lundi 11 mai 2015

Mes réminiscences et leurs regards.




Peindre.
Peindre des fleurs.
Les peindre à l’aquarelle.
Je crois que si j’avais voulu me faire du mal je n’aurais pas pu pas trouver meilleur instrument.
Les fleurs c’est nul, c’est nunuche, c’est pas à la mode, c’est un truc de fille, c’est un truc de vieille dame de club, c’est mou, c’est pas viril, c’est bof, c’est « passez votre chemin ».
Et à l’aquarelle c’est carrément sans aucun intérêt.
Parce que l’aquarelle c’est fade, c’est pas coloré, c’est pâlichon.
Comme ils disent …
Et en plus l’aquarelle ça ne se vend pas cher donc ça n’intéresse pas les galeristes.
J’ai fait le tour du sujet mais pas tout à fait car on peut encore en écrire des tartines sur l’aquarelle et surtout si ce sont des fleurs, le propos est sans fin et déprimant.

Je pense qu’après ces dix lignes je me suis bien tirée une balle dans le pied.
Seulement dans le pied parce que je peins avec mes mains.
Et je garde encore mes mains pour taper sur le clavier, je ne fais pas confiance à la commande vocale.

Je peins des fleurs à l’aquarelle.
C’est dit.
Enfin, c’est ce qu’on dit et c’est ce qu’ils croient.
Je sais qu’on ne peint jamais ce que l’on croit peindre et encore moins ce que les autres croient que l’on peint.
On peint ce que l’on pense. Et ça c’est totalement différent.

Au début, on ne le sait pas et c’est pour cela que l’on peint avec rage et obstination.
On y va, mais on ne sait pas trop où.
C’est à ce moment là qu’on est « systématique ».
Je reprends cette idée du systématique car encore aujourd’hui, c’est à dire exactement 4 mois après que l’on me l’ait signifié par écrit, je ne comprends toujours pas ce que cela veut dire quand on l’emploie pour qualifier le style d’un artiste.
L’impression aussi que ce qualificatif de « systématique » était utilisé avec un caractère péjoratif m’a interrogée pendant quelques jours.
Je fais juste une petite diversion pour vous dire que je n’ai pas été très perturbée par ces remarques car le courrier qui me signifiait tout mon systématisme est arrivé quelques jours après le 7 janvier, alors … J’avais autre chose à pleurer.

J’ai cherché ce que pouvait bien signifier mon systématisme rédhibitoire aux yeux des académiciens de l’aquarelle française et n’y ai trouvé que des valeurs qui me convenaient et qui allaient avec : obstination, organisation, cartésien, réfléchi, ordonné … Que des synonymes qui me vont bien et qui me correspondent parfaitement.

J’ai encore cherché puisque je suis curieuse (et tout de même un peu énervée) et j’ai conclu que ce caractère systématique de mon travail  devait correspondre aux périodes où l’on cherche et où l’on peint comme un abruti.
Je l’ai appelée  « la période du systématisme ».
On avance dans le brouillard quand ce ne sont pas carrément des ténèbres jusqu’au jour où l’on comprend ce qu’on était en train de faire.
Je ne sais pas à quoi cela peut correspondre précisément pour un autre artiste car je pense qu’à partir de là on atteint des sphères totalement personnelles.
Pour moi, la sortie des ténèbres de la période abrutissante des fleurs a été le jour où une amie m’a dit qu’une fleur était un sexe féminin.
En quelques secondes, j’ai eu l’impression de comprendre tous mes coups de pinceau, mon obstination et mon systématisme.
Mes Cœurs de Velours, mes Cœurs Profonds, mes Chatoyances, mes Marivaudages, mes Respirations, mes Ardences avaient soudain une existence et pas des moindres puisque sexuelle.
Mes fleurs vivaient.
Alors j’ai peins mes fleurs comme des sexes de femme, je les caresse et les sens frémir.
Je ne le dis jamais, je reste systématique dans mes exercices d’aquarelliste appliquée.
Et lorsque l’on me demande quelles sont donc ces fleurs que je peins, Je réponds que je ne sais pas et que cela n’a pas d’importance.
Et pourtant je le sais bien maintenant.
Et je ne le dis pas.
Je le pense.
Et je peins ce que je pense.

Il y a quelques mois, j’ai peins des fleurs auxquels j’ai ajouté des motifs puis des écritures tamoules.
Je ne savais pas ce que je faisais, j’étais de nouveau entrée dans la période du systématisme obstiné.
Je ne comprenais pas ce besoin d’aller  plus loin avec mes fleurs, avec mes femmes, avec leur sexe.
Mais je savais que là aussi il fallait y aller.
J’amorçais un virage.
Je sentais bien le danger de louper ce virage et que l’on m’attendrait à la sortie puisque j’étais incapable une fois de plus d’expliquer l’arrivée de ces motifs et des écritures tamoules dans mes peintures.

Un soir sur l’écran de mon mac,  je trie d’anciennes photos et je tombe totalement sidérée sur l’image d’un mur peint avec des fleurs, des motifs au pochoir et de l’écriture tamoule. Une photo prise dans l’est du Sri Lanka juste à la fin de la guerre.
Et là je comprends ce que je peins avec obstination depuis plusieurs mois.
Mais pour une personne comme moi totalement cartésienne et rationnelle, je n’ose dire systématique, c’est difficile d’admettre que je peins l’Inde et le Sri Lanka.
Plus de 30 ans de proximité avec ces deux pays et une défiance totale avec toute tentative de vouloir les peindre et voilà que je retranscris exactement ce que je n’ai  finalement fait qu’absorber, éponger, transpirer pendant 30 ans.
En décembre, lorsque je suis arrivée en Inde pour mes trois mois de vie indienne, cette fois ci j’ai vu.
C’était une évidence.
Cette fois ci, j’ai compris et j’ai intégré mes Réminiscences Indiennes à mon travail artistique.
Cette fois ci, j’ai commencé à admettre que l’on peignait ce que l’on pensait.

Quand je suis en Inde, je ne peins pas.
Personne ne comprend cela et j’ai droit à l’éternelle question : » Alors, vous peignez beaucoup quand vous êtes en Inde ?  Cela doit vous inspirer toutes ces couleurs … Ces gens sont si beaux ... »
Et bien non, je ne peins pas du tout ! Je n’en ai même pas envie.
Les Indiennes qui marchent dans les rues, natte dans le dos et sari au vent, je m’y suis essayée et cela ne m’a pas enthousiasmée car ce n’est pas la vérité.
C’est ce que je réponds dans l’incompréhension générale.
 
Quand je suis en Inde je ne peins pas, je photographie et je regarde.  
En Inde c’est facile de regarder car les Indiens sont des gens qui regardent.
Les regards ne font pas que voir, leurs regards sont appuyés et peuvent sembler parfois indécents par rapport à nos références culturelles.
Moi cela ne me gène pas car j’aime regarder.
Je regarde à travers un objectif et je fixe leurs regards transperçants.
Je les ai fixés sur des images photographiques
Je les fixe dans de nouvelles réminiscences.

Des regards océan aux portes de l’intime
Des regards au delà de la pensée rationnelle
Ces regards indiens sont ma nouvelle force systématique.
Je ne vais pas plaire, je le sais.
Mes portraits ne sont pas académiques
Mes visages ne sont pas lisses
Je ne ferai pas d’excuses
Je suis comme ça

Vous avez vu mes fleurs
Vous m’avez dit que j’étais systématique
Vous m’avez conseillé de peindre « des thèmes plus artistiques »
Je ne peindrai pas ce que vous croyez
Je peins ce que je pense.

Systématiquement.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire