Je ne pensais jamais écrire le chapitre 2 du billet de « La concession automobile », mais c’est comme dans la vie, il ne faut pas présumer, il ne faut pas penser, il ne faut pas imaginer, l’incroyable arrive quand on ne s’y attend pas.
Nous avons donc acheté la voiture, la semaine suivante, mais ça, c’était prévisible.
Un achat sans effusion, sans émotion, et ma morgue affichée a provoqué chez le vendeur une espèce de déception que j’ai bien sentie lorsque nous nous sommes quittés après avoir reçu un apprentissage rapide des diverses fonctions de notre nouvelle voiture qui conduit toute seule et après qu’il m’avait remis tel un saint Graal, un livret à la couverture rembourrée en faux cuir qui contenait le manuel du véhicule. Il était vraiment déçu que je ne saute pas d’excitation et, quand il a remis le couvert avec une bouteille de vin dans une boîte en carton, ça m’a juste fait sortir un merci poli.
Pauvre vendeur qui avait vendu une voiture sans faire aucun effort, sans déployer d’arguments vaseux, il avait juste dit : « C’est une voiture qui est bourrée d’alertes sécurité : alerte angles morts, alerte sortie de route, alerte endormissement, alerte rapprochement d’obstacle, etc. » Toutes ces alertes ajoutées aux dix airbags, m’avaient convaincue, car je me disais que mourir au milieu de dix airbags, ça pouvait adoucir la chose et c’est ainsi que Simon s’est retrouvé au volant et moi, les mains pleines du manuel du conducteur et d’une bouteille de blanc. Je n’aime que le vin rouge.
Samedi matin, nous sommes allés comme chaque samedi matin, au marché des producteurs de Montauban avec notre voiture flambant neuf qui dès le départ s’est mise à sonner dans tout l’habitacle. On s’est regardés et on s’est dit, ça doit être une sonnerie de bienvenue, car au bout de quelques mètres, elle ne sonnait plus et on n’y a plus pensé, le silence aurait même pu régner dans la voiture, sauf qu’un bruissement incessant m’a vite agacée, surtout quand j’ai repéré qu’il provenait des mains de Simon qui frottaient la courbure du volant lorsqu’il tournait ou négociait un virage. Je lui ai fait remarquer et il m’a confirmé que le fuuuuuut fuuuuut énervant provenait bien de ses paumes de main en contact avec le volant. Il m’a prétendu : « C’est un volant en cuir, c’est pour ça ! ». Je lui ai répondu que, si c’était du cuir, ça ferait peut-être comme une paire de chaussures, que ça se patinerait et que le bruit finirait par cesser. J’ai dit ça pour me rassurer, car c’était vraiment un bruit insupportable.
Simon a noté mon énervement croissant au fil de la route et m’a dit, doctoral : « C’est parce qu’il faut conduire cette voiture avec des mitaines ». Je l’ai regardé, médusée. Il n’avait pas dit, des gants, il avait dit, « des mitaines » et je lui ai fait remarquer que l’on parle de mitaines uniquement si l’on évoque un marché de producteurs en plein hiver, mais que pour une voiture, on parle toujours de gants, même s’il n’y a pas les doigts. Et je lui ai aussi fait remarquer que nous n’avions pas acheté un coupé sport et qu’il allait avoir l’air con de conduire avec des gants, même si le volant de sa voiture est en cuir. Et je ne sais pas pourquoi c’est à ce moment-là qu’on s’est rendu compte qu’on avait oublié de récupérer le badge Autouroute Vinci dans notre voiture d’avant, celle qu’on avait laissée en reprise à la concession. Simon m’a dit « On va s’y arrêter et, comme ça, on en profitera pour lui demander pourquoi le volant fait ce bruit de frottement. »
Dès que l’on se gare devant la concession, le vendeur que l’on avait pris la précaution d’appeler pour le prévenir de notre passage, vient à notre rencontre avec le badge Vinci à la main et, tout sourire, nous demande :
« Alors, tout va bien ?
— Oui, sauf le bruit du volant quand on tourne ! »
Il a blêmi en me regardant inquiet, puis il est arrivé à dire :
« Quel bruit ?
