lundi 26 février 2018

Les Polaroïds de Félicie.


Felicie a commencé par choisir un angle pour ses photos. 
Elle a compris ce que d'autres bien plus vieux qu'elle ne comprendront jamais, c'est à dire qu'il faut avoir un thème et le décliner. Elle m'explique en tournant les pages du petit carnet dans lequel elle a commencé à coller et à légender ses polas, qu'elle photographie la famille et les amis en groupe et de préférence assis sur un canapé. 
Ce soir-là elle a d'ailleurs pris rendez-vous avec nous et Maria et Nicolas pour faire une photo.
Dans l'après-midi, elle s'organise et commence à cadrer le canapé, me demandant de me placer, recule la table basse et repère l'endroit d'où elle fera son image.
Le soir au moment de la prise de vue, elle nous place et nous dirige.
Quand elle cadre, le doigt sur l'énorme déclencheur du Polaroïd, elle nous parle et compte 1, 2, 3 ... Et retient son souffle car elle sait qu'elle a peu de lumière et que la vitesse sera lente.
Quand le Polaroïd sort, elle s'en saisit et le pose face retournée sur la table et dit calmement : -Maintenant il faut attendre 10 minutes.
Elle n'en fera pas d'autre, c'est une photo une prise.
Felicie et ses Polaroïds, c'est une leçon de photo.

jeudi 8 février 2018

On n'oublie rien, on s'habitue.

Crédits Photo : Image credit: lightwise / 123RF Banque d'images

  Pourquoi oublie-t-on ?
  Pourquoi se souvient-on ?
  Est-ce que l’on n’a rien oublié d’autre ?
  Je m’obstine à me poser ces questions obsédantes. 

  Quand j’ai écrit mon billet « C’est indicible en général », Simon l’avait lu et m’avait demandé pourquoi je ne lui avais jamais rien dit. Je n’avais pas su quoi répondre, c’était un blanc, un no man’s land dans mes souvenirs. Il m’avait questionnée et m’avait dit :
  « Mais elle te disait quoi ta psy ? »
  Je lui avais répondu :
  « Je ne lui en ai jamais parlé… »
  C’est là que j’ai réalisé que j’avais suivi sept années d’analyse sans jamais sortir une seule allusion à ce souvenir. Rien. Absolument rien. Cela n’existait plus.
  Et quarante ans plus tard, j’écris mon billet, froidement. 
  
  Je suis toujours hantée par ce souvenir qui ne comporte aucun son, ce sont simplement des images fixes qui défilent, mes mains sur les vêtements que j’enlève, mes gestes lents que je veux faire durer et, après un temps qui semble s’étirer à l’infini dans un silence épouvantable, il se retourne et il s’éloigne.
  N’est-il pas salutaire de pouvoir occulter tant que l’on n’est pas assez fort pour se souvenir et formuler son souvenir ? L’enfant que j’étais n’aurait rien su raconter et n’aurait pas pu dire son trouble et son dégout d’une chose qu’elle ne connaissait pas. 
  Personne ne m’aurait crue.
  Lorsque le souvenir revient, on le prend comme une claque et comme un soulagement. 
  Le souvenir était là, mais il tournait, il venait à moi sans se nommer, il me squattait et me grignotait.
  Il faut déjà avoir beaucoup grandi pour accepter de se souvenir et de ne plus se dégouter de n’avoir pas pu dire à l’homme vicieux qu’il devait s’en aller.
  Il faut avoir grandi pour comprendre que l’on n’est pas coupable, que l’on ne sera jamais coupable de rien. 
  La petite fille de douze ans a mis du temps à savoir qu’elle avait été une victime.
  Il faut prendre le temps de vivre pour se souvenir.
  Il faut encore du temps pour ne plus avoir peur du souvenir. 
  
  « On n’oublie rien du tout
  On n’oublie rien de rien
  On s’habitue, c’est tout. »
  Brel