La scène se tient tous les jours à 500m de chez moi, à l'intersection de l'avenue Salvador Allende (et oui) et de la route de Paris.
Il a l'air vieux mais je ne sais pas quel âge il peut avoir entre 60 et 80 ans. Il fait vieux, c'est certain.
Je le vois mendier à ce carrefour depuis le printemps de cet année, je l'ai découvert à notre retour d'Inde.
Il y a surement des gens qui le posent là le matin et viennent le rechercher le soir mais je ne les ai jamais vus.
Quand il fait froid il a une doudoune crasseuse et quand il fait chaud il est en pull. Entre deux feux rouges, il va s'assoir sur le petit muret de la concession automobile qui fait l'angle de l'avenue et pour le confort il glisse entre la pierre et ses fesses un petit bout de mousse tout dégueulasse.
J'ai remarqué que par les journées de canicule, on le posait avec une petite provision de bouteille en plastique remplies d'eau.
Je ne l'ai jamais vu manger, je le vois seulement remonter la file de voitures, son gobelet de mendiant à la main ou être assis sur la mousse posée sur le muret.
Je ne lui ai jamais rien donné car je voudrais que son affaire ne soit plus rentable et que ceux qui le posent le matin le déclarent improductif et lui foutent la paix.
j'ai aussi imaginé qu'il faisait cela de son plein gré, mais mon imagination fait un bloquage.
Si un jour je ne le vois plus, je voudrais être certaine que c'est parce qu'il ne travaille plus. Pas parce qu'il serait mort.
Cela fait 6 mois que je veux le prendre en photo et c'est seulement ce matin que je suis arrivée à me décider à le faire à l'arrachée avec mon téléphone à travers le pare-brise de la voiture.
Jusqu'à présent, j'avais manqué de courage pour le photographier en ayant peur que la diffusion de ces images puissent me valoir des représailles ... Et en ayant aussi la trouille de sa réaction quand il me verrait le photographier comme pour lui remettre une couche d'humiliation supplémentaire.
Ce matin, je me suis décidée.
Ce matin, je me suis dit qu'il fallait que je réponde à tous ces gens qui me demandent comment nous supportons la misère que nous côtoyons en Inde comme si elle n'existait pas en France.
Voilà ma réponse insupportable, elle est là, à 500m de chez moi au moment où j'écris ce billet et elle y sera encore demain et après demain et encore et encore ...
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