— Un genre de fuuuuuuuuut fuuuuuuuut insupportable ! »
Il a fait une tête interloquée et, stupéfait, nous a demandé :
« Vous pouvez me faire écouter ? »
Quand Simon a passé la paume de ses mains sur le volant et lui a dit : « Écoutez ! », il s’est laissé tomber sur la carrosserie de l’aile avant en soufflant : « Ah… ce n’est que ça ! »
Simon lui a fait remarquer que c’était tout de même très très énervant de se taper un « fuuuuuuuuuut fuuuuuuuut », mais que tant pis, on allait faire un effort. Surtout moi.
Et nous sommes rentrés chez nous.
Le soir, sur le canapé Ikéa, on a fait « retour » sur le film du matin à la concession en se disant que le vendeur avait dû nous prendre pour de vieux cinglés et on riait à en pleurer quand Simon m’a dit :
« En plus, s’il savait qu’on a acheté la voiture chez lui uniquement parce que c’était le seul vendeur qui te convenait pour prendre des notes et t’inspirer pour le personnage de ton roman ! S’il savait Véro… » Et on a ri à s’en faire mal au ventre.
Les deux jours suivants, nous avions toujours cette sonnerie qui retentissait dès qu’on démarrait, mais qui finissait par s’arrêter. Le soir, on consultait un peu le manuel qui m’avait été remis comme une sainte Bible, mais on n’y comprenait rien.
Hier, à force de lire la sainte Bible automobile, Simon me dit :
« Regarde, ils disent que, si les pictogrammes sont allumés en orange, il faut vite aller au garage voir un mécano. Mais dans notre voiture, tous les pictogrammes sont toujours en orange et défilent sans que j’y comprenne rien ! »
Je lui confirme que la seule fois où j’ai conduit la voiture, eh bien, c’était tout en orange et que je n’ai senti aucune aide à la conduite alors que j’ai voulu ce modèle, uniquement pour ces options.
Ce matin, nous sommes repassés à la concession pour avoir des explications sur ces pictogrammes allumés en orange et qui défilaient n’importe comment sur l’écran.
Notre vendeur était occupé et ne semblait pas avoir envie de prendre de nos nouvelles. Il était resté bloqué sur le fuuuuuuuuut fuuuuuuuut du volant, alors nous sommes directement allés voir le mécano.
Ce dernier nous a accompagnés sur le parking, a démarré le moteur d’une pichenette (ça fait partie du package, le démarrage magique) et a annoncé froidement : « Ce n’est pas normal du tout. » Il a immédiatement conduit notre voiture à l’atelier et est revenu au bout de trois minutes nous annoncer que la caméra frontale était défectueuse et qu’il fallait la changer, car les aides à la conduite ne fonctionnaient plus. Entre-temps, le vendeur était sorti de sa boîte en verre (là où j’avais failli m’assommer dans le chapitre précédent) et il nous demande ce qui nous amène. Simon lui répond en quelques mots :
« Tous les pictogrammes sont à l’orange et votre mécano a diagnostiqué une défaillance de la caméra avant ».
Là, le gars — celui qui me sert à prendre des notes pour le personnage de mon roman — a éclaté de rire et a dit : « Quelle bonne blague ! »
Il était en rendez-vous avec un client et il devait se sentir obligé de faire le comique. On lui a expliqué qu’on pouvait être farceurs, mais que, cette fois-ci, on n’était pas d’humeur et son mécano s’est précipité pour lui confirmer qu’on n’était pas d’humeur et que la panne était très grave.
Allez ! Je passe la demi-heure de mauvaise humeur qu’on s’est faite, assis sur les fauteuils en cuir rouge de la concession. Ils ont gardé notre voiture pour changer la pièce avec la promesse que ce serait fait pour demain soir et qu’on pourrait partir en Bretagne passer les six jours de vacances qu’on a retenus et qu’on a déjà décommandés deux fois, et en échange, ils nous ont prêté une voiture « toute cacahouette », comme a dit le mécano de mauvaise humeur. Une cacahouette en langage mécano, ça veut dire une petite voiture moche et poussive.
Sur le chemin du retour à la maison, dans la petite voiture moche et poussive, je me suis dit : « Tiens, mais ça fait plus fuuuuuuuuuuuuut fuuuuuuuuuuuut quand Simon tourne le volant de la voiture “cacahouette” ! »