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Magritte-Le fils de l'homme |
Date limite d’envoi de votre déclaration : 05/05/2016.
« Il ne faut pas mollir, il faut que je le fasse », c’est ce que je me dis.
Cette année, ils ne nous laissent pas le choix, il faut le faire en ligne. Cela ne me dérange pas, l’ordi est un outil que je maîtrise bien, par contre, les chiffres et les calculs me dépassent totalement et ne m’intéressent pas, mais Simon a fait toute ma compta, je n’ai plus qu’à recopier sur les bonnes lignes et ça, je sais faire.
Dès le départ, le jeu est sophistiqué, il faut aller s’inscrire sur le site impots.gouv.fr et renseigner son identité et son numéro Siret, on se dit, c’est bon, on y va, on se débarrasse de la corvée, mais non, un message arrive : Nous allons envoyer votre code d’activation à votre adresse postale. Ah… le virtuel a déjà ses limites, il va donc falloir attendre le passage du facteur sur son scoot jaune pissenlit.
Et un matin, dans la boite aux lettres, la vraie, celle qu’on ouvre avec une vraie clé, mon enveloppe est arrivée.
Comme j’avais complètement oublié cette histoire de code d’activation, je me prends une grosse suée en voyant l’enveloppe et son tampon Services des Impôts, je me dis : « Putain, je me suis pris un PV ! » Enfin, pas moi, je ne conduis jamais, mais la voiture est assurée à mon nom, ce qui fait que c’est quand même moi qui me prends les amendes et les retraits de points. Mais vu que je ne conduis pas, je peux bien me faire retirer des points. OK. Mais quand même, c’est pour le principe, je n’aime pas perdre des points. On ne sait jamais, un jour j’aurais peut-être la force de reconduire.
Là, ce n’était pas un PV, c’étaient mes codes d’activation.
Je ne sais pas pourquoi, peut-être l’effet de l’adrénaline après une grosse frayeur, mais cela m’a énormément excitée. C’était peut-être le mot « activation » ? Je sens que l’on va m’activer et cela m’excite.
Je me suis connectée avec mon MacBook Pro, la dernière génération avec beaucoup de mémoire. J’ai ensuite activé mon compte professionnel sur le site Impôts.gouv.fr, ce qui m’a rapidement apaisée. Je me suis retrouvée sous un flot de questions concernant mes coordonnées bancaires pour le mode de prélèvement de mon impôt. Je remplis tout consciencieusement en me disant que ça pourra aussi leur servir s’ils ont besoin de me faire un virement pour un crédit d’impôt.
Et puis j’ai refermé mon beau compte professionnel en pensant que le plus dur était fait et que, la semaine prochaine, je ferai ma déclaration, la 2035, celle qu’on appelle « contrôlée » et ça aussi, chaque année, ça me fait rigoler, car je ne sais pas ce que ça veut dire. Je me demande s’il y en a qui sont incontrôlées.
Hier, j’ai de nouveau ouvert mon compte pro sur Impots.gouv.fr pour remplir ma déclaration contrôlée 2035.
Première angoisse, j’ai oublié mon mot de passe et je ne sais même plus si j’ai choisi le mode d’accès par mot de passe ou par certificat comme ils disent. Je tente le mot de passe que j’utilise sur tous les sites et ça marche. Je me colle tout de même trois petites baffes au passage, car c’est mon mot de passe habituel et c’est pas malin d’avoir le même mot de passe pour absolument tous mes accès depuis quinze ans… Mais c’est pratique. Vivons dangereusement.
Me voilà enfin arrivée au but.
Et la belle page de la déclaration 2035 contrôlée s’ouvre avec mon nom et toutes mes infos. C’est rassurant, on se sent tout de suite chez soi.
Je complète les premières lignes, quelques boutons radio comme ils sont nommés dans le jargon des informaticiens (pour que vous réalisiez bien que je maîtrise mon sujet), puis des champs à remplir (je maîtrise toujours) avec ma profession : artiste peintre et la date de mon début d’activité, un 1e avril. J’ai toujours l’impression d’une blague.
Et puis on arrive au cœur du pourquoi on a déjà perdu un temps fou : la déclaration des chiffres. Et là, plus rien ne se passe, impossible de rentrer quelque montant que ce soit, le champ est inactif (là aussi, vous noterez mon vocabulaire précis, le champ inactif). Je bataille un peu, mais pas longtemps, car, quand un champ est inactif, il n’y a pas grand-chose à faire.
Je décide d’appeler le numéro du centre des impôts professionnels pour Toulouse Nord. Il est 16 h 12, pas de chance, ils bouclent à 16 h.
Je m’y remets le matin suivant ; aujourd’hui donc, et je rouvre mon espace pro sur Impots.gouv.fr. C’est plus rapide qu’hier, car ce matin, je n’ai pas oublié mon mot de passe et j’en profite pour me remettre deux ou trois petites baffes pour « mot de passe non sécurisé, mais bien pratique tout de même ».
Ma déclaration 2035 contrôlée s’ouvre identique à celle d’hier et toujours aussi inactive en ce qui concerne les champs des chiffres à déclarer.
