Pourquoi oublie-t-on ?
Pourquoi se souvient-on ?
Et que s’est-il passé entre cet oubli et ce souvenir ?
Est-ce que l’on n'a rien oublié d’autre ?
Je m’obstine à me poser ces questions obsédantes.
Quand j’avais écrit mon billet il y a trois ans et demi pour raconter ce soir-là
dans la chambre de la rue d’Assas, Jno l’avait lu et m’avait demandé pourquoi
je ne lui avais jamais rien dit. Je n’avais pas su quoi répondre, c’était un
blanc, un no man’s land dans mes souvenirs. Il m’avait questionnée et m’avait
dit :
- Mais elle te disait quoi ta psy ?
Et je lui avais répondu :
- Je ne lui en ai jamais parlé…
Et j’ai réalisé brutalement que j’avais suivi sept années d’analyse sans jamais
sortir une seule allusion à ce souvenir. Rien. Absolument rien. Cela n’existait
plus.
Et à l’automne 2014 j’écris mon billet, froidement.
Je suis toujours hantée par ce souvenir qui ne comporte aucun son, ce sont
simplement des images fixes qui défilent, mes mains sur mes vêtements que
j’enlève, mes gestes lents que je veux faire durer et après un temps qui semble
s'étirer à l’infini dans un silence épouvantable, il se retourne et il s’éloigne.
N’est-il pas finalement salutaire de pouvoir occulter tant que l’on n’est pas
assez fort pour se souvenir et se dire son souvenir ? L’enfant que j’étais
n’aurait rien su raconter et n’aurait pas pu dire son trouble et son dégout
d’une chose qu’elle ne connaissait pas. Et personne ne l’aurait crue.
Lorsque le souvenir revient, on le prend comme une claque et aussi comme un
soulagement quand on réalise qu’il était bien là mais qu’il tournait, qu’il
venait à vous sans se nommer, qu’il vous squattait et vous grignotait.
Il faut déjà avoir beaucoup grandi pour accepter de se
souvenir et de ne plus se dégouter de n’avoir pas pu dire à l’homme vicieux
qu’il devait s’en aller.
Il faut avoir grandi pour comprendre que l’on n’est pas coupable, que l’on ne
sera jamais coupable de rien.
La petite fille de 12 ans a mis du temps à savoir
qu’elle avait été une victime et que l’homme en face d’elle en qui elle avait
confiance n’avait pas eu un comportement de
grand-père.
Il faut sans doute prendre le temps de vivre pour se souvenir.
Il faut encore du temps pour ne plus avoir peur du souvenir et se faire
confiance.
Le souvenir ne permet pas d’oublier.
"On n’oublie rien du tout
On n’oublie rien de rien
On s’habitue, c’est tout."
Brel