et son mécano est arrivé pour lui confirmer qu’on n’était pas d’humeur et que la panne était grave.
Allez, je vous passe la demi-heure de mauvaise humeur qu’on s’est faite, assis sur les fauteuils en cuir rouge de la concession. Ils ont gardé notre voiture pour changer la pièce avec la promesse que ce serait fait pour demain soir et qu’on pourrait partir en Bretagne passer les six jours de vacances qu’on a retenus et qu’on a déjà décommandés deux fois, et en échange ils nous ont prêté une voiture toute «?cacahouette?» comme a dit le mécano de mauvaise humeur. Une cacahouette en langage mécano, ça veut dire une petite voiture moche et poussive. Sur le chemin du retour à la maison, dans la petite voiture moche et poussive, je me suis dit : «Tiens, mais ça fait plus fuuuuuuuuuuuuut fuuuuuuuuuuuut quand jno tourne le volant de la voiture cacahouette! “