mardi 22 décembre 2020

Une histoire qui existe.


Mon auteur m’a dit, on sort toujours chancelant de plusieurs mois d’écriture. C’était rassurant, ça m’a rassurée. J’avais donc le droit d’être toute patraque et  perdue. Mon auteur m’a dit aussi de prendre le temps de me relire et a ajouté, je vous relirai si vous le voulez bien. J’ai pris le temps et j’ai relu et je me suis fait rire et pleurer, je suis arrivée à me surprendre. C’est très étonnant de se surprendre avec ses propres mots et cela peut arriver à mettre mal à l’aise. Un genre de plaisir qu’on se fait seul, si vous voyez ce que je veux dire et même pire parce que j’ai l’idée d’une position acrobatique. Après cette séance d’onanisme intellectuel qui m’avait rendue encore plus chancelante — mon auteur ne m’avait  alertée que sur le phénomène déstabilisant de la sortie  d’écriture — j’ai envoyé mon manuscrit à deux relectrices. C’était ce matin et depuis, je ne  suis plus chancelante, je suis totalement délabrée. Je suis orpheline de mon manuscrit. 

Dans quelques semaines, ce sera mon auteur qui me relira. Comment vais-je pouvoir lui dire que je serai au-delà du « chancelant » qu’il a évoqué Mon auteur, puisque je l’appelle ainsi, pourrait être mon double masculin. Longtemps j’ai pensé que j’étais présomptueuse car c’est un auteur reconnu et moi, pas trop encore. Sur le « pas trop encore »,  je suis encore prétentieuse mais c’est pour compenser mon état chancelant, c’est une posture prétentieuse, thérapeutique. Si j’ai fini par penser que mon auteur pourrait être mon double masculin, c’est qu’il raconte dans ses romans des histoires qui me sont arrivées, qu’il a eu les mêmes malaises cardiaques devant un écran, en lisant des mails d’injures qui lui étaient adressés, qu’il a lui aussi lu L’Appel du Silence de Charles de Foucault quand il était enfant et que comme moi il en a un peu honte. 

Depuis que je lis l’Anomalie de Hervé Le Tellier — le merveilleux Prix Goncourt de cette année — je trouve que l’idée d’avoir son double n’est pas si farfelue que cela et j’attends d’arriver à la dernière page du livre de Le Tellier pour explorer des pistes plus sérieuses que celles que j’envisageais jusqu’à présent en pensant à mon auteur. 

Je sais que tout est permis, il suffit de l’écrire et  l’histoire existe. 


C’est ainsi que cette semaine on m’a demandé d’écrire mon témoignage en me précisant qu’il devrait être anonyme. Un témoignage anonyme obligatoire, c’est aussi incompréhensible qu’une orange qui est bleue et la terre qui est comme une orange, sauf qu’il n’y a pas de poésie surréaliste pour mon témoignage et cela confirme bien qu’il suffit d’écrire une histoire pour qu’elle existe.

J’irai le raconter à mon auteur qui me dit que lorsque nous écrivons, nous sommes des résistants.

 

 

 

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