Pas de temps à perdre, je compose le numéro du centre de Toulouse Nord, c’est leur horaire d’ouverture au public et c’est même tellement leur horaire qu’ils ne peuvent pas répondre, car ils sont tous occupés. Je persiste pendant une heure pour finalement abandonner et me rabattre sur le numéro national, un 800 machin à 6 centimes la minute. (je me rends compte en écrivant que je ne sais plus si c’était à la minute ou à la seconde…)
Mon interlocutrice est très aimable et courtoise, mais ne comprend rien et me dit que sans doute mon compte n’est pas encore activé et qu’il faut attendre quelques jours. Oui, mais la date limite est au 5 mai, c’est ce que je lui fais remarquer, alors elle me dit qu’il faut appeler mon centre local à Toulouse. Je lui explique qu’ils ne répondent pas, elle me dit : « C’est normal, on est débordé, je vais vous donner une liste des lignes directes. »
Me voilà avec une liste de cinq lignes directes que je compose successivement et qui sonnent dans le vide jusqu’à la dernière qui me répond. C’est une dame qui s’énerve immédiatement dès que je lui expose mon problème et qui me dit sans détour : « ? Ce n’est pas mon problème. » Je lui fais remarquer que, jusqu’à présent j’ai eu affaire à des gens extrêmement gentils et courtois et que je suis surprise par sa réponse. Elle me répond : « Je ne peux pas vous apporter de solution, cela ne sert à rien de me traiter de méchante. » Là, j’ai envie de rire, ça fait carrément section maternelle. Je lui précise que je ne l’ai jamais traitée de méchante, que c’est elle qui tire ses conclusions toute seule.
Comme je ne lâche pas le morceau en lui disant que je demande seulement à pouvoir faire ma déclaration de revenus, elle me dit : « Je vais vous passer Monsieur B. »
Je crois que ça doit être un chef, ce Monsieur B., je le sens à la manière dont elle a prononcé son nom.
Voilà, Monsieur B.. Il est là qui me parle. Mais il ne me parle pas, Monsieur B., il m’engueule copieusement. Il me dit que ce que je veux faire est impossible, je ne peux pas faire ma déclaration en ligne par moi-même, c’est à mon expert-comptable de le faire avec ses clés d’accès. Et voilà, Monsieur B., qui est parti dans son délire administratif de comptable et de déclaration. Je tente un tout petit : « Je suis une artiste, je ne peux pas avoir un expert-comptable… » J’ai mis le feu aux poudres de Monsieur B.. Une artiste !!!!! C’est là qu’il me sort : « C’est votre problème si vous ne pouvez pas vous payer un expert-comptable. »
Je lui dis qu’il ne peut pas me dire ça, car il n’est noté dans aucun article de loi qu’un artiste doit avoir un expert-comptable pour pouvoir faire sa déclaration 2035 contrôlée en ligne. Monsieur B. ne répond rien (peut-être qu’il réfléchit) et il me dit : « Vous n’avez qu’à faire votre déclaration en document papier, mais il faudra bien vous y faire, l’informatique, vous n’y échapperez pas. »
Là, il me gonfle, Monsieur B., il me parle comme si j’étais une vieille mémé dépassée. Alors, je lui raccroche au nez à Monsieur B..
Et je me dis que tant pis, je verrai demain parce que demain est un autre jour et que j’en ai marre pour aujourd’hui.
À peine cinq minutes se sont écoulées quand le téléphone sonne. Je décroche et j’entends : « Madame Moyen ? » (J’adore quand on m’appelle Madame Moyen) et je reconnais la voix de Monsieur B. qui, pourtant, ne se présente pas. Dieu ne se présente pas.
« Madame Moyen, je crois que, pour votre déclaration en ligne, il faut d’abord remplir les documents annexes pour pouvoir remplir le document principal.
— Ah, Monsieur B., comment aurais-je pu le deviner ?
— Oui, Madame Moyen, grâce à votre appel, nous avons compris qu’il y avait un malentendu dans la présentation de nos documents en ligne. (Monsieur B. ne me reparle plus de mon expert-comptable et j’ai la courtoisie de ne pas y faire allusion non plus.) Je vais vous envoyer toute la notice explicative et vous pourrez remplir votre déclaration. »
J’ai beaucoup remercié Monsieur B. que j’imaginais assis raide sur sa chaise dans son costume trois-pièces.
Je lui ai promis que j’allais, avec sa permission, diffuser le document explicatif à mes amis artistes qui allaient sans aucun doute rencontrer les mêmes problèmes que moi. (Je lui ai épargné la révélation qu’eux aussi n’avaient pas d’experts-comptables.)
Et là, Monsieur B., tout mielleux a eu cette incroyable réflexion sortie droit du cœur :
« Vous avez tellement d’humanité en vous les artistes, vous qui donnez vos œuvres au monde entier. »
Je lui ai répondu :
« Non, Monsieur B., je ne donne pas mes œuvres, je les vends, car, si je les donnais, je ne serais pas pareillement emmerdée pour faire ma déclaration de revenus. »